En pleine promotion de son livre Un pilote dans la tempête, Carlos Tavares est sorti du silence qu’il avait globalement gardé depuis son départ de la tête du groupe Stellantis. À travers le contenu de son livre et de ses interviews récentes, comme celle accordée au Point le 16 octobre 2025, on remarque que l’ex-patron de Stellantis ne se contente pas de régler ses comptes : il livre une véritable autopsie du groupe qu’il a contribué à créer. Et le diagnostic est sans appel.
Le géant mondial de 14 marques (Peugeot, Citroën, Fiat, Jeep…) — qui se voyait survivre à la consolidation du marché automobile à venir — est en train de se disloquer. Au lieu de montrer une unité sans faille, les continents, les pays et les marques se déchirent pour prendre ou conserver un certain pouvoir sur les autres. Une situation qui ne déplaît sans doute pas à son nouveau partenaire chinois, Leapmotor, qui pourrait profiter de la situation.
Stellantis, un géant sous haute tension
Trois ans après la fusion entre PSA et Fiat Chrysler, Carlos Tavares parle désormais de Stellantis comme d’un colosse pris en étau entre plusieurs continents, et autant de visions irréconciliables. Le groupe qu’il a bâti pour résister à la mondialisation pourrait bien en être la première victime.
Derrière la façade, les tensions nationales et industrielles se multiplient, et pour certaines, elles n’ont jamais vraiment cessé. D’une main de fer –souvent critiquée –, Tavares avait maintenu une unité fragile entre l’Italie, la France et les États-Unis. Depuis la nomination d’Antonio Filosa, les tensions ressurgissent, perceptibles dans chaque décision. Près de six mois après sa prise de fonction, on attend toujours le nouveau plan stratégique qui donnerait un cap au paquebot ballotté entre plusieurs courants opposés. Il faudra attendre la fin du premier semestre 2026 pour y voir plus clair.

Chaque territoire tire la corde : aux États-Unis, Jeep et Ram financent une grande partie de la machine Stellantis en privilégiant la rentabilité (et les V8). En Europe, la survie se joue à coups de plans d’électrification sous perfusion publique, avec une pression politique constante pour maintenir des usines coûte que coûte (malgré leur surnombre). En Italie, le gouvernement Meloni menace ouvertement le groupe pour préserver l’emploi à Turin et Melfi. En France, l’État joue aussi la carte du patriotisme industriel. En Allemagne, Opel cherche encore sa place et ne compte pas être le parent pauvre du groupe. Mais, rien ne peut se faire si les clients boudent les produits.
« Croyez-moi, les coulisses du combat entre États européens, c’est très moche », glisse Carlos Tavares dans son livre. L’électrification, censée unir le groupe autour d’une stratégie commune, est devenue une nouvelle ligne de fracture. Après quelques tergiversations, Carlos Tavares avait mis le pied au plancher pour rattraper le retard, non sans casser quelques œufs au passage.
Carlos Tavares se souvient avoir voulu accélérer « pendant que les constructeurs pleurnicheurs freinaient en expliquant qu’ils n’y arriveraient pas », comme il l’a confié au Point. Il était convaincu qu’il fallait prendre la tête de la course à l’électrique. Mais son conseil d’administration a subitement préféré « temporiser ». La suite ? Une perte de confiance avec le conseil, un départ négocié en 48 heures et un plan stratégique gelé qui a fait plonger les résultats. L’impasse dans laquelle se trouve l’entreprise n’est pas la seule menace qui pèse sur le groupe.
Leapmotor, le partenaire chinois aux dents longues ?
Si la tempête gronde à l’intérieur de Stellantis, elle pourrait aussi venir de l’extérieur, sous le nom de Leapmotor. Le constructeur chinois, encore inconnu du grand public européen il y a trois ans, est désormais au cœur de la stratégie électrique du groupe en Europe.
Carlos Tavares, qui avait piloté l’accord de 2023, s’en amuse à moitié auprès du Point : « Je me suis toujours demandé pourquoi Leapmotor avait accepté ce deal. Je n’ai qu’une seule réponse : un jour, si Stellantis va mal, ils seront dans la place pour le racheter. »

Longtemps vu comme un cheval de Troie, mais pas comme une menace contre Stellantis, Leapmotor n’est pourtant pas là pour faire de la figuration. Stellantis vend déjà ses modèles en Europe, et le premier véhicule chinois du groupe sera assemblé en Espagne dès 2026. Chez Opel, les rumeurs évoquent même l’intégration de modèles Leapmotor rebadgés dans la gamme.
Le schéma « technologie contre actions » évoqué dans Le Monde pourrait bien se retourner contre le groupe franco-italo-américain. Ce scénario ne relèverait plus de la science-fiction, si Stellantis devait affronter une contraction brutale de ses ventes européennes (comme c’est déjà le cas sur ses véhicules électriques). Carlos Tavares se défendait d’avoir fait entrer le loup dans la bergerie par souci d’efficacité. Il n’en est plus aussi sûr aujourd’hui. Là encore, sa lucidité ne le dédouane pas de sa responsabilité : en voulant rattraper les Chinois, il les a invités à la table. Et comme souvent dans cette industrie, le plus rapide finit par manger celui qui se pensait plus malin.
Stellantis n’est plus seulement un groupe automobile : c’est le miroir d’une Europe qui doute de sa propre cohésion. Trop lent pour innover, trop grand pour être agile, trop fragmenté pour parler d’une seule voix. Sa chute pourrait en entraîner bien d’autres. Les prochains mois seront décisifs.
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