Lorsqu’un conseiller à la présidence de la République prend la plume, le message est important. Mais pas toujours clair. Frank Louvrier, conseiller pour la communication et la presse auprès de Nicolas Sarkozy, a publié dans Le Monde une longue tribune sur le « potentiel démocratique » d’Internet, à laquelle nous ne sommes pas certain d’avoir tout compris. Sans doute la fatigue de la fin de semaine, à moins que le message ne soit volontairement flou et ambigu. Il semble, en tout cas, vouloir défendre le rôle primordial de la presse professionnelle pour filtrer le bon grain de l’ivraie sur Internet, et s’appuie étrangement sur Hadopi comme un exemple à suivre.
Notons d’abord le choix des mots dans le titre de sa tribune : « Internet et son potentiel démocratique ». Internet n’est donc pas encore démocratique selon le conseiller de l’Elysée, mais il en a simplement le potentiel. Cette locution seule mériterait un long commentaire, que nous vous épargnerons.
On notera par ailleurs que Frank Louvrier reconnaît que, dans son avis de censure partielle de la loi Hadopi, « le Conseil constitutionnel a reconnu définitivement l’accès à Internet comme un droit fondamental des Français« , ce qu’avait pourtant encore contesté le gouvernement et le rapporteur Frank Riester à l’Assemblée lors de l’examen de l’Hadopi 2. Il reconnaît aussi, ce qui sera à rappeler lors des débats sur la loi Loppsi notamment, que « la dynamique de la technologie finit toujours par permettre le contournement des filtrages et des blocages« , et que « aucune solution technologique ne peut vraiment mettre fin à la copie« . C’est déjà un progrès par rapport aux discours soutenus par l’UMP lors de l’examen de la loi DADVSI, il y a seulement quatre ans. Mais que cache-t-il ?
Avec Hadopi la France est « à l’avant-garde » de la démocratie, selon Louvrier
La tribune de Frank Louvrier évoque d’abord longuement la question des tentatives de censure de Twitter en Iran, et se réjouit que l’outil ait pu permettre aux iraniens contestataires de s’exprimer et d’apporter des informations aux médias du monde entier. « C’est l’axe de la démocratie réelle sur lequel le peuple iranien donne au monde une leçon de courage et de maturité« , écrit-il. Il note que « la version moderne et technologie de la censure« , le filtrage, « semble perdre du terrain« . Et il s’en félicite.
Mais Frank Louvrier attribue bizarrement ce succès de Twitter au « caractère authentique de ses contenus, du fait que j’identifie la personne que je lis à un alter ego« . Comme si l’anonymat n’avait pas cours sur Twitter, et n’avait pas justement permis à beaucoup d’iraniens de s’exprimer sans crainte de représailles, parce qu’ils n’étaient pas identifiables.
M. Louvrier veut voir dans Twitter un outil où la source de l’information doit être authentifiée pour être crédible. « Ce qui menace Twitter, c’est moins la censure que la contrefaçon, la copie, en somme, le faux« , dit-il, en appelant le lecteur internaute à se méfier du « faux témoignage (écrit, photo ou vidéo) qui viendrait d’une source déguisée, d’une source officielle et politique qui ne dirait pas son nom pour mieux instrumentaliser l’émotion de ses effets« . Genre une vraie-fausse cliente d’Intermarché sur Twitter.
« L’enjeu central pour nos démocraties est de savoir protéger l’authenticité de ce lien numérique entre les citoyens du monde. L’enjeu est la vérification des sources, dont la responsabilité repose sur la vigilance des professionnels de l’information« , écrit Frank Louvrier.
Puisque le gouvernement ne peut pas filtrer Twitter et autres sites Internet, ni politiquement ni techniquement, l’idée est donc de confier aux médias traditionnels le soin de s’établir eux-mêmes comme des filtres de confiance, capables de voir sur Twitter qui dit vrai et qui dit faux.
Il assure qu’en la matière, « c’est bien la France qui est à l’avant-garde« . « Plus que tout autre débat sur la planète, c’est le cas Hadopi qui pose aujourd’hui les questions auxquelles nos sociétés devront répondre demain sur le terrain de la démocratie« , ajoute-t-il sans apporter d’explication précise sur le lien avec la loi Hadopi.
Moins que la lutte contre le piratage, dont il semble croire en substance qu’elle est vouée à l’échec, Franck Louvrier veut pouvoir identifier et protéger la source de l’œuvre, l’auteur. L’auteur d’une chanson, ou l’auteur d’un message sur Twitter ou ailleurs. « L’enjeu est de s’assurer que la vaste diffusion de son message n’étouffe jamais le lien qui l’unit à chacun de ses destinataires. Que la reconnaissance de la source soit partie intégrante de la construction du sens (…) Reconnaître le caractère inaliénable d’un témoignage personnel, tel est le sens profond de la réflexion en cours dans Hadopi, qui rayonne bien au-delà de l’industrie du disque, jusqu’au sens de notre vie en commun dans une démocratie« .
Entre les lignes, le conseiller de Nicolas Sarkozy reprend la dialectique qu’avait déjà exprimé en son temps Renaud Donnedieu de Vabres, lorsqu’il avait prévenu que la loi DADVSI n’était « que le premier (texte) d’une longue série d’adaptations de notre droit à l’ère numérique« . Il défend sans le dire clairement l’idée de labelliser les sites de presse et les offres « légales » de contenus en ligne, contre les bloggeurs-journalistes-du-dimanche et autres pirates qui brouillent la « reconnaissance de la source« .
On espère toutefois que sa tribune et cet attachement à la personnalisation des messages ne présage pas de l’idée d‘imiter la Corée du Sud pour exiger que tout site Web communautaire recueille la carte d’identité des membres avant de leur donner la possibilité de publier des contenus en ligne. C’est une dérive que nous n’avions pas osé imaginer dans notre décryptage de la politique de contrôle du net de Nicolas Sarkozy.
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