Aucune preuve ne relie encore les thromboses au vaccin d’AstraZeneca, pourtant, la campagne vaccinale a été suspendue. Pourquoi les risques de thromboses de la pilule n’attirent pas autant l’attention alors que, eux, sont prouvés ?

De nombreux États européens ont pris la décision, cette semaine, de suspendre temporairement la vaccination avec le vaccin d’AstraZeneca. Cette décision est prise à chaud et ne se repose pas sur la science, aucun lien n’ayant encore été prouvé et les cas de thromboses n’excédant pas le taux habituel en population générale.

La décision des pays européens peut donc s’expliquer principalement par de la communication politique, visant à rassurer des populations déjà méfiantes, dans la mesure où ces effets secondaires, même non avérés, se retrouvent surmédiatisés. La décision aura malheureusement des conséquences sur une campagne de vaccination qui accuse déjà des retards : de nombreux médecins s’inquiètent que de nombreuses vies ne puissent être sauvées à cause de cette pause. Ces risques de retards ont également motivé la Belgique à ne pas suivre le mouvement de suspension de la campagne AstraZeneca.

Cette surexposition d’effets secondaires non prouvés (ou bénins dans d’autres cas) dans le cadre de la pandémie pourrait d’ailleurs sembler en décalage avec des situations du quotidien où, inversement, certains effets secondaires bien plus importants sont très peu évoqués publiquement. C’est le cas pour certains médicaments — souvent bien plus lourds que n’importe quel vaccin.

Ainsi, plusieurs internautes se sont étonnées que l’existence de risques de thromboses posés par la pilule contraceptive ne soit pas aussi médiatisée. « Si on s’inquiétait autant des thromboses de la pilule que de celles de l’AZ, on ferait des progrès sur la contraception », écrit par exemple une internaute. Et le constat est bien là : les risques de thromboses générés par la pilule sont importants chaque année ; et, contrairement à AstraZeneca, les liens sont scientifiquement prouvés.

Un risque accru de thromboses veineuses

Afin d’empêcher l’ovulation, la majeure partie des pilules contraceptives contiennent des progestatifs, mais également des hormones œstrogènes. Or, ces dernières favorisent la coagulation sanguine, et les plaquettes sanguines deviennent plus adhésives, ce qui modifie la pression au sein des vaisseaux sanguins. L’augmentation du taux d’œstrogènes peut alors favoriser la formation de caillots sanguins. Les progestatifs sont censés réduire ce problème, mais, dans les pilules de 3e et de 4e génération, la plupart de ces progestatifs sont assez peu efficaces (c’est notamment le cas du désogestrel et du gestodène). Résultat, les personnes qui prennent la pilule font face à un risque plus élevé de thromboses.

Une plaquette de pilules contraceptives // Source : Pixabay/CC0

Une plaquette de pilules contraceptives

Source : Pixabay/CC0

Une étude parue en 2017 rappelle ainsi que les contraceptifs oraux contenant des progestatifs de 3e et 4e génération « se sont avérés présenter un risque de thrombose veineuse plus élevé que ceux contenant des progestatifs de deuxième génération ». Pareillement, dans le BMJ, en 2013, une étude ayant analysé plus de 3 000 autres publications en arrive à la conclusion que « tous les contraceptifs oraux combinés étudiés dans cette analyse ont été associés à un risque accru de thrombose veineuse. L’ampleur de l’effet dépendait à la fois du progestatif utilisé et de la dose d’éthinylestradiol [œstrogène le plus utilisé] ».

D’après les chiffres de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), il faut compter un risque de 40 cas d’accidents thromboemboliques veineux pour 100 000 femmes, chaque année, provoqués par la pilule oestroprogestative de 3e génération (type Méliane). Cela ne concerne pas que les pilules de 3e et 4e génération, même si, pour les autres, les risques sont moins élevés : 20 cas d’accidents thromboemboliques veineux pour 100 000 femmes sont provoqués chaque année par la pilule de 2e génération (type Minidril). L’ANSM relevait par ailleurs qu’au total, « entre 2000 et 2011, le risque thromboembolique veineux lié aux COC [contraceptifs oraux] est estimé à 2 529 par an dont 1 751 sont attribuables aux pilules de 3e et de 4e génération ».

Ce cas très concret des thromboses provoquées par la pilule contraceptive — une situation tout à fait invisibilisée au quotidien — permet également de rappeler que les effets secondaires d’un vaccin ne peuvent être considérés, en définitive, qu’au regard des risques déjà présents. Que les effets secondaires de la pilule contraceptive soient invisibilisés alors qu’ils sont nombreux et prouvés, tandis que ceux d’AstraZeneca sont surmédiatisés alors qu’ils sont en faible nombre et toujours pas reliés au vaccin, montre comment l’information médicale dépend de sa présentation… et les extrêmes, dans un sens ou dans l’autre, que cela peut provoquer. Et si l’on essayait de tendre vers un équilibre plus raisonné, d’autant plus important en ce moment ?

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