Alors que les gouvernements essaient de créer des applications qui compliqueraient au maximum l’identification des malades, l’entreprise américaine Clearview propose d’utiliser toutes les caméras existantes pour traquer ces personnes.

« Nous avons besoin d’être capables de tester rapidement, mais aussi de tracer les personnes pour savoir avec qui elles ont été en contact », constate Hoan Ton-That, le fondateur et président de Clearview, dans une interview à NBC News. Parle-t-il du contact tracing, le concept adopté par l’état français notamment par StopCovid, application censée protéger a minima l’anonymat de ces utilisateurs ?

Oui, mais l’entrepreneur veut ajouter une brique technologique au-dessus des applications mobiles. Et cette brique serait bien évidemment construite sur sa technologie de reconnaissance faciale controversée, capable d’identifier une personne à partir d’une seule photo. Vous avez bien lu : le dirigeant veut identifier les personnes malades à partir d’enregistrements vidéo, et donc littéralement créer une banque d’images des personnes infectées. Mais ce n’est pas tout, il veut le faire sans prendre de responsabilité : « Tout ce que nous faisons, c’est apporter la technologie d’identification, le reste relève de la responsabilité des agences de santé. »

Image d'erreur

A-t-on vraiment besoin de reconnaissance faciale dans l’équation ? (non) // Source : Black Mirror, Saison 1, Episode 3, disponible sur Netflix.

Ce principe est en complet désaccord avec les projets d’applications étudiés en France, au Royaume-Uni ou encore aux États-Unis. Pourtant, Hoan Ton-That explique à la chaîne américaine qu’il est en discussion aussi bien avec différents états américains qu’avec le gouvernement fédéral.

Clearview lorgne sur les caméras existantes

« Nous pourrions utiliser les enregistrements publics, les caméras sont déjà en place au cas où il y aurait un crime, maintenant elles pourraient remplir une nouvelle fonctionnalité, et aider à traquer les personnes qui ont le coronavirus  », s’enthousiasme le patron de Clearview, avant de renchérir : « de nombreux magasins de grande distribution et de salles de sport ont déjà des caméras. C’est comme si vous étiez dans l’espace public, il n’y a donc pas d’atteinte à la vie privée. »

Le danger de cet usage abusif de la reconnaissance faciale est réel, car Clearview fonctionne très bien. La force du logiciel est de pouvoir identifier avec un haut taux de réussite la personne même à partir d’une image prise de côté. Le dirigeant affirme qu’il suffit d’un bout d’image de 110 pixels par 110 pour identifier une personne, et que le port du masque n’est donc pas un frein à la technologie.

Des risques de faux positifs

Lorsqu’on lui donne une image, Clearview va retrouver dans sa base de plus de 3 milliards d’images des éléments similaires à celle-ci, non sans risque de faux positifs. Quand il donne le résultat de la recherche, le logiciel précise sa source, de sorte que l’utilisateur peut remonter à des informations personnelles de la personne photographiée.

Aspirés aux quatre coins du web, les trois milliards d’images du logiciel font sa force. Il s’agit d’images accessibles publiquement sur les réseaux sociaux, les sites d’actualité ou encore les sites associatifs. L’entreprise a bâti sa ligne de défense sur ce caractère public des images, mais les sites sur lesquels elle va les dénicher, comme Facebook et Twitter, ne l’entendent pas de cette oreille. Résultat, ils ont ouvert des procédures judiciaires contre Clearview, tandis que des recours collectifs ont été lancés pour imposer la suppression des images, en invoquant différentes lois similaires au règlement général sur la protection des données.

La France protégée contre ces éventuels abus ?

Si la collecte de données de Clearview est questionnée par les défenseurs de la vie privée, ce n’est pas le seul problème : l’usage qui en est fait soulève aussi son lot de questions. L’application a été mise entre les mains d’amis des fondateurs, d’entreprises privées ou encore d’investisseurs, tandis que Clearview incitait ses potentiels clients (des policiers) à le tester dans le cadre privé.

Pour se défendre, l’entreprise a martelé que son service n’était utilisé que par les forces de l’ordre, uniquement dans un objectif de lutte contre la criminalité. Si ces propos étaient déjà questionnables, ils sont complètement remis en question par le positionnement du dirigeant sur ce nouveau marché à mi-chemin entre la santé et la surveillance.

Clearview veut justifier l’empiètement sur la vie privée

Si l’idée de Clearview parait convaincre certaines organisations outre-Atlantique, elle ne devrait pas faire long-feu en France. Déjà, la collecte sauvage de milliards d’images ne semble pas compatible avec le Règlement général sur la protection des données. Si l’entreprise a des clients français, elle ne semble en revanche pas assumer collecter les images de résidents européens. Et surtout, la Cnil, l’autorité française sur les données, a déjà émis des restrictions contre tout projet de reconnaissance faciale, qui doivent lui être déclarés.

Il est donc très peu probable que les autorités françaises mordent au discours de Hoan Ton-That, qui tente de tempérer l’usage de la reconnaissance faciale : « Nous ne faisons que penser à des solutions qui empiètent un petit peu sur la vie privée, mais offrent la possibilité d’enquêter à partir de données publiques qui existent déjà, sur des enregistrements publics qui existent déjà, pour aider à résoudre le problème. »

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