Dan Houser, directeur créatif de Rockstar Games, a annoncé avec légèreté que son équipe travaillait plus de 100 heures par semaine sur Red Dead Redemption 2. Et sa défense ne satisfait pas la critique. Retour sur une polémique, témoin d’une nouvelle prise de conscience dans le jeu vidéo..

Dan Houser, le directeur créatif de Rockstar Games, qui produit le très attendu Red Dead Redemption 2, est au cœur d’une polémique. Dans une interview rare, pour le site Vulture, il chiffre la durée des semaines de travail de son équipe à plus de 100 heures au moment du bouclage du jeu vidéo.

La citation incriminée est extraite de l’article et a été republiée le lendemain dans le New York Magazine. Les frères Houser, Sam et Dan, respectivement PDG et directeur créatif de Rockstar, ne se livrant que très rarement à la presse, l’article fait figure de rareté et l’entreprise elle-même esquive les salons, même le très populaire E3. Le récit du journaliste corrobore cette culture du secret : l’accès aux bureaux de la production se fait sous contrôle, dans une entreprise où le leak est pourchassé. Comment se fait-il alors que, dans un contexte aussi précieux ou chaque mot est choisi, cette citation ait pu sortir ?

« Certaines semaines, nous avons travaillé plus de 100 heures » — Dan Houser

C’est qu’elle advient au moment où les conditions de travail des employés du jeu vidéo sont sérieusement pointées du doigt. Enfouie au dix-huitième paragraphe de ce reportage aussi long qu’intéressant, cette phrase apparaît comme un sérieux dérapage à l’heure où les enquêtes sur l’industrie du jeu vidéo pullulent. Le crunch, cette période de bouclage familière au milieu de la production vidéoludique, est sujet à de nombreux débordements. Au début de l’année 2018, Mediapart et Canard PC travaillaient main dans la main sur un dossier d’enquêtes intitulé Crunch Investigation (dont un article est disponible en libre accès).

La montagne de travail, symbole de qualité

La citation se noie sous une pluie de chiffres pharaoniques destinés à mettre en valeur la minutie du travail demandé. Elle s’insère dans un récit de prouesses techniques qui justifierait les horaires démentiels, et la longue attente avant la sortie du jeu. Ce second opus de la série arrive huit ans après son prédécesseur, au bout de sept ans de développement. Le temps et le budget investis sont largement au-dessus des standards de l’industrie. Et les attentes en termes de ventes tout aussi grandes, alors que GTA V, l’autre champion de Rockstar,  franchira bientôt la barre des 100 millions de copies vendues.

Devant le tollé que la phrase a suscité, Dan Houser s’est défendu, sur le site Kotaku : « Après avoir travaillé sur le jeu pendant sept ans, l’équipe d’écriture senior, qui regroupe quatre personnes, dont moi, a, comme toujours, travaillé intensément pendant trois semaines pour tout boucler. » Il ajoute qu’il n’attend pas que ses employés aient ces horaires, même s’il suggère que certains le font « parce qu’ils sont passionnés. » Une défense qui ne passe pas aussi bien que prévu.

La surcharge de travail, une habitude de Rockstar Games (et de l’industrie)

À la suite de cette histoire, Le Monde a consacré une enquête aux conditions de travail des employés qui ont travaillé sur Red Dead Redemption (2010) et GTA V (2013). Le bilan est sans appel : les horaires de travail attendus de la part des développeurs s’approchent des extrêmes. Et ce, de la même manière dans les différentes unités de l’entreprise à travers le monde. Si ces témoignages datent, ils indiquent au moins la dureté avec laquelle les frères Houser traitaient leurs employés, même si les heures supplémentaires sont payées le double.

Jason Schreier, journaliste et auteur du livre Du sang, des larmes et des pixels a porté la question du crunch dans l’espace public dès 2017. Il pointe en quoi, pour lui, la pratique du crunch construit un cercle vicieux. L’industrie manque de développeurs expérimentés pour finir ses jeux dans les temps, parce qu’elle broie les développeurs avant.

La phrase qu’a laissé échapper Dan Houser est symptomatique de pratiques dont l’industrie est consciente depuis de nombreuses années. En 2010, avant la sortie de Red Dead Redemption, un groupe d’épouses d’employés du studio de San Diego avait attaqué les conditions de travail de leur moitié dans une lettre ouverte. « Tout le monde sait que certains employés ont été diagnostiqués de syndromes dépressifs et au moins un d’entre eux est connu pour ses tendances suicidaires », dénonçaient-elles alors. Elles menaçaient d’attaquer Rockstar Games en justice si l’entreprise n’offrait pas de compensation pour les torts qu’elle causait à ses employés.

Sept ans après, ces conditions n’ont, semble-t-il, que peu changé. Et la vérité devrait rester sous clé… au moins jusqu’à la sortie du jeu, le 26 octobre.

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