La coqueluche de la Silicon Valley est tombée aussi bas qu’elle s’était hissée. Alors que la cofondatrice de Theranos, Elizabeth Holmes, était vue par certains, en 2014, comme la nouvelle « Steve Jobs », elle a été jugée coupable d’avoir trompé ses investisseurs en mentant sur les performances réelles de ses tests sanguins, soi-disant révolutionnaires.

Rarement une startup de la Silicon Valley aura fait couler autant d’encre. Après avoir été portée aux nues, la société Theranos censée révolutionner les tests sanguins est devenue un énorme scandale de la scène tech américaine.

Des éléments suggérant que la société mentait sur les capacités de ses fameux tests ont été dévoilés par le Wall Street Journal en 2015. La startup a fermé ses laboratoires l’année suivante. Et en 2018, Elizabeth Holmes, la cofondatrice et PDG de Theranos a été inculpée, tout comme le président de la société, Sunny Balwani. Ce 4 janvier 2022, l’affaire a enfin connu son dénouement : Elizabeth Holmes a été jugée coupable d’avoir cherché à tromper ses investisseurs.

Mais que s’est-il passé chez Theranos pour que la société devienne un des plus gros scandales de la Silicon Valley ?

Le démarrage de la startup avait pourtant tout du conte de fée nerd. Elizabeth Holmes n’a que 19 ans lorsqu’elle crée en 2003 Theranos afin de révolutionner l’analyse sanguine. L’objectif visé est louable : développer des test sanguins plus rapides et moins onéreux. Et pour ce faire, Theranos se baserait sur un équipement innovant capable de réaliser, à partir d’une simple goutte de sang, plus de 200 de tests. Même pas besoin d’enfoncer une aiguille dans une veine pour réaliser le prélèvement, il suffirait d’une minuscule piqure dans le doigt.

La société Theranos, cocréée par Elizabeth Holmes était valorisée à 9 milliards $ en 2014 // Source : Flickr TechCrunch
La société Theranos, cocréée par Elizabeth Holmes était valorisée à 9 milliards $ en 2014 // Source : Flickr TechCrunch

Les tests sanguins de Theranos sont bien moins efficaces que prévu

Les perspectives d’une telle innovation sont immenses et très vite, Theranos devient la coqueluche de la Silicon Valley. En 2014, la société est valorisée 9 milliards de dollars. Et Forbes estime la fortune personnelle d’Elizabeth Holmes à plus de 3,5 milliards de dollars. Le château de cartes commence cependant à s’effondrer lorsque le Wall Street Journal publie, en 2015, sa série d’articles dénonçant d’importants dysfonctionnements dans les tests sanguins de Theranos. Le ministère de la santé US et la SEC, le gendarme de la Bourse américaine, s’emparent ensuite vite du dossier.

Et en 2018, coup de tonnerre, la SEC accuse Elizabeth Holmes et Sunny Balwani, les deux cofondateurs de Theranos d’avoir levé « plus de 700 millions de dollars auprès d’investisseurs par le biais d’une fraude élaborée qui a duré plusieurs années, pendant lesquelles ils ont exagéré ou menti sur la technologie, les activités et les performances financières de l’entreprise. »

Theranos est en fait bien loin de réaliser les centaines de tests promis sur quelques gouttes de sang : elle ne parvient à en faire qu’une douzaine, avec un degré de fiabilité questionnable. Pour obtenir les résultats voulus, la société pratique d’ailleurs en réalité la majorité de ses tests sur des machines créées… par des entreprises traditionnelles du secteur.

Accusations d’escroquerie

Elizabeth Holmes a également admis lors du procès avoir utilisé de manière malhonnête l’image d’autres entreprises, en ajoutant par exemple des logos de groupes pharmaceutiques sur des rapports médicaux sans leur accord. Des vidéos dans lesquelles elle ment sur le type de tests sanguins que la société était capable de faire ont également été diffusées lors du procès.

Mais ce n’est pas son conseil d’administration qui risquait de repérer ces malversations. S’il compte des noms prestigieux — l’ancien ministre américain de la Défense Jim Mattis ou encore Henry Kissinger, on n’y recense paradoxalement personne n’ayant une connaissance de ce secteur médical.

Les cofondateurs de Theranos étaient parvenus à conclure un accord amiable avec la SEC sur les accusations d’escroquerie avec faux rapports financiers et pharmaceutiques lancées en 2018. Mais ils devaient néanmoins faire face au procès pénal qui a démarré, pour Elizabeth Holmes, en septembre 2021.

Ce procès a illustré l’envergure et la complexité de l’affaire. De septembre à décembre 2021, près de 29 personnes (patients, employés, investisseurs, etc.) sont venues témoigner au procès. Elizabeth Holmes a passé, quant à elle, sept jours à la barre pour exposer sa défense. Et les délibérations des douze jurés ont duré 50 heures.

Fake it ’till you make it

Au terme de ce long procès, Elizabeth Holmes a été reconnue coupable de plusieurs chefs d’accusation, notamment celui d’avoir conspiré pour tromper les investisseurs qui ont versé plusieurs centaines de millions de dollars en tout dans la société. La cofondatrice de Theranos n’a en revanche pas été jugée coupable d’avoir cherché à tromper les patients.

Si l’affaire Theranos provoque un tel séisme au sein de la Silicon Valley c’est aussi qu’elle est emblématique de certaines dérives qui y ont cours. « Fake it ’till you make it » (qu’on pourrait traduire par « Fais semblant, jusqu’à ce que cela devienne réalité »), le précepte très en vogue dans ce milieu a ses vertus, mais également ses dangers.

Si certaines limites n’y sont pas posées, cette doctrine peut vite entraîner ceux qui l’appliquent à des actions illégales. S’il est probable que peu d’entrepreneurs prennent autant de libertés avec la réalité qu’Elizabeth Holmes, on peut néanmoins espérer que l’affaire incitera tout le secteur à faire preuve d’une transparence maximale sur l’avancement et le potentiel réel des technologies développées.

L’affaire Theranos a également mis en évidence le fait que les investisseurs n’étudient pas toujours de manière très approfondie les sociétés sur lesquelles ils misent. Certes, le récit entrepreneurial d’Elizabeth Holmes comportait tous les ingrédients préférés du monde de la tech : une créatrice avec l’esprit d’entreprise, qui n’hésite pas à plaquer ses études et à travailler comme une forcenée (elle assure n’avoir pris aucune vacance entre ses 20 et ses 30 ans) pour réaliser son rêve.

L’histoire, à l’évidence très travaillée, a fait le bonheur des médias tech, qui lui ont consacré nombre de Unes et voyaient en elle « la nouvelle Steve Jobs ». Il paraît cependant paradoxal que les promesses bidons de la société ait été découvertes par un média extérieur, et non par des sociétés qui avaient des intérêts financiers directs dedans. Theranos avait tout de même réussi à récolter plus de 700 millions de dollars dans sa tirelire.


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