Des photos et des vidéos montrant Emmanuel Macron à bord d’un train voyageant vers l’Ukraine dans la nuit du 9 au 10 mai ont été détournées pour faire croire à la présence de cocaïne à bord. Cette rumeur, beaucoup relayée sur X, a fait l’objet d’un démenti très direct de la part de l’Élysée, qui pointe une tentative de déstabilisation.

C’était une image prise initialement à des fins de communication politique. La veille d’un déplacement à Kiev pour manifester leur soutien à l’Ukraine face à l’invasion militaire russe, trois dirigeants européens ont pris place à bord d’un train en Pologne, pour un trajet de nuit. Outre Emmanuel Macron pour la France, il y avait aussi ses homologues allemand (Friedrich Merz) et britannique (Keir Starmer).

Pour souligner l’unité européenne sur ce sujet (le dirigeant polonais Donald Tusk a aussi fait le voyage, mais par un autre moyen de transport), la presse avait été conviée au départ du convoi ferroviaire. L’occasion de mettre en scène les retrouvailles entre les trois leaders dans une ambiance décontractée, sans costume et sans protocole particulier. Une séquence anodine, mais qui a été le point de départ d’une rumeur.

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Quatre des principaux leaders européens, en route pour Kiev. // Source : Simon Dawson

En se basant sur certaines photos et vidéos, des internautes ont prétendu que le mouchoir posé sur la table de réunion, à côté de verres d’eau et de dossiers, était en fait un sachet de drogue. Une allégation relayée aussi bien en France qu’à l’étranger, notamment par des comptes fortement suivis sur X (ex-Twitter), à l’image d’Alex Jones, un complotiste américain notoire, qui a affirmé le 11 mai qu’il s’agissait de cocaïne.

Florian Philippot, l’ex-député européen et ancien du Front National, est aussi revenu indirectement sur le sujet, suggérant une situation suspicieuse et un moment de gêne : « les 3 zozos va-t-en-guerre semblent mal à l’aise : que planque Macron », écrit-il, en partageant une vidéo montrant le président de la République récupérer le mouchoir, le tenir en main, avant de sembler s’en débarrasser.

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La séquence initiale, qui a fait démarrer la rumeur. // Source : Simon Dawson

Des comptes épinglés pour fake news ont repris cette rumeur

En raison du passif de ces deux personnalités, c’est la prudence qui devrait prévaloir en pareil cas. Alex Jones a construit tout un business sur ce terrain et est vu comme l’un des grands vecteurs des théories du complot dans la société américaine. Quant à Florian Philippot, il se fait souvent épingler : là, pour une vidéo détournée sur la grogne des agriculteurs Ici, sur le rôle de l’observatoire de lutte contre la désinformation en santé.

Outre ces deux comptes à forte visibilité sur le réseau social, d’autres profils ont soutenu cette assertion d’un sachet de drogue, parfois prenant d’autres éléments visibles sur la table comme d’autres preuves. Ainsi, la fine tige qui est visible à côté d’un dossier placé devant Friedrich Merz est décrite comme une cuillère à coke. Quitte à écarter toutes les autres possibilités, y compris les plus plausibles, comme un cure-dent ou un agitateur à boisson.

Source : Capture d'écran
Une tige interprétée comme un nouvel indice. // Source : Capture d’écran

Sur X, Joni Askola, qui est doctorant et analyste géopolitique finlandais à la faculté des sciences sociales, au sein de l’université Charles, livre une tout autre explication. Il s’agit tout simplement d’une opération d’intoxication sur les réseaux sociaux lancée à grande échelle par la Russie, car Moscou n’est pas du tout ravie de l’action diplomatique menée par les quatre dirigeants européens, le 10 mai 2025.

« La Russie a lancé une campagne de désinformation massive et coordonnée contre Macron, insinuant que le mouchoir sur la table est un sachet de drogue. Tous les actifs russes en France sont impliqués. Ne vous laissez pas avoir, mais cela montre aussi que la Russie est en colère, ce qui est un bon signe », écrit l’intéressé le 11 mai. Florian Philippot est d’ailleurs souvent associé à des positions pro-russes.

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Note de la communauté visant le tweet de Florian Philippot. // Source : Capture d’écran

Rumeur démentie via les médias, Grok et les notes communautaires

Toujours est-il que cette rumeur de cocaïne rencontre plusieurs obstacles

Le message de M. Philippot a fait l’objet d’une note communautaire sur X qui contredit la piste d’un sachet de drogue. Des liens vers des articles de 20 Minutes et de TF1 accréditent l’idée qu’il ne s’agit que d’un banal kleenex. Le reportage TV de TF1 permet de voir ce qu’il y a sur la table. Idem pour des clichés en très haute définition permettant de zoomer.

Par ailleurs, Grok ne va pas non plus dans le sens de cette théorie. Quelques internautes ont tenté de solliciter de chatbot de X pour avoir le fin mot de cette histoire, parfois avec des questions aux tournures orientées. L’un se demande si le démenti de l’Élysée ne repose pas sur des photos truquées. L’autre suggère qu’Emmanuel Macron a bel et bien caché de la drogue. Sans succès.

Source : Capture d'écran
Plusieurs démentis de Grok. // Source : Capture d’écran

Grok avait déjà été sollicité pour interpréter ce qu’il y avait sur la table. Sur la tige, le chatbot a élaboré diverses possibilités (cure-dent, bâtonnet de mélange, crayon ou stylo fin, paille fine ou autre ustensile), sans jamais faire sienne l’idée d’une cuillère à cocaïne. Signe que Grok, contre toute attente, est un allié contre la désinformation. Cela, même s’il vient d’une entreprise d’Elon Musk, qui est lui-même souvent brocardé… y compris par Grok.

Si des internautes ont repris à leur compte la rumeur sur cette cocaïne, il y a eu d’autres internautes pour réagir en commentaire pour la contester. « On vois clairement que c’est un mouchoir. Je suis loin de supporter Emmanuel Macron sur la majorité de ses positions. Mais il ne faut pas non plus raconter n’importe quoi », dit cet internaute. « C’est littéralement un mouchoir », lance un autre, avec un zoom sur l’objet de la discorde.

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Paris intervient de plus en plus sur les réseaux sociaux. // Source : Capture d’écran

De son côté, l’Élysée a également réagi à cette histoire en publiant, à la fois en français et en anglais, le message suivant, accompagné de deux photos : « Quand l’unité européenne dérange, la désinformation va jusqu’à faire passer un simple mouchoir pour de la drogue. Cette fausse information est propagée par les ennemis de la France, à l’extérieur comme à l’intérieur. Vigilance face aux manipulations. »

L’Élysée multiplie les sorties sur X pour s’opposer à certaines allégations

La prise de parole de l’Élysée sur cette affaire n’est pas une première. Ces derniers mois, la présidence de la République est intervenue de plus en plus directement pour contester des allégations contre le chef de l’État ou la politique de la France. Selon le palais de l’Élysée, une rumeur vite démentie est une rumeur qui disparait rapidement. Cette stratégie, en tout cas, est de plus en plus mise en œuvre.

On l’a vu en action ce printemps après la publication de l’article de Blast affirmant qu’Emmanuel Macron désirerait s’offrir une Aston Martin, la voiture de James Bond, sujet que la présidence a qualifié de « honteux mensonge », « grotesque » et « faux », qui plus est sans contact préalable entre la rédaction et l’Élysée — Blast a indiqué par la suite qu’il maintenait toutefois ces informations.

Il y a d’autres exemples : l’exécutif a démenti la rumeur d’une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale dès cet automne. Il a aussi contesté la description faite sur CNews d’une rencontre entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky, lors de laquelle Emmanuel Macron aurait été écarté. Idem pour le bruit de couloir évoquant une tentative d’ingérence de Paris dans le processus du conclave pour désigner le nouveau pape.

Cette stratégie rencontre un succès mitigé sur les réseaux sociaux, dans la mesure où beaucoup d’internautes, en réponse, disent ne pas accorder de crédit à ces démentis successifs. De toute évidence, elle ne permet pas non plus, pour l’instant, d’empêcher l’émergence de nouvelles rumeurs, au fil des mois. Elle a toutefois un mérite aux yeux de l’Élysée : occuper le terrain et ne pas laisser qu’un seul narratif se déployer.

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