Mise à jour du 06 août 2018 : À l’inverse de Spotify, Apple a décidé de retirer tous les épisodes du podcast The Alex Jones Show, adepte des théories du complot et des discours xénophobes, ainsi que 4 autres podcasts du polémiste américain. « Apple ne tolère pas les discours du haine et nous avons des règles très strictes que les créateurs doivent suivre » a déclaré Apple à BuzzFeed News le 5 août 2018.
C’est une des positions les plus fermes qu’une plateforme tech américaine ait prise à l’encontre d’Alex Jones et ses contenus, et qui montre la manière dont les géants de la Silicon Valley modifient leur tolérance vis-à-vis des contenus qu’ils hébergent.
Voici notre article du vendredi 3 août.
Alex Jones est peu connu en France, mais aux États-Unis, rares sont ceux qui ignorent son nom. Cet animateur de radio américain porte depuis des années un discours d’extrême droite et propage de nombreuses informations mensongères, notamment sur son site baptisé Infowars. Il a gagné en notoriété en affirmant, à tort, que la fusillade dans l’école primaire de Sandy Hook en 2012 aurait été mise en scène — un jeune homme avait tué 20 enfants et 7 adultes avant de se donner la mort.
En ligne, l’homme de 44 ans est très suivi : 2,4 millions d’abonnés à sa chaîne YouTube, 824 000 followers sur Twitter, 1,2 million de likes sur Facebook. Sa page Infowars a quant à elle plus de 900 000 abonnés. En plus de toutes ces plateformes, Alex Jones réalise aussi des émissions de radio Infowars que ses abonnés peuvent suivre en podcast.
Plus de 1 000 heures de podcast
Le théoricien du complot est extrêmement prolifique : il poste quasiment 4 heures de podcast par jour. Et le 30 juillet dernier, le podcasteur Jared Holt a remarqué que Spotify avait commencé à héberger l’intégralité des contenus d’Alex Jones, dans une chaîne appelée InfoWars, Alex Jones Show. Comme l’a souligné Holt, il est « extrêmement difficile d’avoir son podcast hébergé sur Spotify ». Mais Infowars y est : on trouve des émissions qui remontent à juin 2017, soit environ 1 250 heures de podcasts disponibles.
https://twitter.com/jaredlholt/status/1023944316794941440
En apprenant la nouvelle, de nombreux abonnés ont demandé à ce que le podcast d’Alex Jones, qui partage régulièrement des théories du complot dangereuses, soit évincé de la plateforme. Après quelques jours de silence, Spotify a finalement décidé de ne retirer que quelques épisodes spécifiques d’Infowars, a rapporté Bloomberg le 1er août 2018. Ceux-ci ont été retirés car ils étaient « en violation avec notre politique contre les discours de haine », a affirmé une porte-parole. « Nous prenons très au sérieux les signalements de haine et nous analysons tous les épisodes de podcasts qui ont été signalés par notre communauté. » À ce jour, des centaines d’autres épisodes sont encore en ligne, ce qui ne satisfait pas les utilisateurs en colère.
Les maladresses de Spotify
Ce n’est pas la première fois que Spotify se retrouve confronté aux questions de responsabilité vis-à-vis des contenus qu’il héberge sur la plateforme de contenus audio en streaming. En mai 2018 , la firme américaine a décidé de retirer les artistes R. Kelly et XXXTentacion de ses playlists (mais pas de son service en entier), les deux ayant été accusés de violences et violences sexuelles : « Si nous ne croyons pas en la censure à cause du comportement d’un artiste, nous voulons que nos décisions éditoriales reflètent nos valeurs », expliquait la plateforme dans un billet de blog.
Certains avaient alors accusé Spotify de se faire juge des « comportements problématiques », et de choisir au cas par cas, sans grande cohérence dans ses décisions. Sous la pression du rappeur Kendrick Lamar, Spotify avait même fait marche arrière et réintégré XXXTentacion à ses playlists.
Les plateformes prises entre deux eaux
La plateforme de contenus audio en streaming est en fait confrontée au même problème que d’autres services : devoir décider au cas par cas ce qui peut, ou ne peut pas être hébergé chez eux.
Ces entreprises ont techniquement le droit d’édicter les règles de conduite qu’elles souhaitent — d’ailleurs, elles décident quelles sont les chaînes de podcasts qui sont disponibles sur sa plateforme, tout comme Apple News choisit de mettre en avant certains médias et pas d’autres. Mais dans les faits, la taille et l’omniprésence de ces géants de la tech leur donnent de facto plus de responsabilités.
«Ce n’est pas parce que c’est faux, qu’ils sont en violation des standards »
La réponse de la plateforme de streaming musical fait écho à celle de Facebook, confronté au même questionnement à la mi-juillet. Un journaliste de CNN avait interrogé le réseau social sur le maintien de la page Facebook d’InfoWars, qui propage pourtant de nombreuses informations volontairement mensongères. « Ce n’est pas parce que c’est faux, qu’ils sont en violation des standards de notre communauté », avait justifié John Hegeman, responsable des fils d’actualité pour Facebook.
Autre argument avancé par Facebook : InfoWars dispose également d’une page Twitter et YouTube… Ce qui donnerait une raison supplémentaire à Facebook de ne pas bloquer la page officielle du site, tant que les autres ne le font pas non plus.
En revanche, ce 28 juillet 2018, Facebook a banni le profil personnel d’Alex Jones (pas sa page publique) pour 30 jours, pour des faits de cyberharcèlement et d’appel à la haine. YouTube a quant à lui supprimé 4 vidéos (mais pas sa chaîne) d’Alex Jones et lui a interdit de diffuser des contenus en ligne pendant 90 jours.
Bienvenue dans l’ère du cas par cas
Encore une fois, on constate que les plateformes ne savent pas sur quel pied danser, et copient les décisions des autres pour pouvoir justifier leurs décisions. Mais ces choix, en eux-mêmes, montrent déjà que ces multinationales ont déjà abandonné un principe théorique : la tech ne peut pas être « neutre ».
Ainsi, Facebook est constamment contraint de prendre des décisions subjectives : ils refusent de supprimer la page d’Infowars, mais ne mettront pas en avant ces posts dans les fils d’actualité des autres utilisateurs. En revanche, ils retirent volontiers certains contenus complotistes, comme les publications qui affirmaient que les survivants d’une autre fusillade (un jeune homme de 19 ans a abattu 17 personnes dans un lycée de Parkland) étaient des acteurs.
Pour chaque décision, il n’y a pas de règle universelle. Ces choix doivent être faits au cas par cas et sont donc longs (ou, au contraire, faits dans la précipitation), laborieux, et contestés par les défenseurs d’une neutralité théorique, qui se révèle pourtant inapplicable dans les faits. Aujourd’hui, les plateformes sont créées, gérées et utilisées par des humains : l’outil en lui-même n’est pas neutre. De même, au vu de l’utilisation massive des plateformes par les citoyens, les plateformes ne peuvent plus se cacher derrière une « neutralité » pour ne pas agir, alors que leurs outils sont utilisés pour harceler, insulter, menacer des internautes.
À l’inverse, demander aux plateformes de juger, seules, en-dehors de tout cadre judiciaire, des contenus qui peuvent ou ne peuvent être hébergés revient forcément à donner beaucoup de pouvoir à des entreprises tierces, qui n’ont pas été créées en ayant le « bien commun » comme objectif principal. C’est là tout le cœur du problème, et du paradoxe.
Ainsi, chaque décision est désormais évaluée, jugée et critiquée, car ces outils n’ont pas été pensés au départ pour ce genre de situations. Et c’est sans compter les écarts d’appréciation qui peuvent exister d’un système juridique à l’autre. Par exemple, Mark Zuckerberg s’est récemment dit contre la suppression de messages sur Facebook qui nient l’existence de l’Holocauste, alors même qu’en France, le négationnisme est un délit depuis la loi Gayssot de 1990.
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