Avec son Gear VR, Samsung livre un casque taillé pour faire office de première expérience avec la réalité virtuelle. Mais combien finiront dans un tiroir après quelques heures de divertissement, aussi intenses soient-elles ?

« Mais c’est naze, il n’y a aucune interaction » : tels ont été les premiers mots de ma copine, adepte des nouvelles technologies et déjà passé brièvement par de l’Oculus, quand je lui ai fait essayer le Gear VR avec un très récent Galaxy S7 en guise d’écran. Et peut-être en cette phrase prononcée a brûle pourpoint a-t-elle résumé le principal défaut de la réalité virtuelle d’entrée de gamme : grosso-modo, il s’agit d’un gadget dans lequel l’utilisateur est absolument passif et vit de petites expériences. Quelle est donc la différence entre ça et le cinéma à 360 degrés qu’on peut voir au Futuroscope ou à la Géode depuis plus de quinze ans ? Pas grand chose. À vrai dire, il n’y en a qu’une : l’immersion.

Avance rapide, deux jours plus tard, je tente l’expérience Gear VR sur mon meilleur ami particulièrement technophobe, pensant qu’il allait détester cela et me dire à quel point le casque le coupe du réel et que c’était mieux avant. Raté : le bougre est émerveillé comme un gamin devant son premier Star Wars, sourit, trépigne, décrit ce qu’il fait à l’écran à voix haute en répétant inlassablement des « waow, c’est incroyable quand même ! » Je reste pantois mais je comprends sa réaction autant que je comprenais celle de ma copine : pour qui n’a jamais testé de réalité virtuelle, le Gear VR est, pour une courte durée, une expérience bluffante, littéralement hors du commun.

pour qui n’a jamais testé de réalité virtuelle, le Gear VR est une expérience bluffante

Mais revenons un peu en arrière pour comprendre comment et pourquoi Oculus-Facebook et Samsung ont conçu cet engin. D’abord, il faut savoir que ce n’est pas la première tentative de Samsung dans la réalité virtuelle. Le Gear VR qui est commercialisé aujourd’hui aux alentours de 100 € est un casque de réalité virtuelle de deuxième génération qui fonctionne avec les Galaxy S6, S6 edge, S6 edge+, S7 et S7 edge.

Côté hardware, le produit final est un masque de de 318 grammes équipé de deux lentilles, d’une molette mécanique qui permet de régler la netteté, d’un trackpad sur le côté droit du casque pour naviguer dans les menus et sélectionner les apps et d’un bouton volume. Le smartphone se connecte sur un port microUSB qui est reproduit sur le côté du casque et qui permet de charger l’appareil en l’utilisant — condamnant au passage la liberté de mouvement. L’utilisation d’un Gear VR fait perdre à un Galaxy S7 à peu près 1 % de batterie par minute.

Du coup, entre cet engin et un Google Cardboard en carton il n’y a que le confort d’utilisation, quelques boutons et l’Oculus Store et si c’est déjà énorme, vous ne trouverez pas de système avancé de détection de votre présence, pas de prise en compte de vos mains, pas de pad pensé pour le contenu en réalité virtuelle. Accéléromètre, gyroscope et autres fonctionnalités nécessaires à la vision à 360 degrés des expériences sont toutes empruntées au smartphone.

To Gear or not to Gear

To Gear or not to Gear

L’idée derrière le Gear VR était donc de proposer une expérience de réalité virtuelle la moins nulle possible à un prix le plus abordable possible. Samsung a d’ailleurs utilisé le casque comme un outil de communication en l’offrant pour les précommandes des Galaxy S7 et Galaxy S7 Edge. Oculus a apporté son savoir faire technique (qui a dû être pas mal limité vu que le casque est avant tout un ensemble de pièces de plastique sans beaucoup d’électronique) et surtout, son Oculus Store qui réunit les différents titres adaptés au casque. L’application se télécharge la première fois qu’on met le smartphone dans le casque et s’utilise avec un compte Oculus — strictement différent du compte Samsung ou du compte Google que vous auriez pu déjà configurer sur votre appareil.

Facebook, de son côté a mis le paquet du côté de la comm’ et Zuckerberg considère l’objet comme un moyen de parvenir à ce qu’il appelle la téléportation, qui est plutôt, dans ce cas, une présence simulée d’une personne à un autre endroit. Côté vision pour Facebook, c’est assez adéquat : qu’on aime ou qu’on aime pas le géant bleu, cela pousse très loin le concept d’un réseau social.

Tous ces ingrédients mis ensemble ont amené la création de ce Gear VR, un appareil accessible qui permet théoriquement de profiter d’une expérience convenable de la réalité virtuelle. Mais alors qu’en est-il en pratique ?

Le casque des débutants

Si vous suivez Numerama, vous savez que la réalité virtuelle est un des sujets que nous aimons particulièrement traiter. J’ai été personnellement bluffé par les courtes expériences réalisées sur un HTC Vive et les tests faits à l’Oculus sur un jeu comme Eve Valkyrie étaient également impressionnants. Et le problème de la réalité virtuelle, c’est que quand on a goûté à cela, tout le reste devient fade. Très fade. Gear VR fade. Quand on s’est baladé sur le pont d’un bateau sous l’océan pour voir passer des baleines, qu’on a combattu avec son corps et des flingues des armées de robots, qu’on a volé dans un escadron de chasseurs stellaires ou qu’on a peint en trois dimension dans un tableau qui remplissait l’espace, difficile de se contenter de vidéos, parfois interactives, en 360 degrés qui sont ce que propose le plus souvent le Gear VR.

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Et les raisons sont nombreuses. Nous avons déjà évoqué la première, qui est l’interactivité : le smartphone a amené une redéfinition des interfaces pour des écrans tactiles, cela doit être aussi le cas en réalité virtuelle. Il est extrêmement pénible de naviguer avec une croix directionnelle tactile sur le côté du casque ou d’utiliser un gamepad. Quand on est dans un univers virtuel à 360 degrés, on veut utiliser son corps, toucher les boutons, attraper des choses dans l’espace… bref, interagir naturellement avec un décor qui nous semble naturel. Le pavé directionnel du Gear VR est une barrière qui vous rappelle constamment que vous n’êtes pas transporté ailleurs, mais que vous utilisez une technologie qui n’est pas encore mure. Autant pour l’immersion… sans même évoquer le fait que le Gear VR ne tient pas compte de la profondeur ou de la verticalité : asseyez-vous, levez-vous, votre avatar virtuel ne bougera pas.

Ensuite, il y a le souci de la latence. Si un Samsung Galaxy S7 peut très bien détecter le nombre de pas que vous faites et l’altitude à laquelle vous vous trouvez, il aura bien du mal à faire entrer en parfaite adéquation vos mouvements réels et les mouvements dans la réalité virtuelle. Quand vous tournez la tête ou que vous la levez, vous aurez un bref décalage qui peut vous provoquer des nausées assez rapidement si vous allez trop vite. Ou un mal de crâne instantané, à vous de voir. Ce phénomène qu’on disait disparu de la réalité virtuelle persiste et persistera tant que ce qui se passe à l’écran ne bougera pas aussi rapidement que votre tête. Il faut du temps réel dans le virtuel, pour ainsi dire.

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Et puis il y a le flou. Nous avons été une dizaine chez Humanoid à tester le Gear VR et aucun de nous n’a réussi à avoir une image parfaitement nette. On approche de la netteté mais on a toujours cette petite gêne qui fait que les contours ne sont pas aussi clairs que ce qu’ils devraient être. Cela se voit particulièrement sur le texte, mais cette sensation est très présente dans toutes les expériences proposées sur le Gear VR. À vrai dire, vous aurez un point beaucoup plus net au centre de votre vision et la netteté sera dégressive à mesure que vous bougez les yeux. Dans le réel, vous pouvez tout à fait tourner les yeux sans tourner la tête : en réalité virtuelle dans le Gear VR, seul un mouvement de tête pour être pile en face de la direction regardée peut vous apporter le confort de la vision. Dommage. Oh, et ne comptez pas mettre des lunettes.

Cela étant dit, tous ces défauts ne se remarquent pas si on conçoit la réalité virtuelle comme une petite expérience sympa à sortir au déjeuner du dimanche en famille. Quand on est pris face à un dinosaure grandeur nature ou dans une histoire horrifique, on oublie bien vite tous ces détails. C’est bien le charme de la réalité virtuelle : l’expérience est tellement neuve pour la plupart des gens qui la testent aujourd’hui qu’elle est bluffante quoi qu’il arrive. Le casque est d’ailleurs plutôt confortable et se laisse vite oublier. Le champ de vision de 96 degrés est assez large pour qu’on ait l’impression d’être vraiment dans le décor et le côté occultant est bien là : le noir est complet, l’illusion fait effet. Et c’est tant mieux.

Le cher, le cheap et le Top

Mais alors, qu’est-ce qu’on peut faire avec un Gear VR ? D’abord, vous allez commencer par être un brin déçu. En effet, quand vous mettez un smartphone Samsung dans le casque, l’application Oculus est automatiquement lancée. Impossible de désynchroniser ce lancement sans passer par des manipulations complexes à base de root de votre smartphone. Cela signifie que toutes les expériences de réalité virtuelle disponibles pour le Google Cardboard et téléchargeables sur le Play Store ne sont pas disponibles sur le Gear VR. Vous ne pourrez pas non plus lancer des applications en .apk téléchargées ailleurs. Soit.

Sur l’application Oculus, on trouve une cinquantaine d’applications. Il y a d’abord ce qu’on pourrait appeler les outils : un navigateur web en réalité virtuelle, une lecteur de vidéo qui vous propose de regarder des films comme si vous étiez au ciné ou encore, l’application FlickR pour regarder des photos en grand écran. On trouve évidemment dans cette catégorie les vidéos 360 de Facebook et probablement la future application qui permettra de contrôler la caméra Gear 360 et de lire ses vidéos.

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Si vous ne voulez pas mettre la main au porte-monnaie, vous aurez des tas d’expériences gratuites qui ont été pensées pour la réalité virtuelle. La plupart sont des mini-films de quelques minutes. Beaucoup sont extrêmement cheap, comme Sisters. Présentée comme un conte d’horreur, cette expérience peine à convaincre : comment avoir peur de gros polygones dégueulasses qui semblent sortis d’un jeu PlayStation première du nom ? On repense naïvement au fameux label qualité console que tous les éditeurs de jeux mobile tentent de vendre aux utilisateurs, sans préciser de quelle génération de console il s’agit. D’autres expériences sont plus amusantes, comme Dream qui vous propose de déambuler dans un univers onirique. On a tenu 3 minutes.

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Netflix porte bien son nom : l’application vous place dans un salon avec une grande télé et vous pouvez regarder le service de SVoD depuis ce canap’ en polygones. Pour le coup, le décor est plutôt joli et on apprécie le souci des détails de la chaîne : quand vous lancez un film ou une série, la lumière s’éteint, mais vous pouvez continuer à regarder par les fenêtres. Jurassic World et Invasion entrent dans la catégorie des courts métrages à 360 degrés sympathiques à regarder une fois, comme toutes les expériences de fiction ou de journalisme de l’application VRSE. Ne rêvez pourtant pas : aujourd’hui, aucun titre ne vous accrochera plus de 10 minutes et vous n’aurez généralement pas envie de recommencer les expériences une fois qu’elles auront été faites.

À côté de cela, vous allez trouver un catalogue d’applications et de jeux payants qui sont parfois très chers. On peut aller jusqu’à 10 euros pour un Gunjack, un shooter réussi dans l’univers d’Eve Online, 10 euros aussi pour Ocean Rift qui est un safari aquatique plutôt joli, ou encore, 5 euros pour Deer Hunter VR ou Star Chart. C’est tout de même cher pour des petits jeux qui n’ont de « VR » que la possibilité de tourner la tête. Tous ces titres auraient pu exister sans réalité virtuelle et elle passe clairement pour un gadget, plus que pour un nouveau concept à exploiter.

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La véritable bonne surprise vient d’un petit jeu à 2,99 € nommé sobrement Escape Room VR. Vous avez déjà deviné son concept : vous êtes enfermé dans une pièce et vous avez 10 minutes tout rond pour en sortir en résolvant des énigmes pas bien complexes mais qui vous demanderont de réfléchir vite et bien. Le type même du jeu se prête parfaitement à la réalité virtuelle et les actions simples (regarder / cliquer / se baisser) sont facilement accessibles et pas trop gênantes à faire sur le trackpad. On aurait bien entendu préférer toucher ces objets, les saisir, écrire dans le décor, entrer les codes en appuyant sur les touches… bref, avoir la réalité virtuelle comme interface et non une interface qui n’est pas du tout ergonomique pour interagir avec la réalité virtuelle.

Si vous voyez la réalité virtuelle comme une petite expérience et que vous souhaitez tester ce nouveau medium dans des conditions décentes en ayant besoin que d’un smartphone, le Gear VR est fait pour vous — à condition que vous ayez un Galaxy compatible. Si vous rêvez de la réalité virtuelle comme d’un voyage vers de nouveaux horizons et que vous êtes sensible aux maux de crâne et aux nausées, passez votre chemin.

Il y a un bond qualitatif entre le Cardboard et le Gear VR, mais il y en a au moins dix entre le Gear VR et un HTC Vive.

Le verdict

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6/10

Samsung Gear VR

Ne prenons pas le Gear VR pour ce qu'il n'est pas : il ne s'agit pas d'un casque de réalité virtuelle capable de vous transporter dans un autre univers et qui a besoin d'un PC de course pour fonctionner, pas plus qu'il ne s'agit d'un simple Cardboard.

C'est une première expérience de la réalité virtuelle sympathique, qui vous amusera une petite heure avant, au choix, de vous lasser, vous donner mal au crâne ou de vous faire vomir. Les expériences sociales développées par Facebook risquent cependant d'être plus intéressantes que le catalogue actuel. 


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