Les représailles étaient à prévoir. Elles sont arrivées le 4 mars : Facebook est désormais interdit d’opérer en Russie. C’est le régulateur russe Roskomnadzor, dont le rôle est de superviser les médias, la communication et les technologies de l’information, qui en a fait l’annonce. Seul le réseau social est cité, ce qui semble épargner pour l’instant Instagram et WhatsApp.
Le régulateur russe justifie cette restriction par l’hostilité de Facebook dans la manière dont il traite les médias et de ressources d’information russes depuis octobre 2020, en évoquant « 26 cas de discrimination ». Il ajoute que ces derniers jours, le site est allé encore plus loin, en restreignant les comptes de Russia Today (RT), Sputnik, RIA Novosti, Zvezda, Lenta et Gazeta.
Immédiatement, Nick Clegg, le responsable des politiques publiques de Meta, la maison-mère de Facebook, a réagi sur Twitter. « Bientôt, des millions de Russes ordinaires se retrouveront coupés d’informations fiables, privés de leurs moyens quotidiens de communiquer avec leur famille et leurs amis et réduits au silence », écrit-il.
« Nous continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour rétablir nos services afin qu’ils restent à la disposition des gens pour qu’ils puissent s’exprimer et s’organiser en toute sécurité », ajoute celui qui a pour charge de s’occuper des affaires internationales du groupe américain, sans préciser pour l’heure son plan — s’il sera judiciaire ou d’une autre nature.
Une riposte à l’UE, qui ne veut plus de propagande russe
Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, l’Union européenne s’est mise en ordre de bataille pour riposter à l’agression de Moscou. L’un des leviers qui ont été actionnés est le bannissement général des outils d’influence qu’a le Kremlin dans l’UE, c’est-à-dire des plateformes comme RT et Sputnik, qui se parent des habits du journalisme pour faire de la propagande.
Ce cap a été fixé entre autres par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, et Thierry Breton, en charge de l’audiovisuel. « L’Europe impose une sanction inédite. Interdiction de RT & Sputnik sur le marché UE — sur tous les supports: Télévision, Satellite, Streaming, Apps, IPTV, FAI. Pas de place pour la propagande de guerre russe dans notre espace informationnel. »
Il a été établi qu’une chaîne comme Russia Today, et notamment sa déclinaison française, RT France, est un outil de propagande. Des enquêtes de Telerama et d’Arrêt sur Images, pour n’en citer que deux, ont documenté cette réalité. Mais le procédé a soulevé des problématiques juridiques certaines ainsi que des enjeux symboliques en matière de liberté d’expression.
Ainsi, d’aucuns ont pu s’inquiéter que le bannissement de ces « médias russes » n’affaiblisse la position de l’Union européenne sur le terrain de la liberté, modèle que l’on oppose à celui de l’autocratie — pour ne pas dire la dictature — russe, en tolérant des points de vue adverses, ce qui n’est pas possible dans une Russie dirigée par Vladimir Poutine.
Par ailleurs, cette mesure faisait naitre le risque d’une escalade côté russe : en excluant RT et Sputnik, le Kremlin pourrait s’en prendre en retour aux médias occidentaux, aux réseaux sociaux et même aux journalistes. Escalade qui est désormais en cours : le pouvoir a pris de nouvelles dispositions pour appliquer de lourdes peines de prison pour qui n’épouse pas le récit russe.
Si l’exclusion de ces outils de propagande a été actée, le débat demeure. Des sociétés de journalistes se sont montrées circonspectes, voire hostiles à ce bannissement, ne serait-ce que sur la forme, en reconnaissant que si la liberté d’expression a certaines limites, l’incursion de Bruxelles et la rapidité de la procédure sont atypiques.
Mais d’autres ont fait valoir à juste titre qu’il n’y a pas seulement une guerre classique qui se joue aujourd’hui. Il y a aussi une guerre informationnelle, qui est en place depuis bien plus longtemps sur le Vieux Continent et il est reproché au Kremlin d’être très offensif. Une bataille de l’information qui menace même les conditions de la démocratie en Europe. Il fallait donc réagir.
Une exclusion de la Russie avant tout symbolique ?
Toujours est-il que le 28 février, le même Nick Clegg indiquait « qu’un certain nombre de gouvernements et l’Union européenne nous ont demandé de prendre des mesures supplémentaires concernant les médias contrôlés par l’État russe. Compte tenu de la nature exceptionnelle de la situation actuelle, nous allons restreindre l’accès à RT et Sputnik dans l’UE pour le moment. »
Par ailleurs, Facebook s’était aussi opposé à une demande russe demandant à la fois l’arrêt de la vérification des faits (« fact-cheking »), un processus que le réseau social a mis en place avec des médias partenaires pour vérifier ce qui est partagé dans son environnement, et la fin de la labellisation des « médias » russes comme « médias d’État », ce qui les décrédibilisait.
Si la disparition de Facebook de Russie parait particulièrement symbolique vue d’Occident, elle pourrait l’être moins dans ce vaste pays, pour la simple et bonne raison que le réseau social de Mark Zuckerberg n’est pas aussi utilisé là-bas. Seule la moitié des adultes ont un compte. Les locaux lui préfèrent des alternatives comme VKontakte, Telegram, Odnoklassniki et Moï Mir.
Par ailleurs, si Nick Clegg s’émeut de la disparition de Facebook, des critiques font toutefois rappeler que le site communautaire est loin d’être tout blanc non plus.
« Comme dans d’autres pays oppressifs, Facebook travaille avec le gouvernement russe pour supprimer les contenus que le gouvernement n’aime pas. Facebook se plie à la censure et à la surveillance russes depuis des années », relève Siva Vaidhyanathan Professeur d’études médiatiques et éditorialiste pour des médias comme The Guardian ou Wired.
Et l’intéressé d’enfoncer le clou : « L’idée que vivre sans Facebook priverait en quelque sorte les Russes d’informations ‘fiables’ et de liens avec leur famille est donc tout simplement fausse ». Il est vrai que depuis 2016 et le rôle supposé de Facebook comme caisse de résonance à fake news ayant permis l’élection de Donald Trump, difficile d’en faire un parangon d’exactitude.
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