En 2012, Google semblait invincible. Pourtant, en tentant de poser un écran sur notre nez, le géant de Mountain View a percuté un mur invisible : celui de l’acceptation sociale. Retour sur l’épopée des Google Glass, un échec commercial devenu le brouillon indispensable des produits d’aujourd’hui.

En 2012, Google n’est plus une simple entreprise de la Silicon Valley : c’est le centre de gravité du web mondial. En moins d’une décennie, la firme est passée du statut de moteur de recherche efficace à celui d’architecte de nos vies numériques. Android équipe déjà des centaines de millions de smartphones, Chrome détrône Internet Explorer, et Gmail est devenu le standard de la communication. À cette époque, quand Google annonce un nouveau produit, la question n’est plus de savoir si cela va marcher, mais à quelle vitesse l’humanité va l’adopter.

C’est dans ce contexte d’omnipotence technologique que Google décide de s’attaquer à une nouvelle frontière : effacer la limite entre le numérique et le réel. L’idée est révolutionnaire : et si le smartphone, cet écran que l’on consulte de manière compulsive, devenait un intermédiaire inutile ? Pourquoi baisser les yeux, quand l’information pourrait être là, en permanence, flottant dans votre champ de vision ?

Mais cette promesse cache un premier problème. Une désillusion si marquante qu’elle a fini par entrer dans l’Histoire — au point de figurer aujourd’hui dans Flops ?!, l’exposition parisienne dédiée aux ratés de l’Histoire, dont Numerama est partenaire, et que nous avons pu visiter en octobre 2025.

Les Google Glass figurent à l'exposition Flops ?! // Source : Numerama
Les Google Glass figurent à l’exposition Flops ?! // Source : Numerama

Un saut dans le vide (littéralement)

Le monde découvre les Google Glass en juin 2012 lors de la conférence Google I/O. La démonstration est restée dans les annales comme l’un des plus grands coups de théâtre de l’histoire de la tech. En direct sur l’écran géant, des participants équipés des lunettes sautent en parachute au-dessus de San Francisco. On vit l’action à travers leurs yeux : la chute libre, l’atterrissage sur le toit du bâtiment, la descente en rappel le long des parois de verre, puis une traversée de la ville à vélo pour finir sur la scène du Moscone Center.

L’euphorie est totale. Les Google Glass ne sont pas un casque de réalité virtuelle encombrant, mais une monture légère, presque banale. Sur la branche droite, un petit prisme transparent projette une image juste au-dessus du champ de vision. L’interface est volontairement minimale : pas de clavier, pas de fenêtres multiples, juste des informations contextuelles — un itinéraire, un message, une météo — consultables d’un simple coup d’œil.

Mais une fois les projecteurs éteints, la réalité du monde physique rattrape brutalement Google. En 2013, les premières paires sont livrées aux « Glass Explorers », une poignée de développeurs et d’early adopters ayant déboursé 1 500 dollars pour tester le concept. C’est à cet instant précis que le produit quitte le laboratoire pour entrer dans la « vraie vie ». Et c’est là que tout bascule.

L’apparition brutale du « Glasshole »

Le problème ne vient pas de la puce ou du prisme, mais du regard des autres. Dans l’espace public, la présence d’une caméra braquée en permanence sur les gens crée un malaise immédiat. À une époque où les débats sur la surveillance de masse et la vie privée commencent à peine à infuser dans le grand public, les Google Glass deviennent le symbole d’une intrusion insupportable.

Est-on filmé ? Est-on enregistré ? Qui possède ces données ? Le doute suffit à transformer l’innovateur en paria. Un néologisme cinglant apparaît pour désigner les porteurs : le « Glasshole ». Rapidement, des bars de Seattle aux cinémas de New York, des panneaux fleurissent : l’objet est interdit. La technologie n’est plus jugée sur ce qu’elle fait, mais sur ce qu’elle représente : une menace pour l’intimité d’autrui.

Les Google Glass.  // Source :  Museum of Failure
Les Google Glass. // Source : Museum of Failure

Au-delà de cette fracture sociale, les limites techniques finissent d’achever le projet. Les Google Glass souffrent des défauts classiques de toute technologie pionnière :

  1. L’autonomie dérisoire : dès que la vidéo est activée, la batterie fond en moins d’une heure.
  2. La surchauffe : le processeur, logé contre la tempe, rend l’objet inconfortable après quelques minutes d’utilisation intensive.
  3. L’ergonomie vocale : si commander ses lunettes à la voix fonctionne en laboratoire, l’expérience devient un enfer dans le capharnaüm du métro ou d’une rue passante.

Google réalise alors une vérité amère : son produit est un brouillon génial, mais ce n’est pas un produit de consommation de masse. En 2015, le programme est officiellement suspendu. Les lunettes disparaissent des radars grand public.

L’héritage : de Google à Meta et Apple

Si les Google Glass ont disparu de notre quotidien, leur ADN survit. Google a recyclé sa technologie dans le monde professionnel (industrie, médecine) avec les versions Enterprise Edition, avant de tout arrêter en 2023.

Pourtant, dix ans plus tard, le concept des lunettes connectées revient en force. Meta, Apple et Snap ont repris le flambeau, mais avec une stratégie différente. Meta, par exemple, a compris que le design primait sur la fiche technique : en s’associant à Ray-Ban, l’entreprise propose des lunettes stylées où l’IA et la caméra se font oublier.

Quant à Google, la firme n’a pas abandonné. Des prototypes de lunettes de traduction en temps réel ou de nouveaux projets d’« AI Glasses » sont attendus pour 2026. Les Google Glass n’étaient finalement pas un produit fini, mais un crash-test nécessaire. Elles ont appris à l’industrie que pour réussir à s’imposer sur notre visage, la technologie doit d’abord apprendre à être invisible. Un rappel que, parfois, un flop n’est pas une fin.

Comment voir l’exposition Flops ?!

L’exposition Flops ?! se tient au Musée des Arts et Métiers, à Paris (60 rue Réaumur). Lancée le 14 octobre 2025, elle se tiendra jusqu’au 17 mai 2026. Le billet d’entrée coûte 12 euros au tarif plein (9 euros en tarif réduit) et l’accès est gratuit pour les personnes de moins de 26 ans. L’exposition est gratuite les premiers dimanches du mois et les vendredis de 18h à 21h. Il est vivement recommandé de réserver son billet en ligne, à cette adresse.

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