Les constructeurs chinois sont perçus comme une menace en Europe. Partie de rien il y a quelques années, la Chine compte désormais des groupes automobiles capables de bouleverser l’équilibre mondial. En apportant de nouvelles technologies, des coûts réduits et une approche différente de celle que l’industrie automobile a connue, ils créent un électrochoc dans le secteur.
Pourtant, avant de redouter leur arrivée en Europe, encore faut-il qu’ils survivent à la guerre commerciale qui fait rage sur leur propre marché. Cette soif de conquête est surtout une fuite en avant pour bien des marques chinoises. De l’avis même d’experts chinois, beaucoup disparaîtront dans les prochaines années. Lors de notre voyage en Chine avec Renault, en ce mois d’octobre 2025, nous avons pu échanger avec l’un des experts de l’écosystème chinois, Dr Jack Yu, et voilà ce qu’il nous en a dit.
Une croissance qui étonne même les Chinois
« Jamais je n’aurais imaginé la Chine comme exportateur, tant le pays aimait les voitures importées », a déclaré en entamant sa présentation le Dr Jack Yu — auteur de plusieurs ouvrages sur l’industrie automobile chinoise, directeur du magazine Automotive Business Review et initiateur de plusieurs événements du secteur. Témoin privilégié de la transformation du marché, il rappelle : « Il y a plus de 20 ans, il n’y avait pas de constructeurs nationaux. » Avant d’ajouter : « Et aucun dans le top 10 mondial il y a encore 10 ans. » Une telle ascension paraissait inimaginable. Aujourd’hui, l’automobile est pourtant devenue l’un des piliers de l’économie chinoise.

La Chine a développé les véhicules à nouvelle énergie (NEV) — regroupant les hybrides rechargeables, les modèles à prolongateur d’autonomie (EREV) et les 100 % électriques — pour réduire sa dépendance au pétrole étranger (72 % d’importations). Cette stratégie s’inscrit aussi dans une ambition nationale de neutralité carbone à horizon 2060, avec des quotas d’émissions (une sorte de norme CAFE à la chinoise) qui se durcissent d’année en année.
Pour y parvenir, le gouvernement chinois a mis les moyens, en soutenant la transition dès 2001 par des aides à l’achat. Progressivement, les subventions sont amenées à disparaître : il y aura notamment 50 % d’aides en moins dès l’année prochaine. En parallèle, la Chine a massivement investi dans l’infrastructure de recharge : le dernier plan public s’élève à plus de 3 milliards d’euros (25 milliards de RMB). Le pays a dépassé les 17 millions de points de recharge, un maillage qui continue de s’étendre au rythme des innovations technologiques : architectures 400 V, 800 V et désormais 1000 V (surnommées flash-charging).
Les mentors dépassés par les apprentis
La réussite automobile chinoise ne vient pas de nulle part. Les coentreprises imposées aux constructeurs étrangers ont permis de bâtir tout un écosystème industriel dont la Chine récolte aujourd’hui les fruits. « Les marques occidentales ont été des mentors, les Chinois ont acquis de l’expérience grâce à cela et ont gagné énormément de temps », résume le Dr Jack Yu. Mais ces anciens élèves ont fini par dépasser leurs professeurs plus vite que prévu.
Les marques étrangères perdent chaque mois des parts de marché, non pas uniquement à cause d’un nationalisme croissant, mais parce qu’elles visent un public plus âgé. « La part de clientèle de la Gen Z est passée de 5 à 35 % en quelques années. Les moins de 35 ans représentent 52 % des acheteurs des marques locales », précise Jack Yu. En Chine, l’âge moyen d’un acheteur est de 35 ans, contre près de 55 ans en Europe. Une génération connectée, exigeante, friande de nouveautés, à laquelle les constructeurs occidentaux n’ont pas su parler. Les marques locales, elles, conçoivent un modèle en moins de 2 ans. Un rythme que Renault veut dupliquer pour ses futurs modèles, la Twingo électrique à venir en étant le premier exemple concret.
Cette révolution n’aurait pas été possible sans une transformation profonde du pays : le pouvoir d’achat a bondi, et les Chinois passent beaucoup plus le permis de conduire (580 millions ont le permis aujourd’hui, contre 190 millions en 2010). Il y a 15 ans, seuls 58 Chinois sur 1 000 possédaient une voiture ; ils sont désormais 230. La voiture n’est pas seulement un moyen de transport, c’est un marqueur de statut : ce qui explique probablement le succès des véhicules de 5 mètres, bien plus fréquents en Chine qu’en Europe.

Un jeu de survie est en cours
Derrière une croissance qui fait tourner la tête à bien des constructeurs européens, le marché chinois reste l’un des plus impitoyables. Dr Jack Yu l’a qualifié de « rat race » et de « survival game » — entre la foire d’empoigne et le jeu de survie, en français — qui va tuer toutes les marques qui n’arrivent pas à se distinguer et à rentabiliser l’activité. « Plus certains vendent, plus ils perdent d’argent », résume-t-il. Les chiffres de production et les bilans flatteurs masquent souvent une réalité moins glorieuse : des montages financiers fragiles et des pertes dissimulées sous le tapis.
C’est ce qu’on appellerait en Europe « pousser du métal » : produire pour faire tourner les usines et sauvegarder les apparences, quitte à brader ensuite pour écouler les stocks. La guerre des prix en Chine prend exactement cette forme. Et malgré les coups de semonce du gouvernement à cesser ce qui pourrait bien tuer la moitié des concurrents en place, les remises et immatriculations tactiques continuent, histoire d’afficher des chiffres de croissance qui ne veulent plus rien dire, tant chaque voiture vendue creuse les pertes.

Le développement à l’international est une porte de sortie, voire une bouée de sauvetage. « C’est le moyen le plus simple pour ces constructeurs de faire des profits », admet Jack Yu Mais si tous se lancent à l’étranger, ils risquent d’exporter avec eux la guerre des prix qu’ils tentent de fuir. Les constructeurs chinois veulent pourtant bien faire : construire des usines sur place, adapter leurs produits, restituer un peu de ce qu’ils ont appris des coentreprises. Reste un obstacle de taille à résoudre : « appliquer en Europe la mentalité ‘workaholic’ chinoise est impossible. » Comment la coopération va-t-elle pouvoir fonctionner ?
Qui survivra, et qui tombera ?
À l’issue de sa présentation, nous avons voulu pousser le Dr Jack Yu un peu plus loin dans sa réflexion. Pense-t-il, comme le patron de Xpeng, qu’une hécatombe est inévitable dans les 5 ans à venir ? Ou imagine-t-il une consolidation du secteur ? La question l’a fait sourire, même si cela reste un sujet sensible, surtout en Chine.
Selon lui, la sélection naturelle est déjà en marche et cela devrait en effet se jouer dans les 5 ans à venir. « Il restera peut-être 5 grands groupes consolidés ou un peu plus, avec des marques fusionnées ou disparues », estime-t-il. Au total, une vingtaine de marques chinoises pourraient survivre, sur plus d’une centaine aujourd’hui.
Quand on lui demande qui pourrait tirer son épingle du jeu, notamment parmi les marques dont on parle le plus sur Numerama (BYD, Xiaomi, Xpeng, Nio…), il esquive à moitié, mais glisse plusieurs remarques. « BYD n’a pas si bonne réputation en Chine », confie-t-il, ajoutant que malgré sa taille, le géant n’est pas forcément le mieux armé pour durer. Il cite plutôt Geely comme exemple d’un groupe mieux structuré et plus équilibré.

Du côté des startups, Xpeng, Nio ou Li Auto pourraient, selon lui, finir par fusionner pour survivre. « Les trois dirigeants sont proches, mais la lutte de pouvoir pour savoir qui prendrait la tête de l’entreprise pourrait bien la tuer », note-t-il avec une pointe d’ironie. Quant aux nouveaux entrants venus de la high-tech, comme Xiaomi ou le projet plus expérimental de Dreame Technology, il les voit davantage comme de simples « assembleurs de pièces », condamnés à chercher des alliances pour exister dans la durée.
L’avenir dira si ses prédictions étaient justes, mais il y a une certitude : parmi toutes ses déclarations, celle sur BYD nous a le plus surpris. Et après ça ? La Chine est déjà sur sa prochaine révolution, celle de l’IA, et pas seulement dans l’automobile. Là encore, le pays avance très vite, entre la conduite autonome, la robotique et tous les sujets connexes, et l’Europe ?
Les abonnés Numerama+ offrent les ressources nécessaires à la production d’une information de qualité et permettent à Numerama de rester gratuit.
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l’I.A, contenus exclusifs et plus encore. Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Toute l'actu tech en un clin d'œil
Ajoutez Numerama à votre écran d'accueil et restez connectés au futur !
Tous nos articles sont aussi sur notre profil Google : suivez-nous pour ne rien manquer !











