La guerre entre Israël et le Hamas va peut-être ouvrir un autre front, mais sur le terrain juridique et en Europe. Le 10 octobre, Thierry Breton, commissaire responsable du marché intérieur et du numérique à Bruxelles, a adressé un courrier à Elon Musk, le propriétaire de X (ex-Twitter). Raison de la missive ? Des publications illicites circulent sur le réseau social.
Des messages vis-à-vis desquels la plateforme est censée agir, a minima pour les rendre inaccessibles au sein de l’espace européen. C’est ce qu’a voulu souligner Thierry Breton dans son courrier, en rappelant X à ses obligations — depuis le 25 août 2023, le Digital Services Act (DSA) est entré en application pour les grandes entreprises du net, qui incluent X.
Le DSA est un nouveau texte réglementaire de l’Union européenne, dont les effets s’appliqueront à tous en février prochain — pour l’heure, la priorité a été de l’activer pour une vingtaine de très grandes sociétés. Le DSA entend recadrer leurs pratiques en leur imposant des règles plus contraignantes. En particulier, les réseaux sociaux doivent faire davantage sur la modération.
« Des images et faits manipulés et falsifiés »
Thierry Breton, qui a directement interpellé Elon Musk sur X, insiste justement sur cette modération qui actuellement fait défaut sur le site. « Suite aux attaques terroristes du Hamas contre Israël, nous avons des indications sur l’utilisation de X/Twitter pour diffuser des contenus illégaux et de la désinformation dans l’Union européenne », pointe-t-il.
En particulier, le commissaire note l’utilisation « d’images et de faits manipulés et falsifiés », provenant « d’images anciennes de conflits armés sans rapport » ou bien de « séquences militaires qui proviennent en fait de jeux vidéo ». Ces cas ont été relevés par des médias et des organisations civiles. De nombreux exemples ont ainsi pu être identifiés depuis le début des hostilités.
Par exemple, un message a prétendu que le joueur de football Christiano Ronaldo a tenu un drapeau palestinien en signe de sympathie. Il s’est avéré qu’il s’agissait en fait d’un joueur marocain, Jawad el Yamiq. La photo, quant à elle, a été prise en 2022 lors de la coupe du monde. Autre cas : l’emploi de scènes dans le jeu vidéo Arma III prétendant montrer la guerre au Proche-Orient.
Dans le cadre du DSA, poursuit Thierry Breton, il est attendu de X qu’il soit très clair sur ce qui est autorisé sur sa plateforme, et ce qui ne l’est pas, en particulier lorsque cela touche à de la violence et du terrorisme. Par ailleurs, X est tenu d’appliquer ses propres règles de manière cohérente et prompte. Surtout quand des signalements lui sont adressés.
Or, cela ne semble pas être le cas aujourd’hui. « Nous recevons, de la part de sources qualifiées, des rapports sur des contenus potentiellement illégaux circulant sur votre service malgré les drapeaux des autorités compétentes », pointe Thierry Breton. À cela s’ajoute l’instabilité des règles. Ce qui relève de « l’intérêt public », a encore bougé récemment, sur décision d’Elon Musk.
Le courrier, partagé en ligne sur le compte de Thierry Breton, a entrainé un échange tendu avec Elon Musk, qui a sollicité « la liste des violations auxquelles vous faites allusion sur X, afin que le public puisse les voir ». « Notre politique est que tout soit ouvert et transparent, une approche que je sais que l’Union européenne soutient », a-t-il ajouté, en concluant en français « merci beaucoup ».
La réponse de Thierry Breton n’a pas tardé. La liste qu’Elon Musk demande, X l’a déjà. « Vous êtes bien conscient des rapports de vos utilisateurs — et des autorités — sur les faux contenus et l’apologie de la violence. C’est à vous de montrer que vous passez de la parole aux actes. » Et de rappeler que Bruxelles va veiller au bon respect du DSA et de sa stricte application.
Tensions persistantes entre X et l’Europe
Les tensions entre Elon Musk et la Commission européenne ne datent pas d’hier. Dès le rachat du réseau social par l’entrepreneur américain, Bruxelles a adressé une mise en garde au nouveau propriétaire. À l’époque, l’intéressé avait promis que X serait bien modéré, y compris dans le cadre du DSA, qui était alors encore au stade de la gestation.
Depuis, les signaux envoyés par X ont été fluctuants. X s’est retiré du code de bonne conduite contre la désinformation. Une enquête au sein de l’UE a par ailleurs montré les défaillances de X par rapport à d’autres plateformes sur ce terrain. À l’inverse, un rapport montre pourtant que X n’a jamais autant coopéré avec les autorités, en donnant une suite favorable à davantage de demandes.
À un échelon plus national, la modération de X dans le cadre de la guerre entre le Hamas et Israël a aussi attiré les foudres de Jean-Noël Barrot, le ministre en charge du numérique au sein du gouvernement français. Dans une intervention orale à l’Assemblée nationale, il a rappelé que le DSA offre des possibilités de sanctions qui peuvent être élevées.
« Nous avons saisi la Commission européenne : si la plateforme persiste à manquer à ses obligations, elle s’expose à de lourdes sanctions », a prévenu Jean-Noël Barrot. Trois leviers existent : des amendes journalières, des sanctions globales, et même une interdiction en cas d’infractions graves répétées. Une menace déjà brandie ce printemps, mais sans effet pour l’instant.
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