Du retrait des contenus haineux aux algorithmes plus transparents, en passant par la lutte contre la contrefaçon, les plateformes du net vont faire face à de nouvelles obligations avec le DSA (Digital Services Act). Et des sanctions importantes si elles ne les suivent pas.

« Tout ce qui est interdit hors ligne doit l’être en ligne ». C’est par ces mots que Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, a résumé le but du DSADigital Services Act –, un nouveau règlement pour le Vieux Continent qui vient de faire l’objet d’un accord, dans la nuit du 22 au 23 avril 2022 entre les institutions européennes — Commission, Parlement et Conseil.

C’est un texte majeur pour la régulation du numérique en Europe, au même titre que le Règlement général pour la protection des données (RGPD), le Digital Market Act (DMA) et la directive « Vie privée et communications électroniques » (ePrivacy). Ici, le texte du DSA vise à accentuer la répression de certaines dérives sur le net, comme on le ferait « dans la vraie vie ».

Que va changer le DSA en Europe ?

Dans un fil sur Twitter, Thierry Breton a listé les onze points qui sont, selon lui, à retenir sur le DSA :

  • de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités : Le DSA fixe des obligations claires et harmonisées pour les plateformes — proportionnelles à la taille, à l’impact et au risque ;
  • un système harmonisé pour lutter contre toutes les formes de contenu illégal — des produits contrefaits ou dangereux aux discours de haine. Toute autorité nationale pourra demander le retrait d’un contenu illégal, quel que soit le lieu d’établissement de la plateforme en Europe ;
  • Protéger les droits fondamentaux, y compris le pluralisme des médias, dans la modération des contenus. Les utilisateurs pourront choisir la manière dont ils reçoivent les recommandations et les contenus. Les comptes des utilisateurs ne peuvent être suspendus que sur la base de règles précises et appliquées de manière prévisible ;
  • Finie l’excuse du « je ne suis que l’intermédiaire » ! Plus de protection pour les consommateurs sur les places de marché : Nouvelle possibilité de recours collectif pour les violations du DSA. Obligation d’un point de contact en Europe. Plus de transparence sur les produits vendus. Connaissez votre client ;
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Se retrancher derrière l’argument de l’intermédiaire pour ne pas protéger davantage les consommateurs ne sera plus possible. // Source : Negative Space
  • Vous pouvez (enfin !) parler votre propre langue. Les plateformes devront disposer de ressources adéquates pour la modération des contenus : nombre de modérateurs, compétences linguistiques spécifiques, etc. Les utilisateurs auront le droit de se plaindre dans leur propre langue ;
  • Interdiction de la publicité ciblée pour les enfants. Une protection accrue contre la publicité ciblée destinée aux enfants — ou basée sur des données sensibles ;
  • Ouverture des « boîtes noires » que sont les algorithmes des plateformes. Désormais, les plateformes auront une obligation de transparence de leurs systèmes de recommandation. Elles devront par exemple révéler si elles utilisent des « filtres » ou des algorithmes automatiques pour la modération des contenus :
  • Des conditions d’utilisation compréhensibles par tous. Désormais, les conditions d’utilisation des plateformes devront être claires, accessibles et compréhensibles. Fini les 50 pages en petits caractères et que l’on ne trouve qu’au bout d’une longue série de clics ;
  • Possibilité de supervision directe par la Commission des très grandes plateformes. La Commission disposera d’équipes spécialisées et engagera des experts en matière de données, d’algorithmes, de modèles économiques. Nous nous appuierons également sur les experts des États membres ;
  • Un mécanisme possible de réponse d’urgence en cas de crise. Nous ne pouvons pas compter uniquement sur la bonne volonté des plateformes face aux crises, pandémies ou guerres. L’Europe a besoin d’un outil juridique pour obliger les grands acteurs du numérique à réagir rapidement en cas d’urgence ;
  • Et enfin, mais non des moindres : les sanctions. Le DSA impose des sanctions efficaces et dissuasives. Des amendes pour manquement aux obligations pouvant aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial à l’interdiction d’opérer sur le marché unique de l’UE en cas de manquements graves répétés.
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Les règles des algorithmes devront être explicitées, pour savoir s’il y a des filtres de recommandation ou de modération. // Source : European Union Agency for Fundamental Rights

D’autres conséquences, pas évoquées ici par le commissaire européen, sont aussi à attendre.

Dans la publicité ciblée par exemple, les critères d’orientation sexuelle ou de religion ne seront plus permis. Les « dark patterns », qui sont des conceptions de l’interface visant à orienter discrètement le comportement de l’internaute, seront aussi proscrits — mais encore faudra-t-il pouvoir démontrer leur présence, car leur caractéristique est d’être cachée.

Un vaste plan européen pour remettre de l’ordre chez les plateformes

Le champ d’application du DSA promet d’être vaste, tant les changements que l’Union européenne veut opérer avec ce texte sont nombreux. Comme le RGPD ou le DMA, qui est un peu le jumeau législatif du DSA, cette nouvelle législation sur les services numériques va être au cœur des règles numériques de l’UE pour quelques décennies, au bas mot.

Signe du bouleversement que le DSA et le DMA vont provoquer chez les géants du net, la lanceuse d’alerte à l’origine des révélations sur les pratiques de Facebook, Frances Haugen, a accueilli très favorablement ces textes. « L’Union européenne est une lumière dans la nuit », avait-elle lancé en novembre dernier, lors de son audition au Parlement européen.

Le DSA concerne les plateformes de toutes tailles, avec des obligations qui tiennent compte de leur rôle, de leur taille et de leur impact. Le DMA vise plutôt les groupes qui ont une taille vraiment très importante dans l’écosystème : on pense forcément à Google, Apple, Amazon, Facebook, Twitter, Microsoft, pour n’en citer que quelques-uns des plus évidents.

Mark Zuckerberg au cours du Facebook Connect du 28 octobre 2021 // Source : Facebook Live
Le DMA et le DSA pourront notamment réguler davantage Facebook, et donc les ambitions de Mark Zuckerberg. // Source : Facebook Live

Grossièrement, le DMA concerne les pratiques anticoncurrentielles dans le domaine du numérique, en se focalisant sur les « gatekeepers », ces très gros acteurs qui sont capables de verrouiller tout un marché et d’y faire la pluie et le beau temps. C’est une régulation les visant spécifiquement, au lieu de créer un texte général, ce qui est d’ordinaire le cas en matière de régulation.

Le DSA vise à actualiser la législation en tenant compte de l’émergence, en vingt ans, de plateformes colossales, qui semblent privilégier le profit au détriment d’autres considérations, comme la lutte contre la désinformation ou la haine– ce qui a pu nourrir l’ascension de Trump au pouvoir, la survenue du Brexit et ainsi nombre de crises, de dérives et de faits divers.

Le DMA et le DSA constituent de fait les deux volets d’un même plan ambitieux, qui pourrait d’ailleurs faire tache d’huile à l’étranger, exactement comme le RGPD, qui a pu servir de source d’inspiration. On le voit d’ailleurs aux États-Unis : même Barack Obama soutient la réforme de la fameuse section 230, au motif qu’il fait en finir avec la Big Tech qui affaiblit la démocratie.

Si un accord tripartite a été trouvé en Europe sur le DSA, il y a toutefois encore un peu de chemin à faire : le texte, qui a été présenté en décembre 2020 par Bruxelles, doit encore être adopté formellement. Ensuite, il sera applicable dans tous les pays membres au plus tard le 1er janvier 2024. Certaines dispositions devraient toutefois entrer en vigueur plus tôt.

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