L’argument a été lancé pendant la campagne présidentielle : élu, Donald Trump fera en sorte de relocaliser Apple aux État-Unis. Désormais au pouvoir, le président a détaillé la tactique qu’il compte suivre pour y parvenir.

C’était l’un des arguments clés de campagne de Donald Trump, alors dans la course à l’élection présidentielle. Bien décidé à rendre l’Amérique « great again », le candidat du parti républicain avait jugé nécessaire de forcer Apple à relocaliser sa production aux États-Unis, afin que ses produits soient construits au pays et non pas dans les usines chinoises, de façon à donner du travail aux Américains.

« Je vais demander à Apple de se mettre à fabriquer ses ordinateurs et l’iPhone chez nous… comment cela peut-il nous aider quand [l’entreprise] les fabrique en Chine ? », s’était étonné l’homme d’affaires. Mais à l’époque, il s’agissait surtout des incantations : le rival d’Hillary Clinton n’avait pas vraiment détaillé les mesures à prendre pour réussir à plier la firme de Cupertino.

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Huit mois plus tard, la donne a changé. Le candidat s’est mué en président-élu et il va lui falloir transformer ses (nombreuses) promesses de campagne pour qu’elles deviennent réalité. Concernant Apple, le chef de l’État a commencé à détailler son plan de bataille dans le cadre d’une interview au New York Times. Plutôt que de brandir le bâton, c’est plutôt la carotte qui sera agitée.

Au journal, Donald Trump raconte avoir eu une conversation téléphonique avec Tim Cook, le PDG d’Apple. À cette occasion, le président a expliqué ses vues au chef d’entreprise. Il estime que la construction d’une énorme usine Apple aux États-Unis, ou même plusieurs, constituerait un grand accomplissement, au lieu d’aller fabriquer des appareils en Chine ou au Vietnam.

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D’après Donald Trump, Tim Cook a dit comprendre la position du républicain sur cette logique de patriotisme économique. Le nouveau locataire de la Maison Blanche a alors enchaîné sur les leviers qu’il pense activer pour y parvenir : les incitations fiscales. Le chef de l’État les veut suffisamment fortes pour que même une firme comme Apple déplace sa production aux USA.

« Nous allons réclamer une réduction d’impôt très importante pour les sociétés, ce dont vous serez satisfaits. Mais pour aller demander ces importantes baisses, nous devons nous débarrasser des réglementations. Ces dernières rendent cette politique impossible », a-t-il expliqué, visiblement déterminé à aller très loin dans la dérégulation et les avantages aux entreprises.

Nous allons réclamer une réduction d’impôt très importante pour les sociétés, ce dont vous serez satisfaits

Et Donald Trump d’ajouter : « que vous soyez libéral ou conservateur, je veux dire, je pourrais vous faire asseoir et vous montrer des réglementations vis-à-vis desquels tout le monde serait d’accord pour dire qu’elles sont ridicules. Ce sera un chacun pour soi. Et les entreprises qui peuvent pas suivre, qui ne peuvent même pas démarrer, qui ne peuvent pas se développer, elles étoufferont ».

Selon les informations du Nikkei Asian Review, se basant sur une source anonyme, Apple aurait commencé à tâter le terrain en demandant à deux sous-traitants asiatiques, Foxconn et Pegatron, d’envisager la perspective de déplacer la production de l’iPhone aux États-Unis. Le quotidien nippon précise que cette demande aurait été formulée au mois de juin, bien avant l’élection présidentielle.

Des tentatives de relocalisation

Bien avant le phénomène Trump, Apple s’était essayé à un rapatriement partiel de ses activités. Début décembre 2012, Tim Cook avait annoncé le retour de la production aux USA des ordinateurs Mac pour 2013. L’ampleur de l’effort a toutefois été limité : le degré d’investissement, certes de 100 millions de dollars, n’aurait permis, en tout et pour tout, que de créer 200 emplois.

Il y a également eu la décision, fin 2013, de construire un site en Arizona pour produire des composants. Le chantier, qui a mobilisé 1 300 personnes, a donné naissance à une usine employant 700 salariés, en partenariat avec GT Advanced Technologies, un spécialiste des cristaux liquides, qui entrent dans la composition des écrans. Dans ce cadre, Apple a mis sur la table 578 millions de dollars.

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En théorie, GT Advanced Technologies aurait dû rembourser cette somme à partir de 2015. Mais au début du mois d’octobre 2014, le fournisseur de saphir — un matériau qui sert à renforcer la solidité des écrans, en les rendant moins sensibles aux rayures — a demandé à être placé sous la protection de la loi sur les faillites. Des contrats jugés « abusifs » par le partenaire d’Apple ont été dénoncés.

Cette mode du made in USA, qui s’est un temps emparé d’Apple, du moins en apparence, et qui pourrait bientôt être une réalité pour d’autres produits de la marque du fait de la politique promise par Donald Trump est toutefois analysée avec circonspection par des analystes, des économistes et des responsables de la firme de Cupertino, il n’est pas concevable de rapatrier vraiment la production de l’iPhone.

Les gens chez Apple créent beaucoup de richesse en construisant des ordinateurs, pas parce qu’ils opèrent des usines de fabrication.

« Les gens chez Apple créent beaucoup de richesse en construisant des ordinateurs, pas parce qu’ils opèrent des usines de fabrication. Ils font de la recherche et du design et gèrent la chaîne d’approvisionnement elle-même. Tout ça est essentiellement de la valeur ajoutée pour les États-Unis. Ce sont des emplois hautement qualifiés qui sont très, très importants pour notre économie et qui sont essentiellement notre avantage concurrentiel », a ainsi fait observer Dale Jorgenson, un économiste à l’université Harvard.

Même son de cloche, quatre ans plus tôt, d’Andre Sharon, professeur à l’université de Boston. « Tant de savoir-faire a été perdu au profit de l’Asie, et il n’y a aucune raison décisive pour que celui-ci revienne. C’est formidable lorsqu’une entreprise dit qu’elle veut créer des emplois américains. Mais c’est seulement utile au pays […] si cela est un point de départ d’une réaction en chaîne ou une partie d’un grand changement économique ».

Et le New York Times d’enfoncer le clou la même année : « ce qui a incité Apple à faire assembler ses téléphones en Chine n’est pas tant le faible coût de la main-d’œuvre que sa flexibilité : là-bas, on peut tirer du lit 8 000 ouvriers en pleine nuit et les mettre au boulot ». Et le journal américain de citer un responsable de l’entreprise pointant la déqualification de la main d’œuvre américaine pour

« On ne devrait pas nous reprocher de faire appel à la main-d’œuvre chinoise. Les États-Unis ont cessé de former des gens présentant les compétences dont nous avons besoin ». «Selon les responsables d’Apple, il n’y a tout simplement pas assez de travailleurs disposant des qualifications nécessaires aux États-Unis, et pas assez d’usines suffisamment flexibles et réactives », complétait le journal.

Les États-Unis ont cessé de former des gens présentant les compétences dont nous avons besoin

D’après le Nikkei Asian Review, il est toujours possible d’imaginer une relocalisation des usines Apple aux États-Unis. Mais d’après une de ses sources, cela aurait pour effet de doubler le coût de fabrication du smartphone. Et il n’est pas certain qu’Apple accepte de réduire ses marges pour ne pas augmenter le prix de vente prévu pour le consommateur.

Une troisième voie pourrait peut-être se dégager. À défaut de basculer toute la production aux États-Unis, Apple pourrait chercher à créer des installations au pays de manière à ce qu’une petite partie de ses terminaux soit assemblée (totalement ou partiellement) aux USA, de la même manière que ce qui a été fait pour les Mac. Apple flatterait ainsi son image de marque et contenterait Donald Trump.


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