En matière de modération, les streameurs pourraient-ils réussir là où Twitch ne parvient toujours pas à faire la différence ? C’est tout l’enjeu d’une initiative très récente, appelée Place de la Paix. Objectif ? Que les streameurs unissent leurs forces pour sanctionner efficacement et durablement les internautes qui font n’importe quoi dans les tchats.
Présenté dans la soirée du mardi 20 décembre, le projet est porté par deux des personnalités les plus suivies de la scène francophone : Amine (de la chaîne Twitch AmineMaTue) et Billy (RebeuDeter). Le premier est suivi par plus de 1,8 million de personnes sur la plateforme de diffusion en direct, tandis que le second a près de 1,1 million de « followers ».
Une exclusion sur une chaîne Twitch générera des bannissements sur d’autres chaînes
Le principe de fonctionnement de Place de la Paix est simple : les streameurs et les streameuses partagent une liste de pseudonymes pour répercuter uniformément les bannissements. De cette façon, lorsqu’un internaute est exclu d’une chaîne, il l’est aussi sur toutes les autres chaînes membres de l’initiative Place de la Paix. Et plus il y aura de chaînes participantes, plus la peine sera efficace.
Chaque chaîne conserve sa propre politique de modération.
Place de la Paix se focalise sur trois problématiques : le harcèlement, le sexisme et le racisme. Cette liste pourra éventuellement être élargie. Pour le reste, chaque chaîne applique sa propre politique de modération (par exemple en cas de spoiler ou de backseat).
Très concrètement, l’objectif d’Amine et Billy est de proposer une nouvelle solution « pour lutter contre le sexisme, la misogynie et le racisme » dans les tchats. Cela fait longtemps que des dérives régulières sont constatées de la part d’internautes s’exprimant par écrit, et Twitch n’est pas parvenu jusqu’à présent à apporter une solution durable face à ces écarts de conduite.
Ce nouvel outil s’adresse surtout aux femmes qui ont une présence sur Twitch, puisqu’elles sont une cible récurrente d’injures et de propos graveleux. La streameuse Maghla avait illustré son quotidien sur Twitter : photomontages, propos déplacés, appels au viol, « deepfakes pornographiques », envois de photos de pénis en message privé, etc.
L’initiative Place de la Paix ne prétend pas apporter une solution pour la totalité de ces dérapages, qui tombent sous le coup de la loi. Néanmoins, ce projet soutenu par deux gros streameurs français vise au moins à empêcher certaines dérives dans les tchats avec un outil qui se veut dissuasif : un bannissement d’une chaîne équivaudra à un « ban » sur plusieurs chaînes.
Place de la Paix fonctionne à l’aide d’un bot. Les modérateurs d’une chaîne membre du réseau peuvent demander au bot de surveiller un pseudonyme. Une fois que celui-ci est sous surveillance, il est automatiquement mis sous silence pendant 24 heures sur toutes les autres chaînes de l’initiative. Ensuite, une autre équipe a pour charge de valider ou de rejeter cette suspension.
Évidemment, l’outil a certaines limites : Place de la Paix ne pourra pas agir ailleurs si le harcèlement se poursuit hors de Twitch — sur Twitter, par exemple –. L’outil ne pourra pas non plus empêcher un internaute de voir le direct sans compte (il n’est pas nécessaire d’avoir un profil pour suivre un ou une vidéaste pendant sa diffusion). Cela restreint uniquement sa participation dans le tchat.
Mais quid du cas où le fâcheux revient avec un autre pseudonyme ? Ce ne sera pas si simple de revenir, indique Billy : « Ceux qui se referont un autre compte juste derrière, il vous faudra un numéro de téléphone validé pour parler dans nos tchats ». Cette règle du numéro de téléphone et cette longue procédure doivent être des obstacles assez hauts pour décourager tout retour.
C’est ce que prédit Billy : « Vous n’aurez, au bout d’un moment, plus de numéro à faire valider sur Twitch ». En outre, les modérateurs impliqués dans le projet n’auront besoin que d’une seconde pour rebannir les comptes problématiques, ce qui ruinera instantanément les efforts consentis pour revenir avec un autre numéro de téléphone, par exemple.
Bannir aussi les « haters » sur les chaînes qu’ils aiment
Cela faisait quelques mois que ce projet était en gestation. Lors d’un passage dans l’émission Popcorn de Domingo, une autre personnalité de Twitch, Billy avait évoqué son idée de liste noire commune. L’intéressé reconnaissait que le succès d’un tel « index » dépendrait de la participation des plus grosses chaînes, comme celles de Squeezie, Antoine Daniel Zerator, Gotaga ou encore Kameto.
Le raisonnement de Billy était le suivant : les personnes qui se comportent très mal sur les tchats le font plutôt sur des chaînes qu’elles ne suivent pas et qu’elles n’apprécient pas. Par contre, elles évitent de faire n’importe quoi à l’intérieur des communautés qu’elles apprécient. En clair, un spectateur « fan » de Billy attaquera plutôt Maghla que Billy.
Dès lors, les sanctions que peut prendre Maghla n’ont pas d’impact : certes, le « fan » de Billy sera banni de la chaîne de la streameuse, mais il pourra toujours discuter sur le tchat de Billy et sur tous les autres tchats de Twitch. Ici, le bannissement n’a que peu d’impact puisque l’indélicat est sanctionné par une chaîne qu’il ne fréquente pas vraiment.
D’où l’idée d’aller taper là où ça fait mal, dans les centres d’intérêt de ceux qui se comportent mal. C’est pour cela qu’il y a tout intérêt à mobiliser assez de streameurs et de streameuses de renom, aux activités et aux communautés diverses, pour finir par atteindre les chaînes préférées des « haters », pour qu’ils subissent vraiment les conséquences de leurs actes.
Parce que les communautés de Twitch ont, pour certaines, un vrai problème. Elles semblent être entrées dans une logique de confrontation les unes par rapport aux autres. C’est indirectement la conséquence d’une certaine fragmentation de la scène Twitch, et de sa démocratisation : les streameurs et les streameuses se regroupent aussi par affinité, ce qui donne une impression de clan.
Ce phénomène a donné lieu à des dérapages importants, et parfois à des formes de cyberharcèlement. Le cas le plus emblématique est peut-être incarné par Ultia, une streameuse qui est régulièrement prise pour cible par des internautes parce qu’elle a fait une fois un reproche au streameur Inoxtag — qui pourtant avait donné raison à Ultia et admis son erreur.
Ce cyberharcèlement, apparu en 2021 lors de l’évènement Z Event (Ultia et Inoxtag y participaient tous les deux), n’a pas cessé depuis, au point que la vidéaste a fini par porter plainte. Inoxtag, épinglé par Ultia pour des propos sexistes et misogynes, a continuellement appelé son public à arrêter de l’agresser. Billy et Amine ont aussi demandé la même chose, sans grand succès.
Le succès de l’outil dépendra aussi de son adoption par les stars de Twitch
Place de la Paix apparaît de fait comme la conséquence du recadrage d’Inoxtag par Ultia et de divers autres reproches qui apparaissent parfois entre communautés de streameurs — un autre cas montrant les fractures au sein de la scène Twich avait concerné le match de football entre la France et l’Espagne, à cause de la présence de personnalités jugées inappropriées.
Depuis la présentation de l’outil, quelques personnalités et structures de premier plan ont manifesté leur soutien à Place de la Paix, comme le Joueur du Grenier ou bien Solary, une équipe spécialisée dans l’esport. Billy aussi va participer, tout comme Amine. Les deux partenaires se disent confiants sur le succès du projet, avec le ralliement de beaucoup d’autres chaînes.
Salué, l’outil a néanmoins soulevé des questions additionnelles : qui sera membre de cette équipe de modération dédiée à Place de la Paix ? Quelle sera aussi la sécurité et la fiabilité du bot, pour limiter des dysfonctionnements ? Sera-t-il aussi open source, pour que son code soit examiné ? Faudrait-il étendre le bot à d’autres types de discrimination ? Si oui, lesquelles ?
SI Place de la Paix est une initiative encourageante et prometteuse, elle illustre en creux la défaite de Twitch en matière de modération et de protection des vidéastes. Il faut en effet que des particuliers prennent bénévolement les choses en main pour essayer de faire bouger les lignes. Si la plateforme a mis en place des outils au fil de l’eau, ils s’avèrent encore insuffisants.
Il reste maintenant à déterminer si ce bot fera la différence, dont l’efficacité dépend aussi de la vigilance des modérateurs. Mais si cela marche, quel terrible échec ce serait pour Twitch, qui n’aura pas réussi à faire mieux qu’une équipe de bénévoles, et cela malgré les moyens considérables dont peut bénéficier la plateforme, à travers Amazon, sa maison mère.
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