« Artémis est le premier pas dans la prochaine ère de l’exploration humaine […], la Nasa va établir une présence humaine durable sur la Lune pour préparer les missions vers Mars. » Cette phrase provient bien du site officiel de l’agence spatiale américaine : elle sert à présenter en quelques lignes le programme Artémis, dont la toute première étape doit décoller lundi 29 août 2022.
Pourtant, en regardant dans le détail ce à quoi doit ressembler l’ensemble du programme lunaire, il est bien difficile d’y déceler un quelconque lien avec Mars. Pour rappel, Artémis I, c’est un vaisseau qui va faire un tour de quelques jours autour de la Lune avant de revenir. Artémis II, c’est la même chose en plus long, et avec des humains à l’intérieur. Et, Artémis III, c’est le moment où des hommes et des femmes vont poser le pied sur la Lune pour y passer une semaine avant de revenir, les poches remplies d’échantillons.
« Ni Apollo, ni aucun autre programme lunaire n’a servi à préparer un voyage martien »
Dit de cette façon, cela peut paraître assez basique, mais le programme Artémis est pourtant l’un des plus ambitieux de ces dernières décennies. Ses missions sont d’une importance politique et scientifique indiscutable. Pour autant, le programme n’aura pas un grand rôle à jouer en vue d’un futur voyage vers Mars.
« Ni Apollo, ni aucun autre programme lunaire n’a servi à préparer un voyage martien, assure Nicolas Pillet, c’est un argument tout simplement faux. » L’ingénieur, auteur du site Kosmonavtika dédié au spatial, déplore la mise en avant d’une promesse d’un futur voyage vers la planète rouge, alors qu’aller sur la Lune ou sur Mars n’a quasiment rien à voir.
Certes, dans les deux cas, un voyage habité nécessiterait de se rendre dans un lieu hostile, sans eau, sans nourriture, et sans possibilité de se protéger face aux radiations du Soleil, mais ce sont bien là les seuls points communs.
Avant tout, il faut préciser qu’il n’existe actuellement aucun programme de vol habité vers Mars. Ce n’est tout simplement pas envisagé pour le moment. Et, si la fusée Space Launch System (SLS) devrait être capable de propulser un vaisseau vers Mars, il semble improbable qu’un vaisseau comme Orion soit utilisé pour transporter les futurs explorateurs. Trop petite, la capsule ne pourrait pas transporter les vivres nécessaires, sans compter l’inconfortable promiscuité des occupants pour un voyage de plusieurs mois.
Mais, admettons que l’on crée un autre véhicule (qui n’aura donc rien à voir avec Orion) pour rejoindre Mars, comment arriver à destination ? « Rien que pour l’atterrissage, cela n’aura rien à voir, détaille Nicolas Pillet. La Lune n’a pas d’atmosphère et a une gravité moindre. Nous pouvons nous poser avec de simples rétrofusées, alors que nous nous servons de parachutes sur Mars. »
Mars étant dotée d’une atmosphère (même très ténue), et d’une gravité deux fois plus forte que celle de la Lune, y atterrir et en redécoller sont des opérations infiniment plus complexes. Les modules Apollo qui devaient quitter la surface lunaire n’avaient besoin que d’une propulsion pour se retrouver en orbite. Cependant, quitter Mars avec une gravité plus forte et les frottements de l’atmosphère est une tout autre affaire.
Dans la même idée, porter un scaphandre sur Mars est aussi plus difficile. Avec une gravité plus forte, il sera lui-même plus lourd à porter sur les épaules. Difficile d’imaginer des scaphandres de plus de 80 kilos sur Mars, alors que ce serait supportable sur la Lune. Il en est de même pour les autres matériaux, les éventuelles constructions, les déplacements… Tout est différent sur les deux astres.
Préparer Mars depuis l’ISS ?
Imaginons que ces problèmes soient surmontés. Un voyage sur la Lune peut s’offrir un luxe qu’un séjour sur Mars n’aura pas : la durée. Si les astronautes d’Artémis III ne resteront sur notre satellite que sept jours, il n’en sera pas de même pour les futurs explorateurs de Mars. Ils devront forcément habiter et survivre plus longtemps sur Mars, ce qui signifie qu’ils seront exposés à davantage de radiations et auront plus de risques de subir une tempête solaire. À cela s’ajoute évidemment la question des vivres, de l’oxygène, et tout l’aspect psychologique lié à un voyage aussi long. Autant de choses qui ne sont pas envisagées dans le cadre d’un voyage sur la Lune.
Enfin, les explorateurs martiens devront bien davantage compter sur eux-mêmes. Chaque communication prendra au mieux une vingtaine de minutes, contre quelques secondes sur la Lune, ce qui change drastiquement les moindres procédures.
« Si nous voulons vraiment nous préparer à un voyage sur Mars, ce n’est pas vers la Lune qu’il faut aller, suggère Nicolas Pillet. La Station spatiale internationale serait un bien meilleur lieu d’entraînement. » L’ISS pourrait accueillir des astronautes pendant plus d’un an. Elle est le lieu idéal pour tester les conséquences psychologiques de l’isolement, trouver des manières de survivre sans ravitaillement, et de gérer l’approvisionnement en oxygène.
Alors pourquoi, malgré ces différences, faire d’Artémis le premier pas vers Mars ? « C’est une manière de justifier la mission, estime Nicolas Pillet. Il faut rendre compte au contribuable et faire un peu rêver. »
Malgré tout, le programme Artémis reste fascinant du point de vue scientifique, avec d’importantes retombées attendues grâce à la récolte d’échantillons, beaucoup plus efficace quand elle est menée par des humains que par des robots. De même, Artémis III servira également à placer en orbite les modules d’une future station spatiale lunaire, ce qui devrait améliorer les communications avec notre satellite, de manière à faciliter l’accès à de futurs explorateurs dans les années suivantes. Dans la conquête spatiale, même ce qui ressemble à un petit pas est déjà une prouesse.
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