Dans la mini-série Maid sur Netflix, Margaret Qualley interprète une mère-courage devenue femme de ménage, après avoir fui son compagnon violent. L’actrice y livre une performance inoubliable.

Pendant qu’elle met de l’essence dans sa voiture, l’héroïne Alex (Margaret Qualley) a la tête ailleurs. Les galères s’accumulent. L’agence qui l’emploie comme femme de ménage vient de se séparer d’elle. Sa mère bipolaire (Andie MacDowell) a fait une rechute. Et elle va devoir déménager, pour la énième fois en quelques semaines. Soudain, Alex panique : elle a pompé plus de carburant qu’elle n’a les moyens d’en payer. La jeune femme qui n’a jamais fait l’aumône n’a pas d’autre alternative que de quémander les trois dollars manquants. L’inconnue qu’elle interpelle lève à peine les yeux, le temps de remarquer les boucles chérubines de la fille d’Alex, dans le siège auto. Elle sort son porte-monnaie.

La scène, à mi-chemin de la série Maid, est emblématique de la façon dont cette fiction inspirée des mémoires de Stephanie Land nous bouleverse autant qu’elle nous confronte à nos contradictions. Composée de dix épisodes d’une heure, cette sublime mini-série a rejoint, le 1er octobre, le riche catalogue de programmes de Netflix (cf. notre guide des séries sur Netflix et notre sélection de films).

(Alex) Margaret Qualley et sa fille Maddy (Rylea Nevaeh Whittet) dans Maid.  // Source : Netflix

(Alex) Margaret Qualley et sa fille Maddy (Rylea Nevaeh Whittet) dans Maid.

Source : Netflix

Comment réagirions-nous si nous étions à la place d’Alex ? Pour elle, aucun sacrifice, aucune demande d’aide financière n’est insurmontable ou honteux, tant que cela permet de subvenir aux besoins de sa fille de trois ans. Maddy (Rylea Nevaeh Whittet) est sa raison de (sur)vivre.

Une série qui démultiplie notre empathie

Victime de violences domestiques qu’elle a du mal à nommer (menaces, manipulation), Alex a quitté son compagnon abusif Sean (Nick Robinson) dans une scène d’ouverture aussi terrifiante que celle de Sans un bruit. Dans ses bagages ? Un manteau chaud pour Maddy, son jouet fétiche acheté au dollar store, un cahier d’école encore vierge (Alex rêve de devenir écrivaine). Margaret Qualley, vue au cinéma dans Once Upon a Time in Hollywood et à la télé dans The Leftovers, crève l’écran dans cette fable à la fois banale et extraordinaire d’une mère-courage qui tombe dans la pauvreté, alors qu’elle était destinée à entrer à l’université.

Son physique longiligne d’ancienne ballerine se prête à merveille à ce personnage qui n’est pas un roc, mais plutôt un arbre qui ploie sans se briser, tels les séquoias géants qui entourent le parc à caravanes de la région de Seattle d’où elle s’est échappée. Stoïque, Alex est pourtant en lutte perpétuelle pour compenser l’instabilité extrême de son quotidien et de son entourage. En plus de sa mère aux sautes d’humeur imprévisibles, elle cumule un père addict converti à l’évangélisme et des amis qui se sont tous ralliés à son ex. Elle est comme prisonnière d’un labyrinthe infernal : à peine a-t-elle trouvé une porte de sortie, qu’un autre obstacle surgit. Mais loin de s’étioler, l’empathie du spectateur est démultipliée à chaque nouvelle crise, grâce au talent de l’actrice qui s’érige au panthéon des plus prometteuses de sa génération.

Aide-toi, le ciel t’aidera

À partir de Maid: Le journal d’une mère célibataire (2019), l’écriture toute en finesse de la scénariste Molly Smith Metzler (Orange Is the New Black, Casual) déploie une galerie de personnages réalistes dans leurs imperfections. En artiste hippie incapable d’assumer ses responsabilités, Andie MacDowell est la soupape comique de la série : son amour est sincère, mais mal placé. Au sujet de Maddy, elle s’inquiète par exemple de savoir si « l’étincelle ancestrale » brille dans ses yeux. Même Sean, un barman alcoolique qui trimbale des casseroles familiales, est émouvant de vulnérabilité.

Les maisons luxueuses qu’elle astique sont des lieux de rencontres improbables. La jeune femme qui, elle, dort dans un refuge, les surnomme selon les habitudes des propriétaires et consigne ses observations dans son bien le plus précieux : son journal. C’est là que la série devient politique : la showrunneuse utilise ces niveaux de vie ultra-contrastés pour pointer la double désillusion de l’American Dream. D’un côté, Alex travaille aussi dur qu’elle peut, mais ses revenus (salaires et aides) ne couvrent jamais la totalité de ses dépenses. De l’autre, ses clients privilégiés incarnent l’adage « la piscine ne fait pas le bonheur », surtout Regina (fabuleuse Anika Noni Rose).

Des rencontres qui vont progressivement amener Alex à apprécier la solitude, non pas comme isolement subi, mais comme outil de développement personnel : pour prendre soin des autres, il faut d’abord prendre soin de soi. Peu à peu, ses perspectives d’avenir se déploient au-delà de l’heure du prochain goûter de Maddy.

Andie MacDowell dans le rôle de la mère bipolaire d'Alex.  // Source : Netflix

Andie MacDowell dans le rôle de la mère bipolaire d'Alex.

Source : Netflix

Un rythme enlevé

Les rares moments d’éclaircie ne tombent jamais dans la mièvrerie. Le parcours d’Alex reste aussi palpitant que The Walking Dead, grâce à une mise en scène savamment dosée. Drame, suspense, introspection, ironie et même une touche d’horreur poétique composent l’identité singulière de Maid. Nul besoin de rallonger une scène de procès : quand les dialogues sont remplacés par « légal, légal, légal », l’impuissance d’Alex est palpable. Les flashbacks qui ponctuent la narration contribuent aussi à donner de l’épaisseur à des personnages a priori opaques.

Un réalisation toujours astucieuse — dans un moment de  découragement, l’héroïne est par exemple littéralement engloutie dans le canapé miteux de la caravane. Elle est signée d’un quatuor de femmes et d’un vétéran de la télévision américaine, John Wells. Ce dernier, ex-showrunner d’Urgences, n’a pas son pareil pour filmer l’accident de la route clôturant le pilote, et l’angoisse qui en découle. Le seul reproche que l’on pourrait faire à ce mélodrame solaire est de ne pas représenter la réalité des statistiques. Mais en racontant cette histoire par la lorgnette de son vécu, Stephanie Land parvient à sensibiliser sur des problématiques plus vastes. Maid va vous hanter, dans le bon sens du terme.

Source : Montage Numerama

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