Vous avez probablement déjà vécu cette situation : vous êtes tranquillement installé dans votre canapé, devant votre série ou votre film préféré, et vous avez activé la VO sous-titrée en français. Et, là, malheur, vous vous apercevez que la traduction écrite ne correspond pas au texte des acteurs en langue originale.
Avant de décrocher votre plus belle plume pour concocter un tweet assassin contre votre plateforme de SVOD, on vous invite plutôt à découvrir le métier de celles et ceux qui sont si souvent décriés : les sous-titreurs et auteurs de doublage. Ces traducteurs travaillent dans l’ombre pour nous permettre de savourer nos séries du moment, sans avoir à devenir bilingue en anglais, en espagnol ou en coréen du jour au lendemain.
Le doublage, un univers méconnu
Pour les amateurs de VF, ce sont les auteurs ou adaptateurs de doublages qui vous sauvent la mise. Un travail complexe qui doit respecter plusieurs règles : traduire l’œuvre d’origine sans trahir le propos, respecter la synchronisation labiale qui permet au texte d’être calé sur les mouvements de bouches des acteurs… François Dubuc, qui a travaillé sur l’adaptation de la récente Sandman sur Netflix, le faisait justement remarquer dans un thread publié sur Twitter le 19 août 2022, après la sortie de la série. Il y explique comment, avec son collègue Jonathan Amram, ils ont écrit la traduction de la première saison et quels choix ont été opérés pour conserver l’esprit de la bande dessinée originelle.
Ces choix difficiles, Caroline Lecoq les expérimente également sur chacun de ses nouveaux projets. L’autrice de doublage indépendante, qui a notamment voyagé dans l’Upside Down pour traduire les quatre saisons de Stranger Things, traite généralement avec des studios spécialisés, qui servent d’intermédiaires avec la plateforme de diffusion, comme Netflix. Vous avez peut-être déjà aperçu le nom de Dubbing Brothers, par exemple, à la fin de certains génériques. Pour les longs projets comme des séries, les adaptateurs de doublage travaillent généralement en binômes. « Le studio et le directeur artistique nous envoient des notes de traduction, avec les termes que l’on doit garder ou au contraire ceux que l’on doit adapter », détaille Caroline Lecoq. On peut voir ça comme du soutien à la traduction, en plus de notre travail de recherche et de lecture en amont, si l’œuvre est tirée d’un livre par exemple. »
El ou Elfe ?
Parfois, certaines consignes sont tout de même plus difficiles à mettre en place que d’autres. Avec sa collègue Fanny Béraud, Caroline Lecoq a ainsi dû trouver un surnom français à Eleven, surnommée El en anglais dans Stranger Things. « On s’est pris des cailloux par certains spectateurs pour ça, mais déjà, il était totalement logique de traduire Eleven en Onze. Netflix nous avait confirmé que ce numéro avait une importance dans l’histoire et que d’autres personnages feraient leur apparition. D’autant que dans la scène où l’on apprend son prénom, un protagoniste voit le chiffre tatoué sur son bras, donc la logique française l’empêche de dire ‘Ah Eleven !’. Pour le surnom, c’était une demande de Netflix, donc nous avons décidé de créer Elfe, en référence au fait que les personnages de la série jouent à Donjons et Dragons et qu’ils trouvent Eleven dans la forêt. »
Sur la première saison, une séquence a également posé un problème : la scène des lettres sur le mur, illuminées par Will pour communiquer avec Joyce depuis l’Upside Down. « Dès qu’il y a un texte écrit à l’écran, c’est un peu notre bête noire puisqu’il est difficile de le contourner et de le traduire. Là, dans Stranger Things, Will épelle visuellement « Right here » sur le mur et en français Joyce répète « Juste ici ». On nous avait demandé trois propositions de traduction pour cette scène et, selon moi, ils ont choisi la pire solution. On l’a su à la diffusion en plus, donc j’étais horrifiée de découvrir le résultat en regardant l’épisode, mais cela arrive malheureusement. »
Entre 7 et 10 minutes traduites par jour
Mais, pour Caroline Lecoq, travailler pour Netflix n’est pas forcément plus difficile que de créer des adaptations pour TF1, au contraire : « En général, on est même presque plus libres lorsqu’on écrit pour une plateforme que pour une chaîne de télévision classique. En France, le CSA fait très attention à ce qui est diffusé et à quelle heure. Pour TF1, qui est une chaîne populaire, on doit être attentif à ne pas faire l’apologie de l’alcool, à ne pas utiliser des mots trop compliqués ou à ne pas conserver le nom des marques. Parfois, on ne peut donc pas être entièrement conformes à la VO, pour qu’un public non averti ne soit pas heurté. »
L’adaptatrice de doublage estime tout de même que son travail n’est pas si différent d’une chaîne à l’autre. « Le processus est en général le même : en tant qu’adaptateurs de doublage, on écrit entre 7 et 10 minutes d’épisodes par jour, donc les studios nous laissent au minimum ce temps nécessaire pour la traduction. Ensuite, notre travail est relu par le directeur artistique en amont, avant l’enregistrement des voix avec les comédiens. »
Sous-titrage et doublage : deux métiers distincts
Du côté des sous-titreurs aussi, la tâche n’est pas aisée. Si vous êtes plutôt amateurs de VO, c’est leur travail qui vous change la vie lors de soirées Netflix & Chill. Si certains aspects sont communs au doublage, les deux métiers restent complètement différents. « La contrainte de lisibilité du sous-titreur et celle de la synchronisation labiale du doublage imposent deux styles de traduction », estime Sylvain Caschelin, sous-titreur et responsable du Master 2 Traduction audiovisuelle et accessibilité à l’Université de Strasbourg. Nathan Tardy, également auteur de traduction audiovisuelle, le confirme : « Là où le doublage doit coller aux lèvres, en sous-titrage, nous avons des limites de temps et de caractère à respecter. Nous avons donc chacun des énigmes différentes à résoudre. »
Pour Netflix, par exemple, les sous-titres ne doivent pas excéder 17 caractères par seconde de dialogue, pour être considérés comme faciles à lire. « Cela dépend également du type de produit », précise Sylvain Caschelin. « Dans un programme de télé-réalité, les protagonistes parlent vite, se coupent beaucoup et il y a énormément de texte, donc cela peut être compliqué. À l’inverse, certains documentaires sont plus contemplatifs. Mais, la difficulté principale, c’est le temps donné pour travailler, qui est extrêmement variable : avec Arte, on peut avoir un mois et demi pour traduire un film de 90 minutes, tandis que pour Netflix, on peut avoir 3 ou 4 jours pour écrire un épisode de 44 minutes. Netflix ne nous met pas forcément plus de pression, mais on sait que si l’on accepte de travailler pour eux, ça se passera comme ça. »
En parallèle de toutes ces contraintes techniques, les adaptateurs de doublage et sous-titreurs doivent par ailleurs faire face au cœur de leur métier : les choix de traduction en eux-mêmes. Pour Nathan Tardy, les adaptations dépendent largement de l’auteur : « Qu’importe le texte, chaque traducteur va l’adapter à sa manière, selon ses connaissances, son contexte, son interprétation de certains éléments… Selon moi, le plus important est de conserver l’âme du texte, tout en le rendant immédiatement compréhensible. Parfois, on a beau retourner un problème dans tous les sens, on ne trouve pas d’adaptation satisfaisante, notamment avec des cultures très différentes de la nôtre. C’est le cas des animes japonais, sur lesquels je travaille régulièrement, et dont l’humour et les jeux de mots sont complexes à retranscrire. Mais, tant que ma traduction est comprise par mon public, je considère que mon travail est réussi. »
Sylvain Caschelin partage ce constat : « On se demande toujours si nos parents comprendraient une blague, par exemple. En écrivant des sous-titres, il faut aussi constamment trouver un équilibre entre la langue parlée et écrite. Si notre œil s’arrête sur un mot que l’on a jamais vu écrit alors qu’on l’entend sans problème, comme ‘seum’, on va rater les trois sous-titres suivants et il ne faut surtout pas que cela arrive. »
De son côté, Caroline Lecoq vit certains choix de traduction comme des « crève-cœurs », mais essaie toujours de se concentrer sur le principe général : « Je ne traduis pas des mots, je traduis une idée et j’essaie de le faire de façon spontanée, pour que cela soit naturel dans la bouche des acteurs. »
La rentabilité avant tout
Régulièrement critiquées, notamment sur les réseaux sociaux, mais aussi parfois par les traducteurs eux-mêmes comme sur le film Roma en 2019, les adaptations ne sont pas si simples à mettre en œuvre. Caroline Lecoq, elle, ne lit plus les retours puisque, « en général, les gens n’aiment pas la VF, donc ce n’est jamais très gentil. C’est un métier souvent méprisé, mais il est facile de critiquer lorsqu’on ne connaît pas les tenants et les aboutissants. À moins d’être né Dieu du doublage ou du sous-titrage, on reste des êtres humains. Parfois, on se trompe. Puis, le streaming a malheureusement vu naître des traductions littérales à n’en plus finir. »
Nathan Tardy le confirme : la traduction est souvent le dernier wagon de la production. « Netflix, comme les autres plateformes, vise avant tout la rentabilité. Bien sûr, on fait tous des erreurs de temps en temps. Mais, quand cela s’étend sur des épisodes entiers, c’est forcément qu’il y a eu un problème général : soit le délai alloué à la traduction était trop serré pour travailler dans de bonnes conditions, soit le budget était si bas que le sous-titrage a été confié à des amateurs, car les professionnels refusaient le contrat… Les causes sont multiples et proviennent bien souvent d’un manque d’organisation, de rigueur ou de rémunération de la part du diffuseur. La traduction est le pilier du succès de Netflix dans tous les pays non anglophones. Cependant, l’entreprise a l’air d’avoir encore un peu de mal à le comprendre, d’où la médiocrité de certaines traductions qu’elle héberge. »
Sylvain Caschelin, traducteur depuis plus de 20 ans, a également vu le métier évoluer depuis l’apparition des plateformes de SVOD : « Certains essais de sous-titres automatiques, générés par une machine, ont été réalisés. Le problème, c’est que, très souvent, cela ne ressemble à rien. En plus de signer la mort de nos métiers, cela habitue le spectateur à lire de mauvais sous-titres, mal placés, mal traduits, et qui peuvent contenir des fautes. Cela devient extrêmement difficile, pour nous, de faire comprendre aux clients qu’ils doivent payer pour notre travail, mais aussi de faire réaliser aux spectateurs qu’il y a des personnes derrière ces sous-titres. »
Alors, lorsque vous râlez sur la prétendue infériorité de la VF par rapport à la VO sous-titrée ou sur la qualité de certaines traductions, gardez cet article en tête. Rappelez-vous que des dizaines de personnes ont travaillé à son élaboration, et méritent votre considération.
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