L’éco-anxiété est une angoisse climatique, une « peur chronique de la catastrophe climatique ». Elle prend la forme d’une peur ou d’une colère, par exemple. Que sait-on de cette nouvelle notion en psychologie, liée à l’urgence climatique et à la perte de biodiversité ?

Face aux perturbations du changement climatique et à la 6e extinction qui touche la biodiversité, nous ressentons de vives émotions négatives. Cette difficulté à vivre les désastres écologiques présents et à venir prend la forme d’une notion relativement nouvelle, mais de plus en plus évoquée : l’éco-anxiété. On entend aussi parfois parler de solastalgie. Que dit la littérature scientifique sur ce nouvel état de notre santé mentale ?

Éco-anxiété : une définition

Le terme « éco-anxiété » est la contraction d’écologie et d’anxiété. Il se réfère à l’angoisse climatique, et plus largement à l’angoisse face aux problèmes écologiques dans leur ensemble. L’éco-anxiété, en tant que terme, est apparu au cours des années 1990 — la première conceptualisation du mot est attribuée à la chercheuse en santé publique Véronique Lepaige, en 1997.

Il n’existe pas de définition pleinement arrêtée du terme pour l’instant, car il n’y a pas encore de consensus sur ce qu’est l’éco-anxiété ; ce n’est pas reconnu officiellement comme une maladie mentale, ni comme une pathologie, même si la recherche en psychologie s’y intéresse de plus en plus, et que certains praticiens se spécialisent. L’American Psychological Association, dans le glossaire de son rapport Mental Health and Our Changing Climate (2017), définit l’éco-anxiété comme « une peur chronique de la catastrophe climatique ».

La notion d’anticipation est généralement centrale dans la définition de cette anxiété. La psychiatre américaine Lise Van Susteren évoque un « stress pré-traumatique » (le psychiatre Antoine Pelissolo aussi), car il s’agit d’une angoisse liée à l’urgence et à l’imminence des effets du changement climatique. Mais elle peut aussi être liée à l’expérience d’un effet de la crise environnementale (faire face à une forêt asséchée, à une inondation, subir une chaleur extrême…).

L'éco-anxiété peut être de l'angoisse, de la peur, de la colère... face à l'actualité environnementale et l'inaction. // Source : Canva
L’éco-anxiété peut être de l’angoisse, de la peur, de la colère… face à l’actualité environnementale et l’inaction. // Source : Canva

Qui est touché par l’éco-anxiété ?

On dit souvent que les jeunes sont particulièrement touchés par l’éco-anxiété. Cela se vérifie dans les travaux scientifiques. Une étude de 2021, publiée dans The Lancet Planetary Health, sondait ainsi pas moins de 10 000 personnes âgées entre 16 et 25 ans, dans dix pays : Australie, Brésil, États-Unis, Finlande, France, Inde, Nigeria, Philippines, Portugal, Royaume-Uni.

Les résultats montrent l’ampleur de l’angoisse climatique :

  • 59 % des 16-25 ans étaient « très » ou « extrêmement » préoccupées ;
  • 84 % au total étaient au moins modérément préoccupées.

Une autre étude de 2021, dans The Journal of Climate Science and Health, et qui s’analyse plusieurs travaux sur le sujet, confirme cette dimension : les répondants âgés de 18 à 35 ans ont obtenu des « scores plus élevés » que les adultes plus âgées quand ils devaient indiquer le degré d’anxiété climatique ayant un impact sur « leur capacité à fonctionner ». Mais cette étude montre aussi qu’une variété plus grande de personnes peuvent souffrir de l’éco-anxiété, en plus des jeunes :

  • Les personnes « liées au monde naturel pour des raisons culturelles ou personnelles » ;
  • Les personnes qui ont subi physiquement les effets du changement climatique, comme « des blessures ou du stress résultant d’événements météorologiques extrêmes », celles qui se sont « retrouvées sans abri ou déplacées en raison des effets du changement climatique », ou encore celles « qui ont souffert des effets de l’élévation du niveau des mers, des sécheresses ou d’un temps imprévisible ».
  • Les scientifiques spécialistes de la nature, ou encore les climatologues, souffrent aussi d’éco-anxiété « en raison de leurs connaissances et de leurs liens affectifs avec le monde naturel ».
  • Les femmes semblent subir aussi une éco-anxiété plus forte que les hommes et a fortiori des hommes de plus de 35 ans (« Les femmes subissent un stress et une anxiété plus importants, car elles sont plus engagées sur le plan comportemental et présentent des taux plus élevés de syndrome de stress post-traumatique à la suite d’une catastrophe que les hommes », explique l’étude).

Comment se manifeste l’éco-anxiété ?

Des symptômes d’angoisse climatique

L’étude de 2021 sur la place de l’éco-anxiété chez les 16-25 ans s’intéresse aussi aux émotions ressenties. Presque la moitié des jeunes interrogés (45 %) ont expliqué que leurs sentiments sur le changement climatique affectaient « négativement » leur vie et leur fonctionnement. Une quasi-majorité a aussi relaté des pensées négatives liées au climat, comme : « l’avenir est effrayant » (75 %) ou encore « les gens n’ont pas su prendre soin de la planète » (83 %). La moitié des jeunes interrogés ont listé toutes ces émotions : tristesse, anxiété, colère, impuissance, détresse, culpabilité. Elles sont accompagnées par un sentiment de trahison, notamment face à une réponse gouvernementale inadéquate.

Une étude française, menée par la Fondation Jean Jaurès et publiée en 2022, s’intéresse à l’état d’esprit des éco-anxieux. Dans ces 34 entretiens menés avec des jeunes de 18 à 30 ans, ces derniers apparaissent « pleinement conscients de la gravité de la situation, ils vivent dans une communauté qui ne prend pas d’action résolue pour faire face à l’urgence climatique.» L’étude relève alors une colère importante contre les décideurs publics et privés. Mélodie, 19 ans, explique aux chercheurs :

« Je ressens de la colère et de la peur. De la colère envers les politiques, les institutions, les industries, témoigne Mélodie, 19 ans. Ce qui est extrêmement dur, c’est de ne pas être entendue et comprise par ceux qui peuvent faire changer les choses. On peut tous agir individuellement, mais il faut une grosse part de collectif et ça passe par le gouvernement et l’État. On peut faire ce qu’on veut, ils s’en foutent. Ça me fait péter un câble quand je me demande comment ils peuvent voir ça et ne rien faire. »

En prévalence des émotions, on compte donc la colère, à laquelle s’ajoute ensuite l’angoisse et la peur.

: Le ressenti des éco-anxieux face à la perspective du dérèglement climatique (en nombre de répondants) // Source : Fondation Jean Jaurès / Forum français de la Jeunesse
: Le ressenti des éco-anxieux face à la perspective du dérèglement climatique (en nombre de répondants) // Source : Fondation Jean Jaurès / Forum français de la Jeunesse

L’étude de la fondation montre aussi que l’éco-anxiété a un impact sur la façon de se projeter dans l’avenir — ce qui rejoint le fait que cela touche énormément les jeunes. Ce tableau, fourni dans l’étude, le résume, sans faire l’impasse sur quelques accents d’optimisme aussi :

Vivre en France et en Europe en 2050, la vision de l’avenir des éco-anxieux // Source : Fondation Jean-Jaurès et Forum français de la jeunesse
Vivre en France et en Europe en 2050, la vision de l’avenir des éco-anxieux // Source : Fondation Jean-Jaurès et Forum français de la jeunesse

Quelle différence entre éco-anxiété et solastalgie ?

L’éco-anxiété est une angoisse face aux dérèglements et dégradations en cours ou à venir. La solastalgie est une notion plus récente, imaginée par le philosophe et professeur de développement durable, Glenn Albrecht. Le néologisme est inspiré du mot « nostalgie », combiné à la racine latine solacium (soulagement, consolation). La solastalgie fait référence à un sentiment de détresse également, mais davantage sous la forme d’un deuil d’un environnement perdu. L’éco-anxiété est ancrée dans le présent et l’anticipation.

Comment soigner l’éco-anxiété ?

De premiers travaux scientifiques commencent à apparaître pour proposer diverses stratégies aux professionnels afin d’accompagner les éco-anxieux. Plus largement, il existe des conseils et ressources, régulièrement mis en avant par celles et ceux qui s’y spécialisent.

Le « Don’t burry your feelings » semble être un ingrédient important. Le principe de ne pas renier ou enterrer des émotions est crucial de manière générale en santé mentale et s’applique à l’éco-anxiété. « Il est facile de tomber dans le piège de vouloir ‘réparer’ les émotions difficiles. Mais il faut les reconnaître sans les juger », explique la chercheuse Sacha Wright sur le site du muséum d’histoire naturelle britannique. Toutes les ressources sur le sujet sont d’accord sur ce point : il faut éviter à tout prix le déni de son éco-anxiété — il est normal de ressentir de la détresse face à l’urgence écologique.

Stephanie Collier, de la Harvard Medical School, explique quant à elle que « l’incertitude et la perte de contrôle caractérisant l’anxiété climatique, le meilleur traitement consiste à agir ». En clair, il s’agit de se concentrer sur « ce que l’on peut contrôler », confirme aussi la Commission canadienne pour la santé mentale. Le soin par l’action, qu’importe son niveau et son importance, est une récurrence sur le sujet. Attention à la « surcharge », indique tout de même la commission canadienne. L’actualité déprimante sur le climat fait partie du poids de l’éco-anxiété. Il est crucial de s’informer, mais sans en arriver à la saturation, ni au doomscrolling sur les réseaux sociaux et le web.

Stephanie Collier ajoute qu’il est bon de « partager » ce type d’anxiété, avec des amis, un thérapeute, un groupe de soutien, mais qu’il est aussi intéressant de modifier — même légèrement — son mode de vie pour y insérer des solutions liées aux inquiétudes.

De même, elle indique que, pour aider un jeune (enfant, ado, jeune adulte) dans son éco-anxiété, il est crucial de « valider ses inquiétudes », de chercher ensemble des mesures de minimisation de l’impact sur l’environnement, mais aussi de « passer du temps dans la nature » ensemble.

Vous pouvez approfondir la recherche de solutions à votre éco-anxiété de diverses façons. Il existe des ressources en ligne, vous pouvez interroger votre thérapeute ou médecin, questionner vos amis, ou lire des ouvrages dédiés à la question. L’éco-anxiété n’est certes pas encore pleinement définie, mais elle répond à des domaines psychologiques connus liés à l’anxiété en elle-même : vous n’êtes pas démunis.

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