Depuis plusieurs années, une startup bordelaise et l’hôpital public de Marseille travaillent sur la greffe de peau à partir de bio-impression. Les premiers tests sur des patients devraient bientôt démarrer.

À Marseille, l’AP-HM et la startup Poietis (du grec « fabriquer ») étudient la faisabilité de greffer de la peau imprimée à partir d’une imprimante 3D. « Nous avons terminé la phase de recherche », nous explique Julie Véran, responsable de production d’unité de thérapie cellulaire à l’AP-HM. « On va pouvoir désormais passer aux essais cliniques. »

Pendant trois ans, la start-up bordelaise de biotechnologie et l’unité de thérapie cellulaire de l’AP-HM ont travaillé à la création d’une peau bio-imprimée pour la greffe humaine. La startup a développé cette technique en 2013, pour proposer une alternative aux entreprises après l’interdiction européenne de tests de produits cosmétiques sur les animaux. 

Un tissu simple à travailler

En 2021, l’entreprise signe un partenariat avec l’assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM) et s’est lancée dans une tout autre mission : imprimer de la peau pour les personnes en attente de greffe.

« La bio-impression de peau est une stratégie assez prometteuse, reconnaît un chargé de recherche à l’Inserm qui souhaite rester anonyme. C’est un tissu simple, peu épais et pour lequel on arrive assez bien à structurer les différentes couches. »

Bio-impression de peau à la Conception à Marseille. // Source : AP-HM
Bio-impression de peau à la Conception à Marseille. // Source : AP-HM

À ce jour, pour faire une greffe de peau, les médecins passent par une autogreffe. C’est-à-dire qu’ils prélèvent du tissu cellulaire sur zone saine pour le greffer sur la partie malade.

Cette technique efficace avec peu de taux de rejet peut, cependant, s’avérer difficile notamment pour les grands brûlés. Les prélèvements de peau doivent se faire en plusieurs fois, tant la surface à réparer est importante. Ce qui, en plus d’être long, peut être douloureux. 

Des cellules de peau qui servent d’encre

Grâce à cette plateforme de bio-impression NGB, l’entreprise Poietis espère pouvoir modifier cette pratique. Avec leur imprimante, il suffirait de prélever seulement deux centimètres de peau, pour une surface de 40 cm².

« Pour l’instant, nous avons testé la faisabilité de cette technique grâce à des morceaux de peau qui devaient être détruits (biopsie, réduction mammaire, recollement des oreilles, etc.), reprend Julie Véran. Et les essais sont assez concluants. On va donc passer à la phase de greffe sur un groupe test de 10 – 15 patients. »

Une fois cette peau saine prélevée, les cellules vont être isolées puis mise en culture. D’un côté les cellules de l’épiderme, de l’autre celles du derme. Ces deux « soupes » vont devenir comme des encres, continue Julie Véran, et l’imprimante va pouvoir créer une nouvelle peau en imprimant des couches successives sur du collagène. 

« « Les phases d’impression, ce sont des journées entières »

Julie Véran

Après dix à vingt jours de maturation, il sera alors possible d’utiliser cette nouvelle surface de peau artificielle. La greffe pourra ainsi intervenir trois semaines après le prélèvement. « Les phases d’impression, ce sont des journées entières, c’est assez long », détaille Julie Véran. Chaque couche de peau est imprimée séparément.

Prochaine étape : la cornée

Les premiers essais humains se feront sur de petites plaies traumatiques, l’impression ne pouvant, pour l’instant, pas dépasser 40 cm². Les greffes ne seront pas non plus situées sur le visage, les mains ou les avant-bras pour éviter les cicatrisations trop visibles en cas de difficultés.

Cette dernière phase de test intervient après des essais en juillet dernier (2023) sur des souris. Cocasse pour une start-up qui voulait remplacer la peau animale dans les essais cliniques.

« Sur le cartilage ou la cornée, cela risque d’être plus compliqué »

À terme, l’AP-HM et Poietis espèrent pouvoir imprimer du cartilage, voire des cornées. « Sur le cartilage ou la cornée, cela risque d’être plus compliqué », nuance un chargé de recherche à l’Inserm sous couvert d’anonymat. « La fabrication de la cornée pourrait fonctionner parce que le tissu est fin, et similaire en certains points avec la peau. Pour le cartilage articulaire, en revanche, énormément d’équipes travaillent dessus dans le monde et pour l’instant on n’y est pas. Dans le meilleur des cas, on pourrait espérer de premiers essais cliniques d’envergure d’ici 10-15 ans. »

Les tests de peau bio-imprimée sont soigneusement conservés. // Source : AP-HM
Les tests de peau bio-imprimée sont soigneusement conservés. // Source : AP-HM

Pas de peau non-blanche en bio-impression pour l’instant

Autre point à noter, cette peau imprimée n’est pour l’instant prévue que pour les peaux blanches. L’ajout de mélamine se fera dans une seconde phase de recherches. Les personnes qui participeront à cet essai dans les prochains mois ne pourront donc pas avoir une peau de la même couleur que leur peau naturelle.

« Au-delà de la couleur de peau, la greffe bio-imprimée devra aussi évoluer sur le développement des poils et des glandes, des pores de la peau, etc. », continue le chercheur. « Sur les grands brûlés, par exemple, tout le système vasculaire est aussi détruit. L’autogreffe permet de revasculariser la peau. »

L’essai clinique devrait commencer d’ici à 6 mois. Si les résultats et les coûts bénéfices / risques sont concluants, il devrait être possible d’envisager les premières greffes d’ici 5 à 10 ans. Quant au coût de ces greffes via des imprimantes 3D, il n’a, pour l’heure, pas été communiqué. Contactée à de nombreuses reprises, l’entreprise Poietis n’a pas donné suite à nos demandes d’interviews.

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