Le final de la saison 2 de Squid Game s’achevait sur une révolte haletante finalement étouffée dans le sang, sous les yeux de Gi-hun (Lee Jung-jae), impuissant. Pendant ce temps, le détective Jun-ho (Wi Ha-joon) continuait de sillonner la région en bateau pour retrouver l’emplacement de l’île.
En ce début de saison 3, un Gi-hun totalement abattu a été ramené dans la salle principale, avec la petite trentaine de rescapés. Le jeu a donc repris ses droits pour le final tant attendue de la série Netflix.
Attention, la suite de cet article contient des spoilers sur la saison 3 de Squid Game.

Squid Game a-t-elle sauté le requin ?
Le premier épisode installe la quatrième épreuve : un cache-cache fatal, dans lequel les personnes cachées doivent trouver la sortie d’un labyrinthe, grâce à des clés de formes différentes. On a désormais atteint ce point de la compétition où les joueurs restants doivent tuer leur prochain pour gagner le jackpot (45,6 milliards de wons, soit 34 millions d’euros) ou être eux-mêmes tués.
Les séquences des jeux restent le point fort de Squid Game. Du cache-cache sous les étoiles à la corde à sauter mortelle en passant par le jeu du calamar aérien, ces scènes d’action nous tiennent en haleine et réservent leurs lots de surprises…
Parmi elles, Jun-hee (Jo yu-ri) perd les eaux en pleine épreuve et se trouve contrainte d’accoucher. Face à ce rebondissement à priori peu crédible, on se demande si Squid Game n’aurait pas sauté le requin.

Cette expression – « jump the shark » en anglais – trouve ses origines dans une scène de la série Happy Days, dans laquelle le personnage du bad boy Fonzie fait du ski nautique au-dessus d’un requin (oui, c’est arrivé). Elle en est venue à désigner ce moment où une série franchit la ligne rouge de la crédibilité. C’est par exemple Debra qui tombe amoureuse de son frère Dexter dans la série éponyme, ou Sara qui revient d’entre les morts dans Prison Break, malgré sa décapitation.
Pour en revenir à Squid Game, on est tentés de penser que faire accoucher un personnage au milieu d’un massacre, c’est un peu sauter le requin. Les scénaristes ne savent plus quoi inventer pour surprendre le public. Pour autant, la série Netflix fait plusieurs fois référence au traumatisme engendré par l’expérience de la guerre.
En opposant les joueurs les uns contre les autres, le jeu dans la série peut ainsi devenir une métaphore de la guerre de Corée (1950-1953), qui a coupé le pays en deux et séparé des familles coréennes pour toujours. Ce que vit Jun-hee, des femmes l’ont certainement vécu au cours d’une guerre ou d’une autre. Elle et son bébé représentent les civils innocents, sacrifiés sur l’autel du patriarcat.

La sorcière, la mère et la guerrière
La jeune femme trouve heureusement des alliées : Hyun-ju (Park Sung-hoon) et Geum-ja (Kang Ae-shim) l’assistent dans cet accouchement express et feront tout pour la protéger, elle et son enfant. Hyun-ju paie son altruisme de sa vie et par un concours de circonstances, Geum-ja se retrouve à devoir tuer son fils.
Elle ne s’en remettra pas et met fin à ses jours, après avoir convaincu Gi-hun de prendre soin de la mère et du bébé. L’épisode suivant, c’est Jun-hee qui doit se sacrifier pour son enfant lors de l’épreuve de la corde, où l’on retrouve Young-hee, l’iconique poupée du fameux « Un, deux, trois, soleil ».
En deux épisodes, on a donc perdu les quatre personnages féminins restants du jeu. Ces joueuses correspondaient à des archétypes féminins. D’abord, la sorcière pour Seon-nyeo, autoproclamée chamane et qui est bêtement tuée durant le cache-cache, après avoir été maligne durant une grand partie des épreuves.

Ensuite, la guerrière pour Hyun-ju, un personnage de femme trans au coeur d’or qui représente une avancée dans la représentation LGBTQ+ en Corée du Sud (malgré sa mort et le fait qu’elle ne soit pas jouée par une actrice trans). Et enfin, les mères sacrificielles incarnées par Jun-hee et Geum-ja.
Du côté des gardiens, Kang No-eul, l’autre personnage féminin important cette saison, est une autre figure de guerrière qui a déserté la Corée du Nord. Mais le personnage se trouve aussi caractérisé par sa maternité : elle protège un joueur dont la petite fille est malade, et a pour but final de retrouver sa propre fille.
Si avec son immense casting choral, Squid Game manque de temps pour développer ses personnages, on aurait tout de même aimé que le showrunner Hwang Dong-hyuk subvertisse davantage ces archétypes féminins. Il suit ici une narration éprouvée, qui marche main dans la main avec une vision conservatrice et essentialisante des femmes. La majorité d’entre elles sont réduites à leur rôle de procréatrice et de pourvoyeuse de soin, jusqu’au sacrifice.
Le preu chevalier et son bébé
Les personnages masculins étant deux à trois fois plus nombreux dans la série, leurs personnalités s’avèrent ainsi moins archétypales et plus diversifiées. Après avoir dépassé son sentiment de culpabilité, Gi-hun retrouve une raison de vivre en sautant à pied joint dans son rôle préféré, celui du sauveur. Il fait tout pour protéger Jun-hee, puis son bébé, qui devient le joueur 222 à la mort de sa mère.

Désormais paré du rôle de père de substitution, Gi-hun porte le bébé partout, à la façon du héros de la série The Mandalorian avec bébé Yoda. On retrouve cette même dynamique du sauveur et de l’enfant entre Joel et Ellie dans la série The Last of Us. Ces nouvelles représentations de la paternité actent le rôle plus important que les pères tiennent dans la parentalité moderne.
Mais dans une analyse vidéo, la réalisatrice Nina Faure observe qu’ils ne prennent pas vraiment soin de leur progéniture. Ils ne leur donnent pas le biberon, ne changent pas leurs couches et ne prennent pas en charge leur éducation affective. Ils évoluent dans le registre de la performativité et usent de violence pour les protéger, comme le ferait un preu chevalier avec une demoiselle en détresse. C’est de cette façon que se comporte Gi-hun dans Squid Game : il joue les héros avec un bébé, symbole de vulnérabilité, dans les bras. Cela renforce sa masculinité, et au final, ne remet absolument pas en cause les rôles genrés.
Stop ou encore ?
Poussive, cette troisième saison souffre d’intrigues secondaires trop visiblement étirées en longueur, pour atteindre le nombre requis d’épisodes commandés par Netflix. Si la série fait encore mouche quand elle se concentre sur les jeux, l’intrigue autour du détective Jun-ho avance avec la lenteur d’un escargot malade.
Malgré le duo qu’il forme avec Woo-seok, caution comique de la série, on se désintéresse assez vite de leurs aventures. Celle des gardiens, qui tourne autour d’un trafic d’organes et du destin de No-eul, fonctionne un peu mieux car elle fait partie du jeu, à sa façon.

À la décharge de Hwang Dong-hyuk, offrir une suite à Squid Game, mini-série bouclée qu’il a développée pendant dix ans, était un peu mission impossible. Il lui fallait étendre la mythologie et nous donner à voir les coutures du jeu. Mais ce dernier s’avère beaucoup plus efficace sans à côté pour nous distraire.
Au final, le showrunner fait face à la même problématique que le Maître du jeu dans Squid Game : aller toujours plus loin dans la violence et la perte d’empathie des joueurs, pour que l’intrigue conserve l’intérêt du public et des VIPs. Quelque part, nous sommes ces VIPs masqués, confortablement installés dans nos sièges, à commenter les faits et gestes des joueurs dans l’arène avec cynisme. Comme eux, nous en voulons encore, et nous nous en remettons au vrai Maître du jeu : Netflix.
Squid Game va au bout de son message
Si elle réserve quelques twists bien sentis, cette ultime saison de Squid Game s’avère globalement décevante à force de longueurs. A l’image d’autres huis-clôt conçus en un nombre limité d’épisodes – comme Prison Break ou La Casa de Papel – poursuivis face à l’engouement du public, sa première saison disait déjà tout de la violence de la société coréenne, du capitalisme mondial et de la désensibilisation de l’humanité.
On peut tout de même saluer la façon dont Hwang Dong-hyuk a exploré dans ces deux dernières saisons (tournées ensemble et qui ne forment qu’une seule intrigue en réalité) les paradoxes de la démocratie à travers le « vote démocratique » des joueurs, qui tourne à l’avantage de ceux qui veulent se massacrer les uns les autres. Tout en étant inégale, cette dernière saison de Squid Game se binge-watche facilement et va au bout de son message en tuant son héros.
Durant le tout dernier jeu, les joueurs restants doivent ainsi sacrifier au minimum trois d’entre eux. Une majorité souhaite tuer le bébé et cherche des arguments pour convaincre le joueur 456 du bien-fondé de leur choix. Finalement, l’un d’entre eux lance à Gi-hun : « Vous n’avez qu’à détourner le regard ». C’est justement ce qu’il se refuse à faire. Dans cet épisode final, il représente le dernier rempart contre la barbarie, celui qui ne se laissera pas corrompre.

Gi-hun n’est plus le « loser » de la première saison : il est devenu celui qui fait ce qui est juste. Après être parvenu à sécuriser le bébé, il n’a d’autres choix que de se sacrifier à son tour, lançant à la caméra un assez peu subtil : « Nous sommes des êtres humains ». C’est l’un des talons d’Achille de Squid Game, série qui porte un message intéressant mais se montre parfois trop démonstrative et explicative.
Le final de Squid Game fera évidemment parler de lui et ne satisfera pas tous les fans. Il aurait pu se terminer par la chute morale de son héros (on apprend que le Maître du jeu était initialement un joueur) : cela aurait bouclé la métaphore sur le capitalisme, qui se transforme et engloutit ses opposants pour mieux survivre. Mais Hwang Dong-hyuk a préféré faire de son héros une figure de martyr résistant, sans toutefois tuer le game.
La toute dernière scène, qui offre un improbable caméo de Cate Blanchett (!), nous fait comprendre que le jeu continue, laissant la porte ouverte à une autre saison ou à un spin-off. Son créateur l’a fait savoir : il a des idées et Netflix sera évidemment toute ouïe pour réinitialiser le jeu de massacres le plus lucratif de son histoire.
Le verdict

Squid Game saison 3
Voir la ficheOn a aimé
- De nouveaux jeux sanglants
- Un bébé Squid Game qui fait tenir toute la saison
- Un univers unique
On a moins aimé
- Des sous-intrigues bâclées
- Des personnages féminins stéréotypés
- Un message redondant
- Un bébé Squid Game, sérieux ?
- Beaucoup trop de longueurs
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