Une mission habitée vers Mars devient de plus en plus probable pour les décennies à venir, mais des projets commencent déjà à fleurir… pour aller plus loin. L’Humanité pourrait non seulement poser le pied sur Mars, mais aussi y vivre, même si de nombreux obstacles restent à franchir.
« Nous pourrons construire une ville autonome sur Mars d’ici 2050. — Elon Musk, le 25 mars 2019

Les fréquentes annonces du fantasque patron de SpaceX peuvent faire rêver, sourire ou agacer. Mais celles qui concernent Mars pourraient devenir beaucoup plus concrètes dans les années à venir. Jour après jour, la planète rouge semble un peu plus proche de nous. Plusieurs rovers s’y sont posés et dernièrement l’atterrisseur Insight a commencé à forer dans le sol. La mission Mars 2020 prévoit même des retours d’échantillons pour l’an prochain.

En revanche, pour ce qui est de poser des Hommes plutôt que des robots, c’est un petit peu plus compliqué. En 2013, plusieurs centaines de milliers de candidats à travers le monde se portent volontaires pour participer au fumeux projet Mars One. Les organisateurs loufoques prévoyaient une mission habitée pour dans deux décennies seulement, mais à la suite de soucis de financement et confrontés à d’énormes failles scientifiques dans leur projet, tout est tombé à l’eau.

Un échec cuisant qui n’entame pas l’enthousiasme de certains, à l’image de Buzz Aldrin, l’illustre coéquipier de Neil Armstrong lors de la mission Apollo 11 qui appelle à une grande migration vers Mars. Dans un entretien au Washington Post, il félicite le président américain Donald Trump pour ses ambitions dans le monde de l’aérospatiale et réclame que la colonisation de Mars devienne une priorité nationale.

Rendu d'artiste de la BFR // Source : SpaceX

Rendu d'artiste de la BFR

Source : SpaceX

La science face aux effets d’annonce

Beaucoup d’annonces, mais le monde médiatico-politique n’avance pas au même rythme que le monde scientifique qui lui, appelle avant tout à la prudence. « Quand j’étais jeune, nous raconte Frances Westall, géologue et paléobiologiste au CNRS, je voulais être la première géologue sur Mars… avant de réaliser qu’en réalité c’était beaucoup plus compliqué que cela. »

En effet, les difficultés inhérentes à ce type de projet sont bien trop souvent balayées alors qu’elles posent de réels problèmes… le premier étant les radiations. Sur Mars, il n’y a pas d’atmosphère et les humains seraient donc en permanence confrontés au même niveau de radiation que ce que subissent les astronautes dans la Station spatiale internationale. À savoir, un taux tolérable pour quelques mois, voire quelques années, mais qui finirait par provoquer des cancers mortels.

Seul sur Mars. // Source : 20th Century Fox

Seul sur Mars.

Source : 20th Century Fox

On estime qu’un séjour sur Mars pourrait ainsi ne durer que quelques semaines si on prend en compte les six mois de trajet pour s’y rendre et autant pour revenir avec un bon alignement des planètes. Au sens propre. « Ceux qui proposaient d’envoyer au plus vite des humains vivre sur Mars les envoyaient en réalité directement au cimetière, assure Frances Westall. Nos technologies actuelles ne nous permettent pas d’entreprendre un tel voyage puisque nous ne pouvons pas nous protéger des radiations. »

Un constat qui n’empêche pas les recherches de se multiplier, même si les idées sortent de la sphère purement scientifique. Le concours Mars City Design est par exemple organisé tous les ans depuis 2016. Le but : réunir des scientifiques, des architectes et des artistes pour imaginer à quoi pourrait ressembler une ville martienne peuplée par des humains. Malay Kumar Biswal, chercheur au département de Physiques de l’université de Pondichéry a participé à la dernière édition, et il a mis son projet en ligne pour pouvoir le soumettre à la communauté scientifique.

« Nous nous sommes inspirés de projet déjà existants, explique-t-il, mais nous avons essayé de rajouter des choses innovantes comme un système de communication avec plusieurs pôles tous reliés entre eux pour éviter les coupures et faciliter les échanges sans interruption, quelles que soient les conditions. Ou encore un système pour enfouir les équipements sous terre et le protéger ainsi des tempêtes de poussière. » Il faut dire que les panneaux solaires par exemple détestent la poussière. Or, même si l’absence quasi totale d’atmosphère sur Mars empêche l’existence de vents violents, les tempêtes peuvent tout de même durer plusieurs mois, ce qui s’avérerait fatal.

Des idées issues de telles initiatives peuvent donc inspirer les scientifiques. « Construire des équipements souterrains c’est une bonne piste, reconnaît Frances Westall, ça aurait le double avantage de protéger le matériel de la poussière et les Hommes des radiations. »

Pour autant, ces projets parfois un peu audacieux ne prennent pas en compte les limites technologiques, comme l’explique Malay Kumar Biswal. « Envoyer 1 000 personnes sur Mars, actuellement c’est impossible. Il faudrait des vaisseaux plus performants, des systèmes pour ralentir en arrivant près de la surface, car il n’y a pas d’atmosphère pour nous freiner, des installations comme une station martienne sur place pour nous guider… Bref ça demande d’énormes efforts technologiques et financiers. »

Des efforts que les agences spatiales ne sont pas du tout prêtes à assumer tant les budgets seraient pharaoniques. La solution pourrait alors venir du secteur privé, récupérant contrats et subventions. Elon Musk ne cache pas ses projets extrêmement ambitieux pour Mars, et avec l’industrie de son côté, une mission entre dans le domaine du possible. D’autant que la concurrence se met sûrement en ordre de bataille.

« Il ne faudrait pas que l’arrivée de l’Homme ne détruise des formes de vie que nous ne connaissons pas encore. » — Frances Westall

Doit-on faire ce que l’on peut faire ?

Et c’est là qu’un autre problème se pose : l’Homme doit-il vraiment aller sur Mars ? Même si les projets ambitieux vers la planète rouge sont évidemment tentants, certains scientifiques ne partagent pas cet enthousiasme. Sans aller jusqu’à bouder tout projet futur, ils appellent à la prudence, et pas seulement pour des raisons liées à l’incertitude technologique. « Nous avons une responsabilité, explique Frances Westall, il ne faudrait pas que l’arrivée de l’Homme ne détruise des formes de vie que nous ne connaissons pas encore. »

Le programme ExoMars, sur lequel la géologue travaille actuellement a pour mission, entre autres, de trouver des indices sur la présence d’une vie présente ou passée. « Actuellement, ajoute-t-elle, c’est déjà difficile avec les moyens que nous avons de rechercher des traces d’activité microbiennes à la surface, alors en sous-sol n’en parlons pas ! »

ExoMars 2020 Oxia Planum

Carte montrant les ellipses d’incertitude d’atterrissage du début et de la fin de la fenêtre de tir.

Source : CNES

Cet aspect plus pragmatique de la communauté scientifique pousse à davantage de prudence, non seulement pour les astronautes qui partiront, mais aussi pour la planète sur laquelle ils se rendront. Une planète que nous devons aussi protéger alors même que la nôtre est au bord d’un désastre écologique. Et Frances Westall d’ajouter : « Les progrès de la robotique et de l’intelligence artificielle rendent de moins en moins utile la présence de l’Homme pour explorer Mars. Les futurs rovers seront bien plus efficaces pour trouver des traces de vie… ou d’autres surprises. »

Dans ce cas-là, faudrait-il tout abandonner, sachant que sans mission plus avancée, il n’y aura certainement jamais de preuves formelles disant qu’il n’y a aucune vie sur Mars ? Le risque de bouleverser un écosystème inconnu sera toujours présent avant l’arrivée de l’homme. Il serait préférable alors d’attendre peut-être encore quelques décennies que nos connaissances s’améliorent sur notre voisine, mais aussi que notre technologie nous permette d’avancer sans causer trop de dégâts.

Alors Mars, sanctuaire ou far-west ?

De toute façon, l’avis des scientifiques risque de n’avoir que peu d’importance dans la bataille qui se lance vers Mars. Une bataille dictée autant par les enjeux économiques et politiques que par l’ego des personnes impliquées. Si, comme cela semble être le cas en ce moment, le secteur privé prend de plus en plus d’importance au détriment des agences spatiales, on peut s’attendre à une exploration guidée aux relents de ruée vers l’or. Et ce malgré les traités internationaux qui devraient limiter les possibilités des entreprises privées. Le Traité de l’Espace signé dans les années 1960 pose certaines règles et est toujours en vigueur, même si les États-Unis en sont sortis en 2015. Quelle que soit la législation, les possibilités de sanction restent assez floues et dépendront surtout du bon vouloir des dirigeants.

Alors Mars, sanctuaire ou far-west ? Il y a encore quelques années, les limitations technologiques nous évitaient de nous poser la question. Mais aujourd’hui, l’éthique semble petit à petit prendre le rôle de dernier rempart.

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