Alors que tout le monde s’attendait à une taxation du revenu des fournisseurs d’accès à Internet, le rapport Zelnik a pensé qu’obliger les majors du disque à ouvrir l’accès à leur catalogue via une licence de gestion collective obligatoire serait un meilleur remède à la crise de l’industrie. La faute à un mécanisme de minimums garantis que les majors ne veulent surtout pas abandonner.


(CC bb_mat)

Dans quelques mois devraient être envoyés en France par la Hadopi les premiers messages d’avertissements à l’encontre des internautes qui téléchargent de la musique illégalement. L’industrie du disque attend ces messages avec l’impatience de celui qui croit que son avenir tout entier en dépend. Et en attendant, elle croise les bras et tape du pied. Comme si le premier responsable de l’extrême difficulté du marché numérique à décoller en France était le pirate, plutôt que la gourmandise aveugle des majors du disque.

Notre confrère Philippe Astor a publié à cet égard une enquête essentielle sur l’insoutenable fardeau des minimums garantis imposés par les majors aux plateformes de musique en ligne qui souhaitent faire le pas de la légalité. Ces avances sur recettes exigées par les grandes maisons de disques font reposer l’intégralité du risque d’exploitation des catalogues sur les éditeurs de plateformes. Ils doivent réunir des sommes astronomiques et miser sur d’improbables recettes simplement pour avoir une chance d’exister. Si l’avance à verser est trop lourde, l’exploitation du catalogue se fait à pertes.

Chez MusicMe, les minimums garantis vont ainsi de 200 000 € à 500 000 € par major et par an, et pour l’une d’elles (sans doute Sony Music qui demande le plus de minimum garanti), les recettes couvrent « à peine 50 % des avances versées« . Excédé et incapable d’honorer ces dettes, le PDG de la plateforme Jiwa a carrément publié les chiffres qui relèvent pourtant du secret commercial :

  • Sony Music : 400 K€ par an
  • EMI : 250 K€ par an
  • Warner Music : 100 K€ pour 18 mois
  • Universal Music : 180 K€ par an
  • Total de minima garantis à verser : 930 K€

Sachant que ces montants sont déterminés en fonction de la part de marché attendue, on imagine les millions d’euros que doit verser Deezer, le grand leader du marché français de la musique en ligne. Et l’on comprend pourquoi la plateforme est aux abois. Philippe Astor explique très bien le mécanisme : les « start-up du secteur, soit s’engagent dans une fuite en avant qui consiste à multiplier les levées de fonds pour faire face aux échéances, soit envisagent sérieusement de jeter l’éponge« .

Christophe Lameignère, le président du SNEP et de Sony Music qui comparait les anti-Hadopi à des collabos nazis, énonce ainsi sa façon de voir les choses : « On ne va quand même pas offrir les six millions de titres disponibles sans aucune garantie à n’importe quel péquin qui arrive« . Lameignère préfère miser sur une poignée de plateformes à l’économie aussi lourde que fragile que sur une armée de petites plateformes indépendantes. Avec ce raisonnement très éloigné de la théorie économique de la longue traîne, Google n’aurait jamais fait fortune en vendant de la publicité très peu cher à énormément de monde.

Pour se faire payer des minima garantis, les majors de l’industrie musicale semblent employer des méthodes que ne renieraient pas certains dealers de drogue. La première dose est gratuite pour favoriser l’accoutumance, la seconde est chère mais la maison fait crédit et propose d’étaler la dette. Il faut lire à cet effet les droits de réponse invraisemblables publiés contre Jiwa par Thierry Chassagne, Pdg de Warner Music France, et par Christophe Lameignère. Tous les deux ont le même réflexe de rappeler que Jiwa avait commencé dans l’illégalité, et que les deux maisons de disques ont fermé les yeux en négociant un minimum garanti pour permettre à la plateforme d’éviter des ennuis judiciaires. « Mise en demeure de s’exécuter, Jiwa, a, à l’automne 2009, renouvelé ses engagements envers Sony Music Entertainment France, en concluant un protocole, échelonnant sa dette« , raconte ainsi Lameignère. Il est vrai qu’à lire les droits de réponse Jiwa n’apparaît pas très sérieux dans sa gestion, mais les méthodes font tout de même froid dans le dos.

C’est pour toutes ces raisons que nous avions accueilli favorablement la proposition du rapport Zelnik d’instituer une licence de gestion collective qui retire aux majors la faculté de monnayer le simple accès à leur catalogue. Nous avions même écrit alors qu’il s’agissait d’une « grande et bonne surprise » réservée par Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerruti. On était encore plus surpris lorsque Nicolas Sarkozy l’a fait sienne. Mais malheureusement, la licence de gestion collective a déjà fait pshiiit. Et les majors continueront d’accuser les pirates lorsque l’offre légale continuera à ne pas décoller, malgré les Cartes Musique Jeune vendues 200 euros.


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