Des startupers religieux rêvent de bâtir dans les zones rurales des États-Unis, des enclaves chrétiennes ultra-connectées. Soutenu par New Founding, un fonds d’investissement conservateur, le projet Highland Rim est une tentative concrète de faire naître l’un de ces refuges sur fond de techno-libertarianisme et d’idéologie nationaliste.

Dans la campagne des Appalaches, dans le Tennessee, une nouvelle communauté voit le jour, animée par le projet Highland Rim. Derrière ce nom, le promoteur immobilier Ridge Runner et le fonds de capital-risque New Founding – liés à la droite américaine dure – imaginent bâtir des communautés “qui célèbrent un mode de vie américain traditionnel, centré sur la famille, la foi, la liberté, l’agriculture et un retour à la nature” explique à Numerama Joshua Abbotoy, tête pensante de ce refuge chrétien nationaliste moderne dont les lotissements ont été mis en vente à partir de 2024.

Prix de départ : 30 000 dollars.

Des pionniers 2.0

Le projet s’inspire des premiers colons d’Amérique, qui “auraient construit des églises presque immédiatement” là où ils passaient, affirme le directeur de Ridge Runner, accessoirement directeur associé de New Founding. À ce titre, il confie prévoir “dans plusieurs quartiers un espace pour la construction d’une église”. Si son plan semble conservateur, il s’appuie néanmoins sur les réseaux sociaux ainsi que sur le travail de Balaji Srinivasan, capital-risqueur proche du co-fondateur de PayPal, Peter Thiel, également ancien associé d’Andreessen-Horowitz, la société dirigée par l’investisseur Marc Andreessen — derrière le premier navigateur web.

Balaji_Srinivasan
Balaji Srinivasan au TechCrunch Disrupt de 2017 à San Francisco, en 2017 // Source : Wikimedia Commons

Dans son livre The Network State : How To Start a New Country sorti en 2022, Balaji Srinivasan théorise l’idée du “network state” (ndlr, État réseau en français), une sorte de cité-État privée autonome sur les plans financier, administratif et civil. Cette entité se pose en concurrence directe avec les états nations, en place depuis plusieurs siècles. Mais pour y parvenir encore faut-il attrouper des individus aux valeurs similaires pour créer des communautés virtuelles prêtes à s’installer sur un territoire donné.

Joshua Abbotoy avoue s’être appuyé sur la partie numérique du projet : “les technologies numériques permettent de trouver plus efficacement une communauté et c’est une idée que nous avons étudiée et utilisée dans le cadre de notre stratégie.” C’est la raison pour laquelle ses cibles sont “les télétravailleurs, les fondateurs de startups, les capital-risqueurs, les propriétaires d’entreprises de taille moyenne et les entrepreneurs crypto, très flexibles quant à leur lieu de résidence”. “Nous acceptons les investissements en Bitcoin. Nous encourageons d’ailleurs toute entreprise qui s’installe dans nos quartiers à utiliser Bitcoin autant que possible” abonde l’homme d’affaires.

Highland Rim
Highland Rim // Source : New Founding

Une aspiration à la souveraineté culturelle

Pour autant, peut-on parler de network state chrétien ? Les communautés d’Highland Rim devraient être conçues autour d’une “autogouvernance numérique […] où les droits civiques, principalement ceux de propriété, de liberté d’expression politique et d’armement civil, pourront être préservés » détaille l’un des premiers clients du projet, Andrew Isker, pasteur père de six enfants qui a confié au journaliste trumpiste Tucker Carlson avoir choisi de quitter le Minnesota pour fuir les excès progressistes du gouverneur Tim Walz, craignant qu’on ne mette une robe à son fils autiste.

Nous ne cherchons pas à construire un network state” martèle le promoteur immobilier. “Les citoyens disposent de nombreuses options pour bâtir une communauté sans avoir à interagir avec le gouvernement, mais nous opérons pleinement dans le respect des lois locales et, bien sûr, nous n’avons aucune intention de faire autrement” assure-t-il. Il évoque pourtant un objectif de “souveraineté culturelle”.

L’historien Raymond B. Craib qui a étudié les tentatives de sécession des ultra-riches dans son livre Adventure Capitalism : A History of Libertarian Exit from the Era of Decolonization to the Digital Age qui a répondu aux questions de Numerama pointe la “logique de colonisation interne anti-DEI” de l’aventure immobilière, à savoir la politique dite de la diversité, de l’équité et de l’inclusion promue à l’échelle des États-Unis : la loi fédérale sur les droits civils interdit la discrimination fondée sur la race, la couleur, la religion, l’origine et d’autres catégories, notamment en matière de vente de logements.

Highland Rim est une forme de réponse directe aux avancées progressistes antiracistes et sociales portées par des États comme la Californie”, développe Stephanie Lamy, enseignante en relations internationales à Sciences-Po Toulouse auprès de Numerama. “Cela illustre bien le besoin émotionnel de l’extrême droite d’un ‘espace sûr’, puisque non seulement elle est en désaccord avec les progressistes, mais elle ne supporte pas non plus la présence de ces personnes à proximité” ponctue quant à elle la journaliste Katherine Stewart, qui a écrit de nombreux ouvrages sur le nationalisme chrétien.

Les invités surprise des libertariens 

Si 70 familles ont d’ores et déjà acheté des terrains à Ridge Runner, sans compter les 2 000 ménages sur liste d’attente, il n’est pas dit que le projet soit un succès. Raymond B. Craib évoque le Free State Project. “L’idée était d’inciter 20 000 personnes à s’installer dans le New Hampshire pour transformer de nombreuses régions de l’État en véritables havres libertariens. Il s’agissait donc de réduire l’influence étatique en infiltrant les conseils municipaux et en vidant les localités de l’intérieur.” L’historien nous offre une illustration concrète des conséquences de ce projet en évoquant la ville de Grafton. “Les libertariens ont ravagé la municipalité au point que les ours sont sortis des montagnes et ont envahi la ville” conclut le professeur à l’université Cornell. À moins que les ours ne soient soudain pris d’un goût pour les terrains vagues dans le Tennessee, les quartiers d’Highland Rim ont encore un peu de répit.

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