Avec malice et habileté, Jusant repose sur bien des paradoxes. Il ne cesse de raconter son histoire sans prononcer le moindre mot. Il nous plonge dans un monde post-apocalyptique d’une poésie et d’un onirisme saisissants. Il se veut une promenade paisible tout en nous projetant dans quelques séquences haletantes. Il puise dans ses vifs contrastes une singularité presque magnétique au point qu’il est difficile de lâcher la manette dès les premiers mètres gravis.
Jusant raconte l’épopée vertigineuse d’une jeune héroïne (ou héros, le genre n’étant pas spécifié), se lançant dans l’ascension d’une tour minérale monumentale, figée dans ce qui ressemble à un désert jonché d’épaves de bateaux et filant tellement haut dans le ciel qu’elle s’efface peu à peu dans les nuages. Jusant repose donc avant tout sur l’escalade et déroule pour cela un gameplay très intuitif, où les gâchettes de la manette commandent les bras de notre mystérieuse aventurière. Chaque pression permet ainsi de saisir une prise (sans lâcher l’autre, sinon… aïe !) dans un va-et-vient qui se transforme vite en une cadence naturelle et très immersive, pour ne pas dire charnelle. Par ses quelques mécaniques, Jusant réussit en effet à rendre palpable ce rapport entre le corps de notre frêle personnage et cette roche abrupte qui s’étend presqu’à l’infini sous lui.
Points forts
- Une direction artistique à tomber
- L’ivresse de l’escalade
- Poétique et mystérieux
Points faibles
- Un peu court, mais on s’en fiche
- Quelques petits bugs de collision
- Avant-dernier chapitre un peu en retrait
Jusant, ou l’ascension émotionnelle
Reliée par une corde de sécurité qu’il faut apprendre à dérouler et parfois assurer par quelques pitons, notre héroïne ne peut pas faire de chute fatale, à aucun moment. En revanche, on peut dévisser, de haut parfois, et perdre alors tout le bénéfice d’une avancée parfois complexe dans ce labyrinthe de prises qui s’étire en de véritables puzzles dont il faut comprendre la logique pour progresser. Le jeu apprend d’ailleurs à apporter doucement de nouvelles idées pour enrichir ces séances. La corde, sécurisée au préalable, permet de descendre en rappel et se balancer, d’étranges bestioles rocailleuses rampant à même la roche pourront se transformer en prises opportunes et le vent pourra, lui, être un allié ou un obstacle par moment.
Notre grimpeuse est également aidée par un drôle de petit compagnon, un Ballast, sorte de grosse goutte d’eau dont les petites pattes, les grands yeux noirs et les petites onomatopées charment immédiatement. Il apprendra au fil du temps à utiliser d’étranges pouvoirs qui peuvent faire pousser de longues fleurs auxquelles s’agripper ou encore nous projeter en l’air grâce à des insectes luminescents. Toutes ces interactions s’entremêlent pour créer des passages d’escalade dont le challenge croît peu à peu sans devenir sèchement punitif.
Face à l’amer
Mais dans Jusant, il n’est pas question que de grimpette. En contrepoids de ces phases sportives, le jeu développe une fine trame narrative qui se dévoile principalement par ses décors et donc, leur exploration. Cette interminable structure minérale est en effet constellée d’habitations troglodytes, de bars, d’ateliers, de places et terrasses… Des lieux déserts où le temps semble figé. Un petit air de fin du monde plane ici. Mais, par la rondeur minimaliste de ses graphismes et la chaleur paisible des tonalités de couleurs, tout cela n’a rien de lugubre — tout au plus ressent-on une poignante nostalgie en traversant ces décors. Ce qui domine, c’est une avide curiosité de découvrir ce monde singulier, constamment relancée par de petites découvertes qui semblent souvent avoir une histoire à raconter.
Pour nourrir et guider notre imagination (et nous pousser encore plus à fouiller çà et là), on trouvera parfois des lettres et carnets où s’écrivent des bribes de cette vie d’avant et s’esquissent discrètement les raisons de ce qui ressemble à un exode soudain. La « tour » cache aussi des coquillages magiques où résonnent encore quelques sons et images du passé, ou encore des fresques à raviver pour percer les mystères de cette civilisation qui semble s’être brusquement évanouie.
Par cette manière de raconter silencieusement son histoire et sa propension à la contemplation solitaire de décors grandioses et intimidants, Jusant renvoie évidemment aux productions de Fumito Ueda (Ico, Shadow of the Colossus). Le flow de son gameplay et cette manière vive et naturelle d’évoluer dans l’espace du jeu pourraient aussi réveiller des réminiscences de Journey. De ce fait, on est assez peu surpris de découvrir le dénouement de cette odyssée en une demi-douzaine d’heures. Cela peut paraître court, mais cela correspond peu ou prou aux canons du genre et, en cette folle année 2023, c’est un bonheur de plonger dans cette petite parenthèse onirique qui ne va pas accaparer des dizaines d’heures de notre vie. Surtout, cela permet à Jusant de conserver un bon rythme et de ne jamais céder à la tentation de diluer inutilement son propos ou son gameplay. Tout juste pourrait-on regretter que l’avant-dernier chapitre ne soit pas un peu plus soutenu, à la fois dans la montée en tension de sa mise en scène et par ce petit côté feu d’artifice des éléments de gameplay cumulés, un peu trop timide en l’état.
Le verdict
Jusant
Voir la ficheOn a aimé
- Une direction artistique à tomber
- L’ivresse de l’escalade
- Poétique et mystérieux
On a moins aimé
- Un peu court, mais on s’en fiche
- Quelques petits bugs de collision
- Avant-dernier chapitre un peu en retrait
Tel un funambule suspendu au-dessus du vide, Jusant semble animé d’une grâce naïve et impressionne tout autant qu’il intrigue. Il oscille à merveille entre des phases d’escalade joliment pensées et très prenantes, et l’exploration de lieux fascinants qui prennent vie grâce à une direction artistique d’une douceur folle. L’ascension ne prend que quelques heures, mais elles réservent de merveilleuses surprises qui sauront se figer dans votre esprit en souvenirs presque palpables.
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