L’alt-right est un néo-nazisme, ou encore un suprématisme blanc. Malgré le matraquage sémantique mené par ces groupes sur les réseaux sociaux, il est temps de se défaire de la communication et de redonner son nom à cette idéologie.

Cet article du 1er décembre 2016 a été remonté en page d’accueil pour contextualiser les événements récents de Charlottesville.

Les modifications lexicales qui suivent l’élection de Trump inquiètent les journalistes et les chercheurs. Ceux qu’on appelait hier les néo-nazis et les suprématistes blancs voudraient qu’on les appelle désormais membres l’alt-right, qu’on traduirait par droite alternative. Un terme vague qui tend à normaliser leur idéologie et à l’incruster profondément dans le langage politique.

L’alt-right, l’autre droite, ne serait donc pas le nom d’une alternative à la droite républicaine américaine mais une réminiscence des pensées confédérées, suprématistes blanches et néo-nazies. Et changer le nom de cette idéologique n’entraîne que confusion et imposture — une opération de communication qui s’étend jusqu’en Europe.

Pour mettre fin à cette volonté de la droite nationaliste blanche de se couvrir dans les draps d’une autre droite, l’Associated Press a écrit une note de standardisation du langage journalistique pour rappeler que le terme alt-right ne vaut rien et sert seulement à nommer des mouvements qui ont déjà un nom : le suprématisme blanc. John Daniszewki, vice-président à la standardisation du groupe presse explique : « L’alt-right, ou la droite alternative est un nom utilisé actuellement par certains suprématistes blancs et nationalistes blancs pour se définir eux-même et définir leur idéologie, qui promeut la préservation et la protection de la race blanche aux États-Unis en plus de positions conservatives plus traditionnelles comme un gouvernement réduit, de faibles impôts et un respect strict de l’ordre. Le mouvement a été décrit comme un mélange de racisme, de nationalisme blanc et de populisme. »

Steve Bannon, CC Don Irvine

Steve Bannon, CC Don Irvine

N’ignorant rien de la performativité du langage en politique, les groupes néo-nazis comme ils étaient appelés il y a moins de cinq ans, ont tout intérêt à se définir eux-même comme une alternative à une droite de gouvernement. Tout en revendiquant à la fois une différence sans pour autant s’éloigner de la droite, qui est en mesure de les porter au pouvoir. C’est le cas de Steve Bannon, qui décrivait encore récemment son site Breitbart News comme « la plateforme de l’alt-right » et qui désormais a rejoint les équipes de Donald Trump.

Le futur président américain a par ailleurs récemment démenti l’appartenance au suprématisme blanc de Bannon : « Je connais Steve Bannon depuis longtemps, si je pensais qu’il était raciste ou de l’alt-right ou de n’importe lesquelles de ces choses comme il faut les appeler, je n’aurais jamais imaginé l’embaucher. » Bannon est lui-même revenu sur son identité politique en expliquant être principalement nationaliste et non nationaliste blanc. Un glissement sémantique déterminant pour celui qui, il y a encore quelques mois, dirigeait le centre d’informations névralgique sur internet du suprématisme blanc.

Dans l’idéologie d’une alt-right : le racisme

Et si les termes changent, fluctuent et tentent de dessiner de nouvelles réalités, la nature du mouvement, même désormais proche du pouvoir de Trump, n’évolue guère. Dans La Revue du Crieur, Laura Raim revenait sur les racines et les velléités politiques du mouvement mal-nommé alt-right. Et loin du conservatisme fier et teinté de patriotisme surannée du Grand Old Party, le mouvement est intrinsèquement lié aux racines idéologiques du Sud des États-Unis et plus récemment, du nazisme.

Peppe, le suprématisme rendu cool

Peppe, le suprématisme rendu cool

Véritable revanche confédérée, cette galaxie informe de suprématistes blancs se retrouve sur des points essentiels de leur projet raciste et notamment sur le concept « d’épuration lente ». Laura Raim rapporte ainsi les propos du très influent Greg Johnson, docteur en philosophie et fondateur de la maision d’édition nationaliste Cunter-Currents : selon lui un projet politique de l’alt-right doit porter « un objectif raisonnable qui serait de fait de revenir à la situation d’avant 1965, date avant laquelle 90?% des Américains étaient d’origine européenne?». Pour parvenir à cette épuration raciale soft, il préconise une «?épuration lente?» consistant à «?inciter doucement?» les descendants de deuxième ou troisième génération à rentrer dans leur « pays d’origine ».

leur première bataille sera culturelle

Ainsi, on retrouve dans le JAG — le détonnant Journal of American Greatness, auto-proclamé : Premier journal académique du trumpisme radical — des intellectuels comme Johnson pour aller vers la théorie politique de la prétendue alt-right. Dans le premier numéro de février 2016, on pouvait ainsi lire des articles de théories politiques et philosophiques comme : «?Vers un trumpisme raisonnable et cohérent?» ou encore «?Paleo-Straussianism, Part I : Metaphysics and Epistemology?». Un héritage intellectuel venant donc à la fois du paléo-conservatisme pour la politique étrangère, de Joseph Arthur de Gobineau pour le racisme ‘scientifique’, et parfois, de manière plus surprenante d’Adorno et surtout de Gramsci, auquel les intellectuels des mouvements suprématistes vouent une admiration particulière : ils considèrent en effet que leur première bataille sera culturelle, d’où l’intérêt selon eux d’opérer une transformation politique sur le langage.

Rendre le néo-nazisme glamour

Un projet linguistique et politique qui ne pourra se réaliser que si le terme d’alt-right commence à définir leur mouvement, d’où la nécessité pour le journalisme de ne laisser aucun mystère sur la duperie et l’imposture du terme. Et en dehors des journalistes américains qui désormais tenteront « bien nommer le Mal », dans une perspective très arendtienne, des groupes plus ou moins intellectuels se forment également pour redéfinir l’alt-right. Ainsi, les dernières semaines ont vu naître un collectif appelé Stop Normalizing. Le but de celui-ci est tout à fait culturel : ramener l’alt-right vers ses démons en bien nommant son idéologie.

Une de leurs premières actions, peut-être encore légère face à la gravité du problème, n’en est pas moins marquante : le collectif a développé une extension pour le navigateur Google Chrome qui change tous les alt-right en white supremacy.

« Ce n’est qu’une extension Chrome — et je ne pense pas que nous ferons taire ainsi les personnes qui soutiennent des visions nationalistes blanches. Mais avec l’accueil que nous avons reçu, je pense que nous touchons un point sensible. » confie le créateur de l’application à NBC. Le média rapporte que l’extension a depuis été téléchargée 2 100 fois depuis mardi. En plus de son extension, le groupe tient également un compte Twitter qui leur permet de corriger selon eux les titres de presse utilisant le terme alt-right.

Le collectif tient à clarifier son objectif, pour eux : « aucun mot ne devrait être banni, mais les médias qui rendent glamour ‘alt-right’ sans contextualiser sont irresponsables. » écrivent-ils sur Twitter.

La bataille linguistique de l’extrême droite américaine aura donc bien lieu.


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