C’était une parole très attendue. Depuis l’annonce de son départ du groupe Fair (Fundamental AI Research Lab) de Meta fin novembre 2024, Yann LeCun ne s’était exprimé que par de courts remerciements sur les réseaux sociaux. Jeudi 4 décembre 2024, à Station F, l’un des pères de l’intelligence artificielle au sens moderne s’est exprimé.
Pour son grand retour, Yann LeCun a choisi de ne pas parler directement aux médias. Le scientifique fait « son retour à Paris » par le biais d’une séance de questions-réponses animée par Aude Durand, directrice déléguée du groupe Iliad, lors de l’événement AI Pulse dédié à l’écosystème IA européen. Devant un parterre d’entrepreneurs et d’investisseurs, dont Xavier Niel, l’ex-cadre de Meta a défendu sa position historique avec une liberté de ton retrouvée : non, les LLM (Large Language Models) comme GPT ou Gemini ne surpasseront jamais l’humain selon lui, peu importe leurs améliorations futures.
Yann LeCun explique que Mark Zuckerberg a changé de stratégie
Pourquoi partir maintenant, alors que Meta n’a jamais revendiqué aussi publiquement sa volonté de tout miser sur l’IA ?
Yann LeCun explique, en filigrane, que la stratégie de Mark Zuckerberg a divergé de sa vision scientifique. Pressé par la concurrence d’OpenAI et Google, Meta veut innover plus vite avec des produits grand public : « Mark Zuckerberg pense qu’AMI (Advanced Machine Intelligence) est l’avenir, mais il a réalisé ces derniers mois que le spectre potentiel des applications allait bien au-delà de ce qui intéressait Meta. Il était donc clair pour moi que c’était le bon moment pour créer une autre organisation », explique Yann LeCun.
Ces derniers mois, Meta a fondé un nouveau groupe, appelé Superintelligence, en charge de proposer des produits basés sur l’IA générative. La cohabitation avec FAIR semblait impossible : le rôle de Yann LeCun était de faire de la recherche, celui de Superintelligence d’utiliser l’IA pour améliorer les produits de Meta.
Si Yann LeCun reconnaît que les modèles actuels sont « utiles » et « intéressants » pour certains usages concrets, mais nie l’idée selon laquelle ils constituent « un chemin vers l’intelligence de niveau humain ». Il fustige une industrie « complètement hypnotisée par les modèles génératifs » et ajoute, sur un ton rieur : « il y a des gens qui prétendent qu’on va juste augmenter la taille de nos technologies actuelles pour atteindre l’intelligence humaine. J’ai toujours pensé que c’était des conneries ».
À quoi ressemblera son nouveau projet ? LeCun ouvre la porte à des partenariats avec des entreprises européennes, qu’il présente comme « pleines de talents » et « pas encore à leur potentiel maximum », mais ne dit pas pour autant que sa startup sera française. Il indique d’ailleurs que Meta ne sera pas trop loin : « Meta est un partenaire, mais pas un investisseur ». Mark Zuckerberg pourrait notamment fournir une partie de l’infrastructure de sa nouvelle entreprise.
AMI plutôt que AGI : Yann LeCun veut créer l’IA du futur
Yann LeCun le répète depuis des mois : ChatGPT, ce n’est pas assez, l’IA a besoin d’une rupture technologique pour vraiment changer le monde. Pour lui, une IA entraînée uniquement sur du texte est comme quelqu’un qui aurait lu tous les livres sur la conduite sans jamais monter dans une voiture. Elle peut faire illusion, mais elle ne « sait » pas conduire.
Pour remplacer les LLM, le chercheur a longtemps défendu le projet « AMI » chez Meta, qui vise à concevoir une architecture cognitive différente, capable de planifier et de comprendre le monde physique. Son projet AMI vise à créer des « World Models » (modèles du monde) : c’est-à-dire des systèmes qui n’essaient pas de deviner le mot suivant, mais de prédire les conséquences physiques d’une action. Meta l’avait évoqué publiquement ces derniers mois, mais ne semble plus en faire une priorité.
Fervent défenseur de l’Open Source, qu’il a longtemps poussé avec les modèles Llama, Yann LeCun n’a pas manqué d’égratigner l’approche fermée de ses rivaux américains, tout en soulignant paradoxalement que la Chine avait mieux compris l’enjeu : « Les acteurs américains ont pris une mauvaise route. La raison pour laquelle l’IA progresse, c’est l’Open Source. Aujourd’hui, les meilleurs modèles Open Source sont chinois ». Yann LeCun suggère que, sans Meta, il n’y aurait pas eu de DeepSeek. On peut aussi y voir une pique à la stratégie actuelle de Mark Zuckerberg : si Meta abandonne la recherche pour se concentrer sur des produits, alors elle perdra cette avance.
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