L’économie de la génétique a le vent en poupe dans la Silicon Valley. La startup Orchid Health permet ainsi de trier ses embryons pour faire des bébés « parfaits ».

Jaffe est un nourrisson à la bouille adorable. Ses grands yeux examinent avec curiosité son environnement sous le regard attendri de Leah, sa maman.

« C’est le bébé de Leah, mais j’ai l’impression que c’est aussi mon bébé », s’attendrit Noor Siddiqui. Pourtant, Jaffe n’a aucun lien de parenté avec Noor. Mais cette dernière est la fondatrice et présidente d’Orchid Health. Une startup américaine qui a scrupuleusement analysé et sélectionné le meilleur embryon de Leah pour sa fécondation in-vitro.

Comme de nombreux parents, Leah explique s’être concentrée sur sa carrière et s’être mariée tard, à 38 ans. Entre son âge avancé et l’historique génétique de son couple (diabète et bipolarité), avoir un enfant était un vrai risque. C’est quand son mari lui parle d’Orchid Health, une entreprise capable d’élire le meilleur embryon parmi tous ceux qu’elle a congelés, qu’elle accepte de se lancer dans une fécondation in-vitro.

En 2023, Jaffe naît : c’est le premier Orchid baby. Aujourd’hui, des milliers de personnes font appel à la startup… même Elon Musk. Si Noor Siddiqui refuse de révéler les chiffres exacts de sa clientèle au New York Times, elle avoue tout de même avoir analysé « plusieurs milliers d’embryons ». Ses intentions sont limpides : « Le sexe, c’est pour s’amuser, et l’analyse d’embryons, c’est pour faire des bébés », déclarait-elle dans cette vidéo en avril 2024.

Mais, jusqu’où Orchid Health pousse son séquençage d’ADN d’embryons ? Ne risque-t-elle pas d’encourager une vague eugéniste de bébés optimisés, et d’accentuer les inégalités de richesse face à la reproduction ?

Une solution face à la « loterie génétique »

Le 7 août 2025, Noor Siddiqui revenait sur la conception de sa startup pour le New York Times. L’idée lui serait venue en voyant sa mère perdre peu à peu l’usage de ses yeux, à cause d’une rétinite pigmentaire. De quoi lui inspirer une véritable injustice face à la « loterie génétique » de la vie. « La chose la plus importante pour moi, en tant que future parent, était que je voulais être capable de minimiser les risques que mon enfant soit affecté par ce qui a affecté ma mère et ce qui affecte, malheureusement, des millions de personnes aujourd’hui », explique-t-elle.

Noor Siddiqui dans le podcast "Similarly Different" le 10 juin 2025 // Source : YouTube/Yanina Oyarzo
Noor Siddiqui dans le podcast « Similarly Different » le 10 juin 2025. // Source : YouTube/Yanina Oyarzo

Elle raconte qu’aux États-Unis, les centres qui permettent la fécondation in-vitro choisissent presque aveuglément quels embryons féconder. Elle critique la fiabilité de leur test génétique, qui selon elle ne parvient pas à détecter toutes les maladies génétiques dont le futur bébé pourrait souffrir.

« Nous sommes la première entreprise du monde à permettre aux parents de séquencer le génome entier d’un embryon », à hauteur de 99%, avance-t-elle. De quoi prévenir les risques de complications génétiques en tout genre : problèmes cardiaques, cancers pédiatriques, trisomie 21, troubles mentaux… plus de 1 200, au total. Prix de la procédure : 2 500 dollars par embryon.

L’économie de la génétique est en plein essor dans la Silicon Valley

Orchid Health n’est pas la seule entreprise à proposer un tri sur le volet des embryons. L’économie de la génétique est en plein essor depuis plusieurs années dans la Silicon Valley. Heliospect Genomics, une autre startup américaine, proposait carrément à des couples de classer leurs embryons en fonction de leur QI pour un montant allant de 4 000 à 50 000 dollars, rapporte une enquête de l’organisme britannique Hope not Hate publiée en octobre 2024.

Le tout grâce au dépistage PGT-P… une des techniques de notation génétique qu’Orchid Health met en place pour détecter les risques génétiques encourus par les embryons, pour « aider des familles à prioriser des embryons avec un risque moins élevé de maladies chroniques, peut-on lire sur leur site.

Sur la côte Est, dès 2017, le laboratoire Genomic Prediction offrait un classement des embryons en fonction de leurs gènes associés aux « déficiences intellectuelles » — avant de faire marche arrière peu de temps après l’annonce, face aux critiques du milieu de la recherche à l’époque. « Les propositions de séquençage de QI ne sont pas éthiques », avait condamné l’association britannique Don’t Screen Us Out. Idem du côté de la recherche : le généticien australien Peter Visscher avait qualité une telle pratique de « répugnante », rapportait New Scientist.

« Nous avons estimé que les critères comme la taille et les capacités cognitives étaient trop controversées et nuisaient à notre capacité d’aider les familles à réduire les risques de maladie », avait expliqué Stephen Hsu, fondateur de la startup et professeur de physique à la Michigan State University, à The Guardian quelques années plus tard, en 2021. C’est la première startup à avoir développé des séquençages d’ADN pour embryons plutôt que pour adultes.

Un risque de dérive eugéniste ?

Des pratiques condamnées par la communauté scientifique, qui craint d’encourager et de démocratiser l’eugénisme. « Nous avons déjà un déterminisme génétique dans notre société, et on l’empire en utilisant des technologies dont le message est que la meilleure chose à faire pour un enfant est au niveau génétique », déplore le bioéthicien Dr. Ravitsky dans le New York Times.

Sans parler du renforcement des inégalités économiques face à la reproduction (fertility wealth gap en anglais). Car faire analyser l’ADN de ses embryons, c’est un sacré budget ; et faire cryogéniser ses embryons, aussi. « Les jeunes femmes sont obligées de choisir entre congeler leurs ovules pour s’accorder une ‘assurance’ de fertilité, ou économiser pour la retraite », dénonce ainsi la journaliste Ruthie Ackerman dans son ouvrage The Mother Code.

Interrogée par le New York Times sur les risques moraux et éthiques d’une telle pratique, Noor Siddiqui rétorque :

« C’est une décision responsable en tant que parent, de détecter ce risque le plus tôt possible et de choisir l’embryon qui a les meilleures chances de mener une vie saine. […] Je ne pense pas qu’il y ait là un problème moral. Je pense presque le contraire. Je pense que créer une stigmatisation ou une sorte de tabou autour de l’idée que les parents voudraient obtenir cette information de manière proactive est une idée dangereuse à propager. […] Depuis 40 ans, les riches peuvent avoir des enfants, tandis que les pauvres qui n’ont pas les moyens de payer une FIV n’y ont pas accès. C’est un droit humain fondamental qui, selon moi, a été bafoué, et je trouve réjouissant que des mesures soient enfin prises pour corriger cette situation, afin que tout le monde puisse avoir accès à la FIV. »

Contactée par Numerama, Noor Siddiqui n’a pas répondu.

En attendant son hypothétique remboursement outre-Atlantique, le diagnostic pré-implantatoire est pour l’instant bien plus encadré en France : « lorsque le couple ou la femme non mariée […] a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable », énonce le code de la santé publique.

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