Le futur GTA VI devrait permettre d’incarner un personnage féminin. Si l’on peut se réjouir de cet effort d’inclusion de la part d’une licence aussi célèbre, on a aussi le droit de s’en désintéresser. La journaliste Lucie Ronfaut explique pourquoi dans la newsletter #Règle30 de Numerama.

Quand je discute avec des femmes qui travaillent dans le jeu vidéo, un discours revient souvent : elles en ont marre de parler du sexisme dans les jeux vidéo. Les arguments varient selon les personnes, mais généralement, cette lassitude est motivée par une couverture médiatique qui n’a pas beaucoup évolué sur ces sujets ces dix dernières années. Les journalistes posent toujours les mêmes questions, s’étonnent encore des mouvements réactionnaires chez les gamers, mettent en avant les femmes du milieu comme si elles étaient des anomalies admirables, plutôt que des professionnelles. Pourquoi parle-t-on toujours des combats, et pas des progrès ?

J’avais ces discussions en tête quand j’ai vu éclater la polémique autour du prochain opus de Grand Theft Auto, célèbre série de jeux vidéo d’aventure et de tirs, qui met traditionnellement en scène des gangsters aux motivations diverses et variées, avec un humour cynique et potache. Le joueur ou la joueuse y dispose d’une grande liberté. On peut rouler sur des grand-mères, tuer des passant·es à bout portant, ou aller voir des prostituées. Or, d’après les informations du média américain Bloomberg, GTA VI (dont la date de sortie n’est pas connue) devrait proposer deux personnages principaux : un homme et une femme. Ce n’est pas exactement la première fois qu’il est possible d’incarner une héroïne dans un jeu GTA. Cela étant dit, la série a tellement été critiquée pour son sexisme et sa transphobie par le passé que l’information n’est pas passée inaperçue. D’après Bloomberg, ce choix s’accompagne d’une volonté plus globale de Rockstar, le développeur du jeu, de changer sa culture en interne (après des révélations, il y a quelques années, sur les cadences infernales imposées à ses employé·es) et d’être plus attentif au ton de ses œuvres.

La publication de cet article a provoqué de nombreuses réactions, certaines très violentes, d’autres franchement stupides (je suis au regret de vous annoncer qu’il n’existe que trois blagues sur les femmes, leurs règles et leur capacité à garer à une voiture, et qu’elles ont toutes été utilisées sur Twitter la semaine dernière). Quelques jours plus tard, une rumeur absolument pas sourcée sur un futur film Tomb Raider où l’héroïne entretiendrait une relation avec une femme a achevé d’énerver une certaine catégorie de gamers. Les mêmes, probablement, qui étaient mécontents qu’une héroïne de jeu vidéo puisse être lesbiennemuscléeà petite poitrine, autrement dit ne correspondant pas à l’idée qu’ils se font d’une « vraie femme« .

(le seul tweet qui m'a fait rire dans cette histoire)
(le seul tweet qui m’a fait rire dans cette histoire)

Il s’agit de savoir à qui appartiennent les jeux vidéo

Ces affaires ont beau se répéter ad nauseam, elles n’en restent pas moins violentes. Je n’ai pas trop envie d’en rire. La misogynie, même la plus crétine, reste un rappel à l’ordre pour les femmes : vous n’avez pas votre place ici. Au-delà du phénomène de gatekeeping typique du milieu des jeux vidéo (pour en savoir plus à ce sujet, lisez ce super article de Libération), il faut replacer ces affaires dans un contexte plus global. Aux États-Unis, la droite et l’extrême droite agitent régulièrement le slogan get woke, go broke pour critiquer les entreprises faisant des efforts d’inclusion et qui, supposément, en souffriraient financièrement par la suite. Et sur le web, le sexisme débridé attire les clics, à coups de tweets indignés, de vidéos YouTube de réaction, de duos TikTok moqueurs, etc. Peu importe que l’on parle d’œuvres qui ne soient même pas encore sorties pour qu’on puisse les juger, ou même que l’on parle de jeux vidéo tout court. L’important, c’est de hurler en ligne sur le sujet du moment, puis de récolter la devise de son choix (abonné·es, retweets, vues, colère d’internautes bien intentionné·es, etc.).

Finalement, je me demande si on a le droit de s’en foutre. Il est normal de s’intéresser aux efforts d’inclusivité de jeux vidéo majeurs. Il est aussi sain d’être un minimum sceptique : « GTA VI aura enfin une protagoniste féminine, mais est-ce qu’on peut vraiment faire confiance à Rockstar ? » s’interroge par exemple le média The Mary Sue, assez critique des héroïnes d’autres jeux du développeur. Car cette violence n’a pas pour sujet GTA, Lara Croft, les héroïnes ou même une industrie qui, de fait, se transforme petit à petit pour prendre enfin en compte les changements de notre société. Il s’agit de savoir à qui appartiennent les jeux vidéo.

Cet article est extrait de notre newsletter hebdomadaire Règle30, éditée par Numerama. Il s’agit du numéro du 3 août 2022. Pour vous y inscrire gratuitement, c’est ici.

La revue de presse de la semaine

RIP

Ce weekend, on a appris le décès de l’actrice américaine Nichelle Nichols. Elle était notamment connue pour son rôle dans la série Star Trek (dont la diffusion a débuté en 1966) où elle incarnait le lieutenant Nyota Uhura. Nichelle Nichols fut l’une des premières femmes noires à occuper un rôle majeur dans une série télévisée de grande audience aux États-Unis, faisant d’elle une icône au sein du mouvement des droits civiques, et même admirée par Dr. Martin Luther King Jr. Après la fin de Star Trek, elle s’est investie auprès de la Nasa afin d’aider au recrutement de femmes, particulièrement racisées, au sein de l’agence spatiale. Vous pouvez retrouver son portrait (en anglais) chez The Mary Sue. 
 

In Too Deep

J’ai déjà parlé plusieurs fois des enjeux des deepfakes, des outils de manipulation d’images et de sons fondés sur des procédés d’intelligence artificielle. Si ces contenus inquiètent beaucoup les politiques, ils sont surtout, pour le moment, associés à la pornographie non consentie et au harcèlement sexuel afin de traumatiser ou d’humilier des victimes, en grande majorité des femmes. Entreprises et gouvernements peinent à réagir au phénomène, malgré de nombreux cas déjà médiatisés. C’est à lire sur Le Monde.
 

Arrête de moder

Si vous voulez vous faire une idée sur l’avenir du « métavers« , oubliez Facebook/Meta, et intéressez-vous plutôt à VRChat. Cette plateforme, très populaire en ligne, permet d’évoluer dans des mondes immersifs à l’aide d’un casque de réalité virtuelle. VRChat est réputé pour sa communauté très créative, qui utilise des mods (des modifications amateures d’un jeu vidéo) pour proposer des expériences loufoques ou simplement mieux adaptées aux envies de chacun·es. Mais la semaine dernière, VRChat a officiellement interdit ces fameux mods. Au grand dam de ses joueurs et joueuses handicapé·es, qui avaient recours à de nombreuses options personnalisées pour mieux profiter de la plateforme. Plus d’informations sur cette affaire (en anglais) chez Kotaku.
 

Harcèlement

La semaine dernière, je dédiais la newsletter à notre impuissance face au cyberharcèlement. L’influenceuse Léna Situations a depuis sorti une vidéo racontant sa propre expérience de violences en ligne. Je n’ai pas trop pour habitude de vous recommander autre chose que des articles ou des documentaires, mais j’ai trouvé son témoignage frappant, et honnêtement assez déprimant, sur les réalités du cyberharcèlement aujourd’hui. C’est à regarder ici.

Quelque chose à lire/regarder/écouter/jouer

périple jeu règle 30

Chez moi, les vacances d’été riment avec jeux de société. J’avais donc envie de vous parler d’un titre qui a eu un gros succès dans ma famille : Périple. Vous y incarnez un groupe d’aventuriers et d’aventurières dans un univers ravagé par une étrange maladie. Un beau jour, tous ses habitant·es se sont endormi·es. Votre but est de recruter de nouvelles personnes dans votre groupe, en les tirant de leur profond sommeil, et réveiller le monde petit à petit.

En toute franchise, malgré une histoire intéressante et de belles illustrations, je me suis assez peu intéressée au lore de Périple. C’est surtout sa mécanique qui m’a plu. On s’y affronte à deux, trois ou quatre, face à une carte du monde. Votre but est de reproduire des formes correspondant aux membres de votre équipe. Si vous parvenez à placer le plus de pions possible, vous recrutez une nouvelle personne. La carte, elle, ne cesse d’évoluer au fil de la partie. Le premier joueur ou joueuse qui parvient à avoir 10 membres dans son groupe a gagné. Périple est un jeu de stratégie franchement amusant, et surtout accessible à tout le monde (ma belle-mère, pas vraiment une spécialiste des jeux de société, peut en témoigner).

Périple, un jeu de Ryan Laukat, édité par Lucky Duck Games


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