Buck Love. C’est le nom que l’on a imposé à Romain lors de son premier jour de tournage. Buck pour le côté anglophone, Love pour le pseudonyme qui claque, qui vend du rêve. Parce que dans cette industrie, il faut vendre de la chair fraîche. Le porno, c’est la toile de fond qu’a choisi Ovidie pour sa première série de fiction, Des gens bien ordinaires.
Disponible sur Canal+, cette première saison en huit épisodes est tout simplement une réussite sur tous les plans. Ovidie était déjà une excellente analyste féministe dans le domaine du documentaire (Là où les putains n’existent pas sur Arte), du podcast (Vivre sans sexualité sur France Culture) ou des essais aussi politiques qu’intimes (Baiser après #Metoo, éd. Marabout). Mais c’est dans le domaine de la série que son talent s’épanouit le mieux, dans un univers qu’elle connaît bien, puisqu’elle a elle-même travaillé dans l’industrie du porno, des deux côtés de la caméra.
L’importance des détails
Avec Des gens bien ordinaires, la réalisatrice met donc en scène Romain, comme une sorte de très lointain double de fiction d’elle-même. Interprété par l’étonnant Jérémy Gillet, déjà vu dans Mytho, disponible sur Netflix, cet étudiant en sociologie décide d’explorer l’univers du X. Sauf qu’il y a un petit twist : nous sommes dans une dystopie et les rapports de genre sont inversés. Sans jamais tomber dans la caricature, la série inverse le masculin et le féminin pour mieux dénoncer le sexisme ordinaire, entre stigmatisation, hyper sexualisation et condescendance.
Loin de mettre les garçons en robe et les filles en costard/cravate, Des gens bien ordinaires prend plutôt le parti de s’attarder sur des détails. Dès les premières minutes de la saison, Romain prend ainsi le temps de s’appliquer des masques sur le visage ou de s’épiler les jambes. Puis, dans le bus, il fait face au regard libidineux d’une vieille femme. En arrivant sur son premier plateau de tournage porno, il fait face aux remarques des actrices et réalisatrices, qui voient en lui un simple morceau de chair fraîche. Chacun des huit épisodes s’attarde sur des situations banales, avec des gens ordinaires, comme le dit si bien le titre. Et c’est là toute la force de la série, qui provoque un malaise à partir d’événements malheureusement encore trop courants pour les femmes.
Pas de nudité gratuite chez les Gens bien ordinaires
Tout en dressant le portrait d’un milieu en pleine transition entre les années 1990 et les années 2000, Ovidie s’attarde surtout sur le destin de ses personnages. Des gens bien ordinaires sonne alors comme une succession de 8 tableaux de 15 minutes dans la vie de Romain, rythmée par sa découverte du porno autant que par sa relation avec sa compagne toxique ou ses convictions politiques.
À ses côtés, gravitent de nombreux protagonistes hauts en couleur comme Andrée, une actrice porno un brin grossière, mais attachante, avec dix ans de métier derrière elle. Interprétée par la géniale Sophie-Marie Larrouy (Derby Girl sur France TV Slash), cette comédienne blasée, grande adepte des claquettes-chaussettes, est la parfaite illustration d’un machisme latent au sein de la société, et que l’on retrouve donc évidemment dans le milieu du porno.
Mais l’industrie du X se pose en simple toile de fond de la série, comme s’il s’agissait de n’importe quel autre domaine, sans jamais se transformer en prétexte voyeuriste. La force de la série est ainsi d’éviter toute scène de violence ou de nudité gratuite. Des gens bien ordinaires ne verse jamais dans le sensationnalisme et les scènes les plus violentes se déroulent toujours hors champ. Un parti pris qui a pour effet de décupler le sentiment de malaise, sans tomber dans la surenchère inutile.
Loin des fictions habituelles sur le porno
Avec Des gens bien ordinaires, Ovidie ne se contente donc pas de dénoncer les pièges de l’industrie pornographique. Au contraire, c’est plutôt la violence de toute une société qui ressort de cette première saison. La réalisatrice féministe nous confronte à un sexisme d’une banalité consternante et s’éloigne des fictions habituelles sur le milieu du X. Son regard tragi-comique, aussi froid et désabusé que parfois sarcastique, fait souffler un vent de fraîcheur sur ces productions, habituellement misérabilistes et finalement peu réalistes. Oui, parce que Des gens bien ordinaires offre également des moments de comédie savoureux, comme pour mieux désamorcer la gravité des situations abordées.
On termine la saison en espérant désespérément l’annonce d’une deuxième tournée d’épisodes, d’autant que la série se finit sur un choix décisif de la part de Romain, pendant le festival de Cannes. En attendant, Des gens bien ordinaires peut directement se placer comme l’une des meilleures séries françaises de l’année.
L’abonnement à Canal+ commence à 20,99 euros par mois
Le verdict
Des gens bien ordinaires
Voir la ficheOn a aimé
- Un casting formidable
- Une réalisation désaturée intriguante
- Une inversion des genres subtile et intelligente
- Un propos sur le porno original, loin du voyeurisme habituel
- Andrée for ever ♥️
On a moins aimé
- À quand l’annonce d’une saison 2 ?
La réalisatrice de documentaires et de podcasts Ovidie passe à la fiction sérielle avec Des gens bien ordinaires, disponible sur Canal+. Cette dystopie, dans laquelle les rapports de genre sont inversés, se concentre sur l’histoire de Romain. Cet étudiant en sociologie décide de s’impliquer dans le milieu du porno et de découvrir ses plateaux de tournage. Avec cette expérience, il subira le sexisme devant et derrière la caméra, y compris de la part de ses proches. Des gens bien ordinaires est une série féministe et politique, qui ne plaira probablement pas à tout le monde mais qui a le mérite de traiter du porno avec originalité. La nudité et la violence sont quasiment absentes, permettant au spectateur de réellement s’interroger sur le propos de la série. Un tour de force éblouissant, à ne pas manquer.
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