Les saignements menstruels abondants sont désormais considérés comme des effets indésirables des vaccins Comirnaty (Pfizer/BioNTech) et Spikevax (Moderna).

Le 28 octobre 2022, le Comité européen de Pharmacovigilance (PRAC), de l’Agence européenne du Médicament (EMA), a posé l’existence d’un rapport de cause à effet entre l’injection d’une dose de vaccin Comirnaty (Pfizer/BioNTech) ou Spikevax (Moderna) et l’apparition de saignements plus abondants durant les règles suivantes.

Cette annonce était attendue par de nombreuses personnes menstruées, qui s’interrogent depuis plus d’un an et demi sur l’impact de la vaccination contre le covid sur leur cycle.

Les données ont été recueillies par le dispositif de pharmacovigilance français, dont les analyses ont été portées au niveau européen. Le rapport constate ainsi que des « cas de saignements menstruels abondants ont été signalés après la première, la deuxième et la dose de rappel de Comirnaty et de Spikevax ». Il explique que ces saignements inhabituels sont « caractérisés par une augmentation du volume et/ou de la durée qui interfèrent avec la qualité de vie physique, sociale, émotionnelle et matérielle de la personne ».

Aucun impact sur la reproduction et la fertilité

Le PRAC recommande alors que « les saignements menstruels abondants soient ajoutés aux informations sur le produit en tant qu’effet secondaire de fréquence inconnue des vaccins à ARNm COVID-19 Comirnaty et Spikevax ». Tout en signalant que les « données disponibles examinées concernaient principalement des cas qui semblaient être de nature non grave et temporaire » et qu’il « n’y a aucune preuve suggérant que les troubles menstruels vécus par certaines personnes aient un impact sur la reproduction et la fertilité ».

Les applications de suivi de règles sont-elles si sûres ?  // Source : Nino Barbey pour Numerama
Oui, chez certaines personnes menstruées le vaccin contre le covid a temporairement perturbé le cycle menstruel. // Source : Nino Barbey pour Numerama

En outre, le rapport explique que les données disponibles sur l’utilisation des vaccins ARNm COVID-19 avant et pendant la grossesse sont rassurantes : ils n’entraînent pas de complications de grossesse et permettent de réduire le risque d’hospitalisation des personnes enceintes et de leur bébé.

Le PRAC ajoute que le dossier n’est pas clos : professionnels de santé et patients concernés sont invités à continuer de signaler la survenue de saignements menstruels abondants. Avant de conclure : « Le PRAC continuera à surveiller les cas de cette condition et communiquera davantage si de nouvelles recommandations sont justifiées. »

Reste que ces conclusions sont les premières — émanant d’agences de contrôle des médicaments — à confirmer quelque chose qui était jusque-là supposé depuis le début des campagnes de vaccination chez les personnes en âge de procréer. Deux études (l’une américaine, l’autre anglo-américaine) ont conclu en 2022 à un allongement léger et temporaire du cycle, sans effet sur la fertilité.

Des signalements sur les règles et le vaccin depuis juin 2021

Revenons sur un an et demi de signalements. Dès juin 2021, des personnes menstruées vaccinées avec des doses Comirnaty (Pfizer/BioNTech) et Spikevax (Moderna) s’inquiètent et témoignent d’anomalies du cycle avec notamment des cycles et des règles plus longs, des flux plus abondants ainsi que, parfois, l’exacerbation de symptômes préexistants — comme les syndromes prémenstruels et les douleurs causées par l’endométriose.

À cette époque, il ne s’agit que de témoignages diffus, souvent sur les réseaux sociaux, et dont la scientificité est insuffisante pour en tirer la moindre conclusion. Mais les personnes affectées par ces troubles, qu’elles attribuent au vaccin, se heurtent globalement à des médecins au mieux sourds à leurs préoccupations, au pire méprisants.

Fin juillet 2021, après que des personnes ayant rencontré des troubles dans leur cycle ont effectué des signalements, l’ANSM note que les troubles du cycle menstruel constatés après la vaccination contre le covid constituent un signal potentiel. Elle avise pour autant, une semaine après, qu’il n’est pas possible d’établir un lien de cause à effet.

Le silence assourdissant a nourri des thèses antivax

C’est un silence assourdissant sur le sujet qui accompagne la fin de l’année 2021 avec toujours des personnes menstruées qui s’interrogent sur des anomalies de cycle et qui se heurtent à un mur. Un silence qui, par ailleurs, alimente les thèses conspirationnistes et dont se nourrit le collectif « Où est mon cycle » — dont les liens avec les figures et les mouvements antivax ne sont plus à démontrer.

Vaccin. // Source : Pexels
Le vaccin n’a aucun effet à risque ou dangereux chez les femmes enceintes. Il est même recommandé. // Source : Pexels

En février 2022, l’Agence européenne du médicament (EMA) s’intéresse au sujet en lançant une évaluation des rapports de cause à effet entre les vaccins à ARNm et les troubles du cycle. En juin 2022, l’agence européenne procédait encore à l’évaluation.

Coup de boost à l’été, réponses à l’automne

Peut-être pour mettre un coup d’accélérateur à cette évolution en recueillant davantage de données, l’ANSM a communiqué durant l’été 2022 auprès des patients sur les modalités de signalement des troubles potentiellement imputables aux vaccins contre le covid. C’est peut-être aussi pour répondre aux attentes d’associations de patients et de professionnels de santé que l’ANSM s’est réunie en juillet 2022 pour discuter du dossier. Il aurait été possible que l’ANSM diligente une enquête de terrain (par exemple par téléphone pour sonder les personnes menstruées ayant reçu une ou des doses de vaccin) mais, d’après nos informations, cela n’a pas été fait.

C’est donc le 28 octobre que parait le rapport du Comité Européen de Pharmacovigilance, logiquement relayé par l’ANSM, qui encourage les professionnels de santé et les personnes concernées par des troubles du cycle après la vaccination à se déclarer. Elle signale que d’autres troubles tels que des cycles plus longs, des retards, sinon des absences de règles, des saignements entre les règles, et une majoration des douleurs d’endométriose ont également été rapportés. Cela qui signifie, qu’à terme, ils pourront être ajoutés à la liste des effets indésirables.

Le temps long de la surveillance des médicaments

Pourquoi ces conclusions ont-elles mis tant de temps à arriver ? Il faut d’abord considérer le temps potentiellement long de la pharmacovigilance. Mahmoud Zureik est professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et directeur de la structure Épi-Phare. Il nous explique la complémentarité de deux approches permettant la connaissance des effets indésirables possibles des vaccins.

La pharmacovigilance « se base sur les déclarations passives des professionnels de santé et des patients »

La première est la pharmacovigilance : « Elle se base sur les déclarations passives des professionnels de santé et des patients. Il n’y a pas de groupe contrôle. Si l’on peut juger d’une plausibilité des effets indésirables décrits, ce type d’approche ne permet pas de déterminer la fréquence de survenue de ces effets. En outre, tous les événements déclarés qui surviennent suite à l’exposition à un médicament, par exemple à un vaccin, ne sont pas forcément (ou évidemment) imputables à ce vaccin. Enfin, il existe des phénomènes notoires de sous-déclarations. » C’est grâce à cette pharmacovigilance que sont remontés les troubles du cycle survenus après la vaccination contre le covid, et que leur ampleur a finalement pu être considérée.

La seconde approche relève de la pharmaco-épidémiologie : « Elle fonctionne comme un essai clinique de phase 3 — sans la randomisation. On compare la fréquence des événements indésirables d’un groupe de patients ayant pris un médicament à un groupe de témoins n’ayant pas pris ce même médicament. » Cela repose sur l’usage d’une base de données. En l’occurrence, notamment, EPI-PHARE : ce sont les données anonymisées des hôpitaux et de remboursement de l’Assurance maladie, contenant tous les actes, consultations, prescriptions de médicaments remboursés de 67 millions d’assurés sociaux en France depuis 2006.

Grâce à cela, « on peut étudier les associations entre la prise d’un médicament et l’occurrence d’éventuels effets indésirable… c’est-à-dire apporter des arguments sur la relation de cause à effet et déterminer leur fréquence », explique l’épidémiologue. Il ajoute que les deux approches sont, en réalité, complémentaires et nécessaires. « La pharmaco-vigilance peut être plus réactive dans certaines circonstances. La pharmaco-épidémiologie peut être plus lente à poser des conclusions mais plus solide. Par ailleurs, l’approche de pharmaco-épidémiologie est plus pertinente quand il s’agit de l’étude des effets indésirables tardifs et à distance par rapport à la prise du médicament (cancer, infarctus de myocarde…). »

On devine ici que la phamaco-épidémiologie a eu son rôle à jouer dans la surveillance des effets indésirables sur le cycle. Les données d’EPI-PHARE ont pu être insuffisantes : non seulement toutes les personnes concernées n’ont pas forcément consulté pour ces troubles, mais il est probable que la plupart n’aient pas reçu de médications et encore moins qu’elles aient été hospitalisées pour cette raison. Alors, le recueil et l’analyse des données auprès des patients et des professionnels de santé ont constitué une pierre angulaire des conclusions des instances de surveillance. Il est probable que l’ANSM et la PRAC aient attendu que les signalements soient réellement massifs pour que le signal potentiel se transforme en effets indésirables avérés.

Des effets indésirables minimisés ?

D’autres raisons peuvent s’ajouter. Le Dr Christian Lehmann, médecin généraliste, a suivi le dossier de la vaccination contre le covid. S’il compte parmi les promoteurs de la vaccination en tant qu’élément essentiel de lutte contre la pandémie et contre la surmortalité qu’elle engendre, il n’en reste pas moins critique.

La question des règles a été « méprisée »

Il nous explique : « Dès le début de la campagne de vaccination, les effets indésirables possibles ont été minimisés sinon niés. Rappelez-vous de ce visuel partagé par Olivier Veran en juillet 2021 : montrant un sosie de Pierre Niney en train de faire du pédalo, celui-ci disait : ‘Si vous avez des courbatures après le vaccin, pas d’inquiétude, c’est que vous avez trop pédalé’. » Ainsi, dès lors que les effets indésirables étaient considérés comme bénins, ils en devenaient invisibles au prétexte de ne pas nuire à la motivation des Français à se faire vacciner.

Christian Lehmann ajoute : « À cette volonté générale de minimiser s’ajoute le fait que les troubles menstruels sont quelque chose de fréquent pour lequel il peut être difficile de faire le lien avec la vaccination — sauf à prendre d’emblée le sujet au sérieux. » Et le fait est que les allongements du cycle ou les règles abondantes sont « souvent considérés de manière méprisante comme des affaires de bonne femme sans grand intérêt », déplore le médecin pour qui ce manque de transparence est une erreur grossière qui a alimenté la défiance envers les vaccins.

Aujourd’hui, les données dont nous disposons sont rassurantes en ceci que les troubles décrits sont transitoires et bénins (ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas anxiogènes ou sans impact sur la qualité de vie). En outre, ils sont autrement moins graves qu’une affection au covid avec les risques de complications – cardio-vasculaires, neurologiques… et de Covid longs qu’elle induit.… Mais ce qui est tout de même moins rassurant, comme l’explique Christian Lehmann, est que « les mécanismes qui conduisent à des règles plus abondantes ne sont pas encore compris. »


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