Interrogé au sujet des constructeurs chinois, Carlos Ghosn, l’ancien patron de Renault-Nissan connu pour sa fuite rocambolesque du Japon dans une malle, a livré une séquence pour le moins surprenante.

Carlos Ghosn n’est plus à la tête d’un groupe automobile depuis 7 ans, mais il garde un œil averti sur cette industrie. Il continue d’être ponctuellement consulté, bien qu’il soit désormais retiré des affaires. Il n’hésite jamais à donner son avis, non sans égratigner généralement quelques constructeurs au passage.

La chaîne YouTube Legend est allée jusqu’au Liban pour faire parler Carlos Ghosn au sujet de Renault, Nissan et sur son évasion digne d’un film hollywoodien, dans une vidéo publiée le 22 octobre 2025. Mais, en toute fin d’entretien, quand le vidéaste Guillaume Pley lui a demandé ce qu’il pensait des constructeurs chinois, l’ancien patron a surpris tout le monde en lâchant sans l’ombre d’une hésitation un « extraordinaire ! », avant de compléter son propos.

Une « vague déferlante » dangereuse

« Les constructeurs chinois font un travail extraordinaire », prévient-il, tout en les qualifiant de « véritable danger pour les marques moyennes ». Il vise sans détours Renault, Nissan et Mitsubishi qui seraient en « très grand danger » face aux marques chinoises. Si la situation épargne les marques de luxe comme Mercedes, Audi ou Ferrari, selon lui, il prévient : « Les Chinois ont bien dit qu’ils allaient monter en gamme. » On pourrait même dire que c’est déjà le cas, en observant des marques comme Yangwang, Denza ou Xiaomi.

Yangwang U9 à Shanghai // Source : Raphaelle Baut pour Numerama
Yangwang U9 à Shanghai. // Source : Raphaelle Baut pour Numerama

Le discours de l’ancien patron reste toujours aussi cash, mais il observe encore ce qui se passe depuis le Liban où il est exilé : en 10 ans, les constructeurs chinois sont passés du statut de suiveurs à celui de leaders technologiques, capables de rivaliser avec des marques qui ont pourtant un siècle d’avance sur l’automobile. Il raconte se faire prêter des voitures par des revendeurs locaux qui le sollicitent pour obtenir son opinion sur les modèles : « BYD, Xpeng, Range Rover, ou la nouvelle Mercedes. » Cela lui permet de se faire une idée de la manière dont les véhicules évoluent.

Carlos Ghosn pointe ce qu’il appelle un « manque de leadership » des patrons de l’industrie automobile historique, et il n’hésite pas à les mettre en garde : « Je trouve que les constructeurs européens, américains, japonais, voire coréens, ont du souci à se faire. D’autant plus qu’ils sont souvent managés par des gens qui n’ont pas le niveau. » Il va même plus loin en enfonçant le couteau : « Si vous n’avez pas un leadership de taille, vous avez cette vague déferlante chinoise qui vous arrive avec de la technologie, des coûts, de la logistique, une ambition, un support inconditionnel de l’État chinois. Il faut vraiment être très créatif pour pouvoir faire face. »

Pour lui, l’époque du confort industriel est révolue : « Il a toujours fallu être novateur, mais maintenant, c’est une question de vie ou de mort. Avant, ça passait encore si vous ne l’étiez pas. Maintenant, ça ne passe plus. » Un constat lucide, qui sonne aussi comme un avertissement pour une industrie européenne et japonaise engluée dans ses lenteurs administratives et beaucoup trop de conservatisme.

Renault, Nissan, Mitsubishi : « Ça me fend le cœur »

Lorsqu’il parle de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, qu’il avait façonnée avant sa chute en 2018, le ton se fait plus amer. « Renault-Nissan, ça me fend le cœur de les suivre. Je suis tellement triste de là où ils sont aujourd’hui par rapport à là où ils étaient en 2018 », confie-t-il. Mais, comme chez Carlos Tavares, ce constat échappe toujours à une véritable remise en question, de la part de ces patrons qui ont un peu vite tendance à considérer que c’est après leur départ que tout a commencé à s’effondrer — comme pour se dédouaner des échecs. C’est une manière de réécrire l’histoire pour sortir la tête haute de ce type d’interview, qui doit laisser une légère amertume parmi les équipes dirigeantes des constructeurs cités.

Carlos Ghosn avec la Nissan Leaf // Source : Wikipédia
Carlos Ghosn avec la Nissan Leaf. // Source : Wikipédia

L’ancien patron évoque une descente aux enfers : « Les volumes ont baissé, les ambitions ont baissé, la technologie a baissé, même la valeur de l’action a baissé. » Et le constat est sans appel : « Je suis triste pour l’Alliance parce qu’elle n’existe plus. Je suis triste pour les actionnaires Renault, Nissan, Mitsubishi, parce que quelque part, on les a trompés. Quand on compare où ils sont en 2025 par rapport à 2018, ça n’a plus rien à voir. »

Un tacle frontal à l’équipe actuelle et à l’État français, actionnaire majeur de Renault, accusé implicitement d’avoir sacrifié une ambition mondiale sur l’autel du court terme. Un jugement expéditif, Carlos Ghosn semblant oublier que le contexte du marché n’est plus celui qu’il a connu. Aurait-il fait mieux que Luca de Meo ou que ce que va faire François Provost à la tête du groupe Renault ? Il est légitime d’en douter.

Carlos Ghosn n’a de toute façon jamais fait dans la demi-mesure, et cette interview le confirme. Entre lucidité et amertume, il délivre un discours qu’il convient de prendre avec des pincettes. Ironie du sort, sa conclusion sonne comme un propos soutenu par Carlos Tavares : « Mais ne nous prenons pas trop au sérieux : il n’y aura aucun survivant. » Une manière de dire que personne n’est à l’abri, pas même les groupes qu’il admire, mais qui rappelle étrangement le darwinisme automobile défendu par celui qu’il avait poussé vers la sortie de Renault.

Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Carlos Ghosn n’a pas tort sur un point : si les constructeurs européens ne retrouvent pas vite le goût du risque et de l’innovation, ils finiront balayés par ceux qu’ils regardaient encore de haut hier.

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