Là où Le Réveil de la Force jouait une partition efficace mais trop calquée sur son modèle d’origine, Les Derniers Jedi marque une rupture incontestable avec les fondements de Star Wars. Mais la franchise gagne-t-elle vraiment au change en adoptant la formule Marvel si chère à Disney ?

En s’attaquant au Réveil de la Force, septième épisode de Star Wars et premier volet d’une nouvelle trilogie entamée en 2015, J.J. Abrams visait un objectif clair : livrer une suite satisfaisante à la saga, autant pour les fans de la première heure que pour les nouveaux venus, tout en ouvrant la voie à son successeur attitré, Rian Johnson.

Ce n’est qu’avec Les Derniers Jedi, le huitième épisode sorti en salle ce 13 décembre, que la franchise rachetée par Disney en 2012 pour 4 milliards de dollars devait s’affranchir de son héritage pour s’engager sur une voie novatrice , basée sur les personnages introduits dans le Réveil de la Force — et les nouveaux venus des Derniers Jedi –, des idées neuves et une structure distincte, à distance raisonnable du modèle Un Nouvel espoir/L’Empire contre-attaque/Le Retour du Jedi.

Si Rian Johnson rompt indéniablement avec le passé, il adopte ce faisant la formule Marvel chérie par Disney (qui l’exploite jusqu’à l’excès depuis 2009), quitte à faire perdre sa singularité à la franchise Star Wars. Explications (garanties sans spoiler).

Les enjeux au détriment des personnages

Avec le Réveil de la Force, J.J Abrams signait un film empreint de nostalgie honorifique, quitte à manquer d’originalité. Le réalisateur introduisait dans l’univers Star Wars de nouveaux personnages prometteurs — Finn, Rey, Poe Dameron, Kylo Ren, Snoke — tout en utilisant intelligemment les anciens (Han Solo, Leia, Luke), sans trop les mettre en avant. Surtout, il reprenait la recette fondatrice de Star Wars : un ensemble de protagonistes que tout oppose mais se retrouve confronté à une menace commune.

S’il est plus que légitime d’attendre du volet central d’une trilogie un approfondissement de ses personnages — Harrison Ford avait ainsi conditionné son retour dans L’Empire contre-attaque au développement de Han Solo –, Rian Johnson, dans son désir de rompre avec le passé, relègue malheureusement cet aspect au second plan pour se focaliser sur une lutte convenue entre le bien (la Résistance) et le mal incarné (le Premier Ordre). À l’instar d’une franchise Marvel comme les Avengers, où les super-héros sont obligés de s’associer pour faire face à un danger épique, ici, les personnages se multiplient mais restent cantonnés à des rôles purement utilitaires liés à cette menace sans précédent.

Ainsi, Finn, dont la confiance acquise à la fin du Réveil de la Force après une longue période de doutes promettait beaucoup, rebascule dans le rôle d’un sidekick toujours en train de cavaler et de multiplier les blagues. Il est cette fois accompagné de Rose, une partenaire asiatique qui coche la case de la diversité mise en avant par Disney… mais qui ne sert qu’à débiter des répliques pleines de bons sentiments. Poe Dameron se retrouve pour sa part relégué dans l’archétype du pilote génial mais rebelle, en conflit avec sa hiérarchie, sans jamais en sortir.

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Luke et Leia, de héros à super-héros

Certes, Luke, Rey et Kylo Ren bénéficient d’un certain développement, inévitable puisqu’ils représentent le trio central de ce nouveau volet et garantissent de fait l’avancée du scénario. Mais Les Derniers Jedi reste volontairement avare en informations sur le passé de Luke, préférant se contenter du strict minimum et recourir à du fan service à outrance autour du maître Jedi.

Pire : Leia fait pour sa part l’objet d’une glorification permanente, sans véritablement agir ou influer sur les événements. La révérence que lui témoigne chaque personnage renvoie inévitablement, de manière perturbante, à celle manifestée par les fans depuis la mort de Carrie Fisher. Si l’urgence de la situation justifiait que Leia reste peu active dans Le Réveil de la Force, ici, son omniprésence fait d’autant plus ressortir son immobilisme — elle est d’ailleurs la première à vouloir passer la main aux générations suivantes –, au même titre que le mystère qui entoure encore son vécu lors des 30 années écoulées entre les deux trilogies.

Luke — dont Rian Johnson est un fan auto-proclamé — et Leia apparaissent de fait comme deux figures super-héroïques à la Marvel, littéralement intouchables en raison de leur statut dans la galaxie, mais surtout auprès des fans. Les deux personnages, aussi emblématiques soient-ils, y perdent en profondeur plus qu’ils n’y gagnent, là où L’Empire contre-attaque développait la personnalité de Leia grâce à son histoire d’amour naissante et compliquée avec Han Solo et celle de Luke, perturbé par la révélation de Vador sur leur lien de parenté.

Daisy Ridley (Rey)

Les attentes des fans comme critère scénaristique ?

Les Derniers Jedi maintient ainsi artificiellement les personnages dans une sorte d’activité permanente justifiée par une succession de rebondissements permanents, pour justifier de leur non-développement. Leurs enjeux personnels sont ainsi réduits au strict minimum, dans le seul but de s’acheminer vers un final aussi prévisible que grandiloquent. Le tout ressemble à une course typique d’un film de super-héros, dans lequel les différents affrontements épars entre les héros et les méchants ne font qu’annoncer une bataille finale qui se veut épique grâce à une débauche de moyens et de scènes pompeuses.

Pour ne rien arranger, Les Derniers Jedi adopte un humour décalé à la Marvel, à base de gags souvent déplacés, tel Luke qui jette le sabre laser reçu des mains de Rey à son arrivée sur Ach-Too… dans le seul but de dédramatiser la scène de conclusion marquante du volet précédent. Ce parti-pris, usé et abusé (avec les Porgs notamment), lasse très vite.

Quand un film Marvel cherche à jouer avec les attentes des fans de chaque franchise en reprenant telle ou telle version d’un costume, ou tel élément de la mythologie d’un super-héros plutôt qu’un autre, Les Derniers Jedi repose sur une base inversée : le film semble avoir pour seul but de prendre le contrepied des attentes des fidèles, pour mieux jouer la carte de la surprise.

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Un parcours initiatique digne d’un super-héros

« Vous vous attendiez à telle révélation sur le passé de Rey ou sur Snoke ? Hé bien non, vous aviez tout faux et on vous le prouve » semblent crier plusieurs scènes, quitte à hypothéquer l’avenir scénaristique de la saga au passage. Peu importe, l’essentiel est de surprendre à tout prix, et Rian Johnson sait s’y prendre, lui qui reconnaît avoir lu toutes les théories de fans qui circulent sur Internet.

Que reste-t-il de Rey, une fois que le mystère autour de son passé a été levé — voire expédié en quelques secondes ? Une jeune femme confrontée à une apprentissage plus proche de celui d’un héros Marvel qui découvre ses pouvoirs, à la manière de Spider-Man.

Il n’est plus tellement question de s’attacher au personnage pour sa personnalité et son vécu, mais plutôt d’observer sa montée en puissance progressive dans son utilisation de la Force/son super-pouvoir, là où l’évolution de Luke était justement intéressante parce que cette progression se faisait en parallèle de son conflit personnel avec Vador. Le développement clivant proposé par Les Derniers Jedi autour de la nature de la Force fait lui aussi disparaître une partie de la singularité de l’univers de Star Wars pour y glisser des éléments récurrents dans le monde de Marvel.

Une perte d’ADN

Certes, la trilogie originale Star Wars repose sur une confrontation manichéenne entre une force a priori inarrêtable (l’Empire) et des héros aux moyens limités (les rebelles). Mais elle séduit surtout grâce à ses personnages, qu’il s’agisse de la princesse rebelle (Leia), du beau parleur têtu au grand cœur (Han Solo), du héros improbable sorti de nulle part (Luke) ou encore d’une figure maléfique mystérieuse (Dark Vador).

Les Derniers Jedi, en s’appuyant sur des discours téléphonés et répétés mot pour mot par différents personnages jusqu’à l’indigestion (la fameuse comparaison de la Résistance avec l’« étincelle censée détruire le Premier Ordre », citée dans les trailers), saupoudrée d’un manque de subtilité flagrant, tente de dramatiser son propos sans succès. Notamment en empruntant de nombreux éléments à Rogue One, alors que ceux-ci s’avéraient pertinents dans le seul cadre de ce spin-off bien précis.

La scène de conclusion est particulièrement parlante à ce titre : consacrée à un élément secondaire là encore surprenant mais discutable, elle semblerait plutôt trouver sa place dans l’une des fameuses scènes post-générique de Marvel qu’en conclusion d’un épisode de la saga créée par George Lucas.

Rian Johnson est sûr de diviser, mais pas de convaincre

Star Wars gagne-t-il vraiment au change en abandonnant son ADN centré sur des personnages stéréotypés mais étoffés au fil de leur périple, au profit d’une simplification de ses héros, d’une glorification à outrance de certaines figures et de discours larmoyants à propos d’une lutte à grande échelle dont on peine malheureusement à voir les enjeux concrets loin de ces belles paroles ?

C’est le pari tenté par Rian Johnson, qui s’offre la garantie de diviser les fidèles — à défaut de convaincre. Disney, de son côté, a visiblement déjà tranché en lui confiant les rênes de la future trilogie, avant même la sortie des Derniers Jedi. Comme si l’essentiel, pour le géant du divertissement, n’était pas de rester fidèle à l’esprit de la saga, mais simplement de le faire rentrer dans le moule d’une production populaire toujours plus standardisée.


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