Alec Holowka se serait donné la mort samedi 31 août au matin, d’après un message publié par sa sœur. Le compositeur et développeur de jeux vidéo était accusé depuis plusieurs jours par des femmes d’abus et d’agression sexuelle. Scott Benson, un développeur qui travaillait avec lui sur le projet Night in the woods, avait expliqué qu’il mettait fin à leur collaboration.
Ce mardi 3 septembre, il est revenu sur cette annonce. Dans un long article de blog publié sur Medium, il raconte la relation toxique et abusive qu’Alec Holowka aurait entretenu avec lui pendant plusieurs années. Il témoigne aussi de propos douteux sur ses relations avec les femmes.
Scott Benson décrit sa relation avec Alec Holowka comme « compliquée ». « Il était, selon la personne à qui vous poserez la question, mon ami, mon collaborateur, un cauchemar, l’origine de mon stress post-traumatique et la raison pour laquelle je suivais une thérapie, précise-t-il. Parfois tout ça à la fois. »
Un beau projet vite entaché
C’est en juin 2013 que les deux hommes se rencontrent. À l’époque, Scott Benson a 32 ans et travaille à son compte. Indépendant dans le jeu vidéo, il a du mal à joindre les deux bouts. Il raconte qu’il avait des difficultés financières depuis des années. Quand Alec Holowka, une figure du métier avec beaucoup de contacts, s’intéresse à ses animations, il n’hésite longtemps. Il veut qu’ils développent un projet ensemble, et c’est une occasion en or.
Les débuts sont plutôt réussis. Les deux développeurs lancent un Kickstarter pour financer le jeu, Night in the woods, qui est couronné de succès. Scott Benson peut enfin passer du statut de freelance à celui de développeur à plein temps, sur un projet personnel.
En grattant un peu cette surface, il se souvient de premiers éléments troublants. Alec Holowka semblait avoir des épisodes de paranoïa, lui demandant par exemple s’il risquait de se faire tirer dessus lorsqu’il lui rendrait visite à Pittsburgh. Peu après que sa femme, Bethany Hockenberry, les a rejoint dans l’équipe de Night in the woods, Scott Benson aurait reçu des messages inquiétants. Alec Holowka lui aurait par exemple envoyé un sms dans lequel il aurait dit qu’il était saoul et qu’il allait parcourir les rues San Francisco « jusqu’à ce que quelqu’un le tue ». Le lendemain, il aurait expliqué avoir oublié ses médicaments, d’où ces propos.
Un mois plus tard, l’un des colocataires d’Alec Holowka, qu’il connaissait encore assez peu et qui vivait dans une ville différente, l’aurait contacté car il s’inquiétait pour son collaborateur. Il aurait dit qu’il craignait qu’Alec Holowka se fasse du mal ou n’en fasse avec quelqu’un d’autre. Le concerné aurait répondu qu’il s’était simplement disputé avec son colocataire, qui s’inquiétait pour rien.
Scott Benson rapporte aussi des propos douteux qu’il aurait eu à propos de toutes ses ex petites-amies. Holowka semblait penser qu’aucune ne l’ait bien traité ou compris. « Il disait qu’elles était toutes horribles, terribles (…) Je lui ai demandé : ‘Vraiment, toutes?’ et il a continué à s’énerver de plus en plus fort.» Ces allégations ne sont pas sans rappeler celles qu’a tenu Zoë Quinn, l’une des victimes présumées d’Alec Holowka qu’elle accuse d’agression sexuelle. Elle mentionnait des discours similaires.
Menaces de suicide et épisodes paranoïaques
Les choses se seraient ensuite peu à peu empirées. Il aurait eu des épisodes paranoïaques violents. « Il se persuadait de plus en plus que des gens avaient prévu de ruiner sa vie », dit Scott Benson.
Alec Holowka aurait aussi commencé à avoir des comportements particulièrement abusifs. En 2015, il se serait montré « physiquement menaçant » vis-à-vis des personnes qui l’entouraient. Selon Scott Benson, il aurait menacé « pour la première mais pas la dernière fois » de se suicider si son partenaire de travail ne faisait pas ce qu’il voulait.
Le développeur raconte qu’au travail, cela devenait compliqué : il aurait du refaire le jeu de nombreuses fois car Alec Holowka n’était jamais satisfait, ou n’avait juste plus envie de s’investir. La durée totale du jeu ne faisait que s’allonger et il n’en voyait pas le bout, raconte-t-il. Il s’était cependant mis à adapter son comportement et ses paroles pour tenter de ne pas froisser et mettre en colère le compositeur.
« Il a disparu pendant de longues périodes, se souvient Scott Benson. Il a arrêté de travailler sur Night in the woods. Quand on discutait il ne disait presque rien, ou alors soudain, il se mettait en colère. Contre moi, contre le monde, une ex-petite amie, ses ex-colocataires, contre n’importe quoi. »
« C’était de la pure toxicité »
La situation s’est parfois apaisée. Scott Benson raconte avoir été ami avec Alec Holowka pendant plusieurs mois et avoir dû subir d’autres phases très compliquées, durant lesquelles il dit avoir eu des crises d’angoisses, des paralysies du sommeil inexpliquées et des symptômes de stress post-traumatique. « L’homme que j’avais rencontré en 2013 s’était transformé en cauchemar. C’était de la pure toxicité », estime-t-il, revenant notamment sur les multiples chantages au suicide qu’Alec Holowka aurait fait.
Des témoignages jugés crédibles
Fin août 2019, plusieurs femmes ont témoigné sur les réseaux sociaux du harcèlement ou des abus sexuels qu’elles auraient subi dans le milieu des jeux vidéo. Plusieurs ont cité le nom d’Alec Holowka. Elles l’accusent d’avoir eu des comportements abusifs. L’une d’entre elles raconte qu’il aurait tenté de détruire sa réputation professionnelle parce qu’elle avait refusé ses avances. Une autre explique qu’il l’aurait agressée sexuellement.
« Je n’ai eu aucun problème à les croire, écrit Scott Benson à ce propos. Je les crois toujours, et pas seulement parce que j’ai certains principes. Je ne suis pas du genre à faire des jugements hâtifs sur quelqu’un que j’ai côtoyé pendant 6 ans. » Ces dernières années passées avec Alec Holowka lui ont prouvé qu’il pouvait être capable de certaines choses, précise-t-il.
Lorsqu’il a lu les témoignages sur Twitter, il raconte que cela a été à la fois rassurant et « terrible ». « Quand vous vous rendez compte que vous n’êtes pas le seul à souffrir, comment devriez-vous vous sentir ? », se demande-t-il.
Il assure que les témoignages qui sont sortis lui auraient été confirmés par plusieurs sources de confiance qui connaissaient bien Alec Holowka. « Tout à coup, ce qu’Alec disait à propos de ses ex, sa rancœur à ce sujet, a fait sens, écrit Scott Benson. Il avait fait des commentaires sur son passé qui ont du sens. Des commentaires à moi et d’autres personnes ces dernières années : il disait qu’il y avait des choses dans son passé amoureux qu’il avait peur de voir sortir. »
Il aurait contacté Alec Holowka après ces accusations, sans réponse de sa part. Il a aussi appris que le compositeur aurait adopté un comportement toxique avec d’autres employés du secteur après l’avoir fait avec lui. « J’ai appris que c’était un patron merdique. J’ai appris que des femmes que je connaissais, et qui n’avaient aucun lien entre elles, avaient peur de lui », raconte-t-il.
Après le suicide, des victimes présumées harcelées
Scott Benson indique qu’il est reconnaissant et admiratif du travail d’Alec Holowka mais cela ne doit pas faire oublier, selon lui, qu’il aurait poussé des gens à « quitter le secteur » ou « abandonner leurs rêves ». « J’ai survécu à Alec Holowka, dit-il. Et je suis un homme. Ceux qui n’en étaient pas ont subi pire. »
En réaction à ces événements, Scott Benson et Bethany Hockenberry avaient annoncé qu’il n’était plus question de travailler avec Alec Holowka sur le jeu Night in the woods.
Eileen Holowka, la sœur du compositeur, a annoncé samedi 31 août que son frère se serait suicidé. Elle a précisé dans son message qu’elle ne souhaitait pas que les femmes qui avaient témoigné se fassent insulter ou ennuyer. Malgré sa tristesse, elle « croyait les survivantes », un nom donné aux victimes de violences sexuelles en général. « J’ai fait tout ce que j’ai pu pour les soutenir », a-t-elle indiqué. « Alec avait bien dit qu’il ne souhaitait que le meilleur pour Zoë et les autres, donc n’utilisez pas notre deuil comme excuse pour harceler des gens », a-t-elle publié.
Ces précautions n’ont pas suffi à apaiser la situation. Les femmes qui ont témoigné contre Alec Holowka ont été victimes de cyberharcèlement massif et elles ont dû quitter les réseaux sociaux.
L’une d’entre elle, la développeuse Zoë Quinn, est particulièrement connue dans le milieu du jeu vidéo. Ce sont des « révélations » largement extrapolées faites par son ex-petit ami qui avaient conduit à la controverse du GamerGate. Il l’accusait de l’avoir trompé et d’avoir obtenu les faveurs d’un journaliste juste parce qu’elle était en couple avec lui. En réalité, ils n’étaient pas en couple et le journaliste ne la mentionnait que très brièvement dans son article.
À l’époque, cela avait suffit pour remettre en cause la place des femmes dans le milieu du jeu vidéo. Plusieurs d’entre elles avaient été harcelées au point parfois de devoir quitter leur domicile. Le GamerGate a été mentionné par plusieurs harceleurs de Zoë Quinn ces derniers jours. Ils se servent de cette histoire comme prétexte pour tenter de la discréditer à nouveau, et pour discréditer les femmes dans le secteur de manière générale.
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