Les États-Unis et la Chine espèrent s’y poser en 2024, pendant que l’Inde, le Japon et la Russie ont aussi des projets en préparation. La Lune devient véritablement une destination de choix pour les puissances spatiales partout dans le monde. Mais des chercheurs soulèvent un problème : notre satellite est finalement beaucoup plus petit qu’il n’y paraît et les futurs arrivants risquent rapidement de se gêner.
Dans un papier mis en ligne sur le serveur arXiv le 23 février dernier, des scientifiques américains et anglais mettent en garde contre les projets lunaires à court terme et leurs conséquences possibles sur les ressources locales. Selon eux, malgré ses quelque 38 millions de kilomètres carrés, la Lune ne dispose que d’une dizaine de sites vraiment intéressants qui devraient faire partie des cibles prioritaires pour les prochaines missions. « Cette situation va mener à une concentration de populations sur les sites, déplore auprès de Numerama Martin Elvis, principal auteur de l’étude et chercheur à Harvard. Chacun va chercher à accaparer les ressources et à exclure les autres. Et le pire c’est que cela pourra se faire sans clairement violer la loi ! »
La Lune est un petit village
Mais comment ce territoire grand comme quatre fois le continent européen peut-il être réduit à quelques kilomètres carrés ? Les sites d’intérêt pour les missions actuelles ou en cours de préparation sont rares. L’étude en définit trois types :
- Le premier lié aux caractéristiques lunaires,
- Le deuxième possédant des ressources matérielles,
- Et le troisième plus culturel et historique.
Dans la première catégorie se trouvent par exemple les bords du cratère Peary au Pôle Nord de la Lune, qui a la particularité d’être quasiment toujours illuminé par le Soleil. Cette zone est surnommée « pic de lumière éternelle » et elle risque d’être particulièrement demandée pour toutes les missions reposant sur des technologies à énergie solaire.
À noter aussi : la face cachée de la Lune serait un lieu idéal pour poser un radiotélescope abrité des émissions de la Terre, ce qui serait très utile pour faire de l’astronomie de grande qualité — des recherches sur des galaxies lointaines nées dans les premiers instants après le Big Bang, par exemple. Là aussi, contrairement aux apparences, le nombre de sites où installer un tel engin est limité, car il faudrait un diamètre de 200 kilomètres autour avec un sol relativement plat. Une contrainte qui réduit à seulement six les localisations envisageables sur toute la face cachée du satellite.
Pour les ressources matérielles, il y en a une qui est particulièrement scrutée : les terres rares (un groupe de 17 métaux). Contrairement à ce que leur nom laisse entendre, ils ne sont pas particulièrement rares sur Terre, en revanche, ils sont difficiles à extraire et assez dispersés. Et ils sont également de plus en plus recherchés pour leur intérêt dans l’électronique. Sur la Lune, ils peuvent être trouvés en grande quantité dans l’océan des Tempêtes, même si l’abondance exacte n’est pas connue.
Même chose pour le thorium et l’uranium : ils sont activement recherchés pour être de possibles carburants radioactifs, mais leurs principaux gisements sont connus dans à peine une trentaine de zones, chacune mesurant quelques dizaines de kilomètres carrés tout au plus, ce qui là aussi limite les possibilités. En plus, les auteurs soulignent que les données actuelles peuvent sous-estimer la concentration de ces ressources. Lorsque des images de meilleure résolution sont prises, elles dévoilent souvent une zone d’intérêt beaucoup plus petite que ce qui était attendu.
Enfin, en ce qui concerne les sites d’importance historique, ce sont ceux des atterrissages des différentes missions Apollo, par exemple. Les États-Unis pourraient s’opposer à leur exploitation par des puissances étrangères, au nom de ce qu’ils représentent. Sans compter la possibilité à plus long terme d’en faire des destinations touristiques.
Un seul traité international d’un autre temps
Alors, comment empêcher qu’un conflit ne se déclenche dans ces conditions ? Pour les auteurs, il n’y a qu’un seul texte actuellement applicable : le Traité de l’espace de 1967. Signé en pleine guerre froide alors que la menace d’une attaque nucléaire pèse sur le monde, il prévoit notamment l’interdiction d’armes nucléaires sur l’orbite de la Terre ou sur la Lune. Pour ce qui nous concerne ici, c’est l’article 2 qui est intéressant, car il stipule que la Lune « ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation ».
Une bonne nouvelle a priori, mais selon les auteurs, il y a un souci dans l’interprétation de l’article 9 : il stipule que les États ont un droit de regard sur les activités des autres, et peuvent demander des consultations si les activités sont potentiellement nuisibles. Le but était de favoriser la coopération, mais il peut être interprété autrement. Les États peuvent décider que les expériences des autres sont nuisibles aux leurs et donc justifier un « pré-carré » interdisant l’entrée des autres sur un certain périmètre. Cela revient, de fait, à une appropriation de la Lune, et le système est appelé à se pérenniser puisque les Accords Artémis mis en place par les États-Unis rendent acceptable le fait d’utiliser les ressources locales.
« Le traité de l’espace date d’une époque où seules deux puissances étaient impliquées, déplore Martin Elvis. Mais aujourd’hui il n’y a pas que les États-Unis et l’URSS. C’est pourquoi nous suggérons des démarches collaboratives, une coopération pensée sur le long terme. Mais pour cela il faut bien comprendre le problème initial et c’est aujourd’hui qu’il faut le prendre en compte. »
Aujourd’hui, sous-entendu : avant qu’il ne soit trop tard. Le chercheur, comme de nombreux astronomes, a encore en travers de la gorge l’arrivée des constellations de satellites très critiquées par une partie de la communauté. Les appareils, envoyés par centaines par SpaceX essentiellement, polluent le ciel nocturne et empêchent les observateurs de voir les étoiles correctement. « Starlink nous a pris par surprise, raconte-t-il. Et une fois le choc passé, nous avons commencé à travailler avec SpaceX pour que les nuisances soient moindres. SpaceX a été coopératif et nous avons pu améliorer les choses. Mais c’est un cas isolé, il y a d’autres constellations en construction et pas d’accord global sur le sujet. »
L’exploration lunaire bénéficiera-t-elle d’un consensus plus clair pour toutes les parties ? Ces parties sont bien plus nombreuses, maintenant que les États sont de plus en plus à prévoir des missions lunaires, sans compter avec l’arrivée des compagnies privées elles aussi bien décidées à prendre leur part du gâteau. En tout cas, il faut se décider vite avant l’apparition des premières frontières lunaires.
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