Aujourd’hui, on va parler de cryptomonnaies et de NFT (ne partez pas !)

Cet article est extrait de notre newsletter hebdomadaire Règle30. Nous publions l’édition du 11 novembre 2020 pour vous faire découvrir les sujets que Lucie Ronfaut aborde. Pour la recevoir tous les mercredis, abonnez-vous gratuitement sur cette page.

Sur internet (et, peut-être, bientôt dans la rue), notre visage ne nous appartient pas. C’est une vérité qui concerne à peu près tout le monde. Un selfie publié sur les réseaux sociaux peut être exploité de multiples façons. Par un algorithme de reconnaissance faciale, qui s’entraîne ainsi à vous reconnaître. Par un moteur de recherche, qui peut répertorier votre photo. Par une personne inconnue, pour des raisons diverses et variées, allant du vol d’identité au harcèlement sexiste.

Ce phénomène touche particulièrement les célébrités, dont les photos inondent le web, de manière consentie ou non. Il y a quelques mois, la mannequin Emily Ratajkowski racontait ainsi une étrange histoire : en 2014, alors que sa popularité commence à décoller, elle découvre qu’un artiste vend des reproductions de ses photos Instagram. Impossible d’empêcher la vente. Elle se résout finalement à acquérir l’une de ces « œuvres », comme un moyen (assez ironique) de racheter sa propre image.

Retour en 2021. Cette fois-ci, Emily Ratajkowski décide d’aller encore plus loin. En mai, elle va vendre un NFT. Objet des enchères numériques : un lien renvoyant vers une photo de la mannequin qui pose devant la fameuse image extraite de son compte Instagram, et vendue en 2014 sans son consentement. Le tout est intitulé « Me racheter moi-même : un modèle de redistribution » (note : en anglais, « model » peut signifier mannequin et modèle).

Si, à ce stade, vous êtes perdu·es, je vous invite à lire cet article récapitulatif de Numerama concernant les NFT. Pour vous la faire courte, un NFT fonctionne sur le même principe qu’une cryptomonnaie. On authentifie une image (ou n’importe quel objet en ligne) grâce à un jeton virtuel, qui est ensuite ajouté à une blockchain (en l’occurrence Ethereum). Quand on achète un NFT, on n’acquiert pas tant une œuvre que la preuve qu’elle nous appartient. C’est un système qui connaît une certaine popularité depuis le début de l’année, mais qui est aussi très critiqué dans le milieu des artistes.

Alors, certes, Emily Ratajkowski n’est pas n’importe quelle femme. A priori, si je propose à Christie’s de vendre l’un de mes selfies en NFT, on va me laisser en « vu ». Je trouve quand même cette démarche forte, et féministe. « Le numérique devrait être un endroit où les femmes peuvent partager des images d’elles, tout en restant en contrôle, et potentiellement être rémunérées pour cela si elles le souhaitent », écrit la mannequin sur son compte Twitter.

« Mais au final, internet est surtout un endroit où d’autres exploitent des images de nos propres corps sans notre consentement. Il en a toujours été ainsi dans l’histoire de l’art : des muses anonymes ont permis la richesse et la carrière d’artistes masculins, tout en ne recevant rien en retour.»

 

Pour une blockchain féministe ?

Je ne vais pas vous mentir : je suis généralement critique de tout ce qui touche de près ou de loin à la blockchain. La folie des NFT me déprime, les crypto-bros m’effraient, la spéculation numérique me dégoûte autant que celle de la finance traditionnelle. Mais l’histoire d’Emily Ratajkowski m’a fait réfléchir. Une approche féministe de la blockchain est-elle possible ? Je ne parle pas de la place des femmes dans les startups de la crypto (quoique, c’est aussi un vrai sujet), mais de la technologie, en soi.

Qu’est-ce que le stockage et la transmission de données de manière décentralisée, sécurisée et authentifiée, sans organe de contrôle, pourraient apporter aux luttes des femmes ? Je peux citer plusieurs exemples, comme l’investissement des Pussy Riot dans les cryptomonnaies et les NFT, ou l’artiste américaine Claudia Hart, qui a récemment publié un « manifeste féministe de la blockchain », et qui voit dans cette technologie un moyen d’authentifier notre identité de genre. Enfin, de manière plus concrète, les cryptomonnaies sont déjà très utilisées parmi certaines travailleuses du sexe, souvent chassées des autres moyens de paiement en ligne du fait de leurs activités.

Ces initiatives n’annulent pas les défauts de l’exploitation actuelle de certaines technologies de la blockchain : la spéculation effrénée, les impacts écologiques, etc. Par ailleurs, placer des femmes dans un milieu délétère (au hasard, le capitalisme) ne va pas, soudainement, régler tous ses problèmes. La technologie n’est jamais neutre. Mais elle n’est pas forcément mauvaise par défaut. Elle est le produit des gens qui la font, et de la société dans laquelle elle évolue. Du coup, sans tomber dans le techno-solutionnisme, j’ai envie de faire un petit exercice d’optimisme. Peut-on encore bouleverser les modèles ?

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Quelques liens

Jeune demoiselle cherche une meuf mortelle

Lundi, c’était la journée de la visibilité lesbienne. Une excellente occasion pour lire cet article de Numerama sur la vaste question des applications de rencontre pour lesbiennes. Pourquoi est-il difficile pour les femmes queer de se rencontrer sur les apps ? Pourquoi existe-t-il si peu de services qui leur sont dédiés ? Un article qui mêle enjeux de visibilité, d’économie, d’homophobie et de modération, que je vous invite à lire par ici.

Anormal

Le site québécois Urbania a recueilli le témoignage de la jeune femme qui a accusé, il y a quelques mois, le youtubeur français Normam Thavaud de manipulation et d’incitation à lui envoyer des contenus à caractère sexuel. À l’époque des faits, elle avait 16 ans, et le vidéaste 30. Elle a depuis porté plainte au Canada pour exploitation sexuelle sur mineure. Une affaire qui pose la question, plus générale, de la relation de fausse proximité entre les créateurs et créatrices de contenus et leurs fans, souvent très jeunes. L’enquête est à lire et à regarder par ici.

Kiss kiss fall in love

Leticia Andlauer est une chercheuse spécialisée dans les game studies et les communautés féminines en ligne, dont je suis le travail depuis quelque temps. J’étais donc ravie de la voir interviewée dans un média, en l’occurrence Stories, un site produit par le géant français des jeux vidéo Ubisoft. Dans cet entretien, Leticia Andlauer détaille notamment le contenu de sa thèse, dédiée aux otome games (des jeux de drague dédiés aux femmes) et à Amour Sucré, un jeu français de romance. C’est à lire par ici.

Salut les musclé·es

“Flashback : on est en 2007, tu as 8 ans, et Wii Fit t’annonce que tu es obèse.” Sur TikTok, ces dernières semaines, des internautes ont partagé leurs souvenirs plus ou moins positifs de Wii Fit, le jeu de sport de la console Wii, qui en a traumatisé plus d’un·e. En partant de ces mèmes, le site américain Polygon s’est posé une question intéressante : comment développer un jeu vidéo de sport, sans pousser les joueurs et les joueuses à détester leur corps ? C’est à lire (en anglais) par ici.

Quelque chose à lire/regarder/écouter/jouer

Je suis journaliste indépendante, en pleine pandémie mondiale. Il y a donc longtemps que je n’ai pas mis les pieds dans un bureau. Néanmoins, difficile de ne pas succomber au charme de Say No! More (note : j’ai pu découvrir gratuitement le jeu grâce à une copie presse, qui m’a été envoyée par son éditeur). Dans ce court jeu vidéo, imaginé par le studio allemand Fizbin, on incarne un ou une jeune stagiaire lors de son premier jour dans une nouvelle entreprise. Très vite, on réalise qu’on nous prend surtout pour le larbin de service. Et si on apprenait à dire non ?

Grâce aux conseils avisés d’une étrange cassette audio, on devient donc le cauchemar du bureau, en envoyant bouler tous nos collègues et leurs requêtes abusives. Faire le café ? Non ! Des photocopies ? Non ! Des heures sup ce soir ? Certainement pas ! De fil en aiguille, nos refus successifs nous amènent à grimper les échelons de l’entreprise, et à nous battre contre (littéralement) plusieurs boss.

En termes de gameplay, Say No! More n’est pas très excitant. Il est impossible de perdre au jeu, il suffit d’appuyer en boucle sur le bouton NON. Mais ce n’est pas si grave ! L’expérience reste très cathartique, et surtout très drôle. L’histoire est bien écrite, se boucle en deux petites heures, et nous laisse en prime avec quelques questions existentielles. Et si, finalement, le plus dur était de dire non aux personnes qu’on aime ?

Say No! More, disponible sur Nintendo Switch, PC, Mac et iOS

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