C’est l’un des principaux arguments de Donald Trump pour contester le statut de femme d’État de sa rivale. Dimanche soir, le candidat républicain est revenu avec force sur l’affaire des e-mails d’Hillary Clinton, en promettant même de l’envoyer en prison s’il était président. Retour sur l’affaire.

Après un premier débat dans lequel Donald Trump est apparu en retrait par rapport à sa rivale, le candidat républicain est passé dimanche soir à l’offensive contre Hillary Clinton. Une séquence, en particulier, a mis la candidate démocrate en difficulté. Elle concernait les e-mails professionnels et confidentiels que l’ancienne secrétaire d’État avait reçu et envoyé depuis un compte personnel. Alors qu’elle faisait l’objet d’une enquête officielle, Clinton avait supprimé plus de 30 000 e-mails de ses serveurs personnels.

Ce n’est pas la première fois que Trump enfonce ce même clou. Déjà lors du premier débat, il s’était sorti d’une question sur son refus de publier ses déclarations fiscales en affirmant qu’il le ferait quand Hillary Clinton publierait les e-mails qu’elle a supprimés. Mais il l’a fait dimanche avec un marteau beaucoup plus lourd. « Je ne pensais pas que je dirais ça mais je vais le dire », a-t-il amorcé en mimant l’improvisation. « Je déteste dire ça, mais si je gagne, je demanderai à mon [ministre de la justice] de désigner un procureur spécial pour enquêter sur votre situation. Il n’y a jamais eu autant de mensonges, autant de tromperie, il n’y a jamais rien eu de tel, et nous aurons un procureur spécial ».

Lorsque Clinton a tenté de mettre les rieurs de son côté affirmant qu’il est « terriblement heureux que quelqu’un avec le caractère de Donald Trump ne soit pas en charge de la loi dans notre pays », son adversaire a eu une réplique cinglante qui a marqué le débat : « parce que vous seriez en prison ».

Il est assez rare, et c’est même probablement inédit dans l’histoire, qu’un candidat à une élection démocratique menace l’autre de l’envoyer en prison s’il gagne. Mais derrière l’outrance habituelle de Donald Trump, qui démontre le peu d’égard qu’il aurait pour l’indépendance de la justice, se cache une accusation très sérieuse contre Hillary Clinton.

Quels e-mails supprimés ?

L’histoire remonte à la campagne présidentielle de 2008. Pour communiquer lors de la primaire qui l’oppose à Barack Obama, l’équipe de campagne d’Hillary Clinton crée des noms de domaine spécifiques comme clintonemail.com, et décide d’utiliser des téléphones Blackberry pour échanger les courriels. Le serveur qui traite les e-mails est installé physiquement dans la demeure du couple Clinton à Chappaqua (état de New York), dans une ancienne salle de bain rénovée.

La candidate prend alors l’habitude d’utiliser ce canal et lorsqu’elle est finalement nommée secrétaire d’État de l’administration Obama en 2009, et elle décide contre les recommandations de la NSA de continuer à utiliser son Blackberry et son serveur d’e-mails personnel basé sur Microsoft Exchange, qui est transféré en 2013 vers un petit hébergeur de Denver. Elle utilise cette adresse e-mail y compris lorsqu’elle est à l’étranger pour ses différentes visites diplomatiques.

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L’affaire fut révélée en mars 2015 et a mis Clinton dans l’embarras. Les règles de l’administration américaine interdisent en effet aux employés du Secrétariat d’État d’utiliser des adresses e-mails personnelles pour échanger des documents et correspondances officiels, non seulement pour des raisons évidentes de sécurisation des communications, mais aussi pour des raisons d’archives. Toute communication de l’État doit être archivée pour être un jour mise à la disposition des chercheurs et des historiens, ou pour être communiqués au public s’ils ne sont pas classés secret-défense.

Par ailleurs une règle impose aux fonctionnaires de communiquer à l’administration tout e-mail professionnel qu’ils recevraient sur leurs boîtes personnelles.

Des vies ont été détruites pour avoir fait un cinquième de ce que vous avez fait

Dans le cadre d’une enquête interne liée à une commission sur l’attaque de Benghazi, les équipes de Clinton ont fourni en 2014 à l’administration américaine quelques 30 000 courriels… sous forme imprimée. 32 000 e-mails supplémentaires ont été purement et simplement supprimés, au motif qu’il s’agirait de messages personnels. Mais personne n’a pu le vérifier, même si le FBI a réussi à en récupérer une partie.

Pendant longtemps, Hillary Clinton a affirmé qu’aucun e-mail classé confidentiel n’avait circulé par son serveur personnel. « Laissez-moi répéter ce que j’ai répété depuis de nombreux mois : je n’ai jamais reçu ni envoyé de contenu marque comme confidentiel », a-t-elle par exemple déclaré le 2 juillet 2016. Elle avait dit la même chose lors de débats avec Bernie Sanders. Pourtant trois jours plus tard, le FBI publiait un rapport qui notait que des documents classifiés au niveau « Top Secret » avaient bien circulé sur le serveur d’Hillary Clinton. Le parjure avait toutefois moins choqué l’opinion publique à ce moment là, que le refus de son mari d’admettre une fellation adultère quelques années plus tôt.

Une enquête accablante sans conséquences

Le rapport du FBI disait aussi qu’Hillary Clinton avait gravement manqué de vigilance et qu’elle avait par exemple accédé aux e-mails sur son serveur personnel alors qu’elle était à l’étranger, s’exposant à une interception des documents et de ses identifiants par des services de renseignement ou des hackers étrangers. Mais étonnamment, le rapport recommandait de ne pas lancer de poursuites pénales contre l’ancienne secrétaire d’État, faute d’intention frauduleuse. Cet avis fut suivi dès le 6 juillet 2016 par l’avocate générale Loretta Lynch, qui annonça la clôture de l’enquête et son classement sans suites.

Beaucoup ont estimé que Clinton a bénéficié d’un traitement de faveur que n’auraient eu aucun employé du ministère. « Des vies ont été détruites pour avoir fait un cinquième de ce que vous avez fait », a ainsi chargé Trump dimanche soir, faisant aussitôt disparaître le grand sourire de son adversaire.

En 2015, le lanceur d’alertes Edward Snowden avait lui aussi critiqué fortement l’ancienne secrétaire d’État. « Si un employé ordinaire au Département d’Etat ou dans une agence de renseignement envoyait à travers un système d’e-mails non classifié des détails sur la sécurité des ambassades — ce qu’il y aurait prétendument dans ces e-mails, ou des détails sur des rendez-vous avec des fonctionnaires du gouvernement, avec des fonctionnaires étrangers, des notes qui leur ont été remises en toute confiance… non seulement ils perdraient leur travail et leurs autorisations, ils seraient aussi très certainement poursuivis en justice », s’était-il indigné. Clinton, elle, se défend en affirmant qu’il n’existe aucune preuve qu’un hacker ait accédé à ses e-mails.


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