Shadow a une ambition : remplacer tous vos ordinateurs par un service dématérialisé de cloud computing grand public. L’informatique dans les nuages se donne le nom de PC du futur. Est-ce une réalité au présent ?

Après une croissance fulgurante ayant donné confiance à des actionnaires toujours plus généreux, l’ordinateur dans le cloud Shadow est entré dans une étape importante de sa vie : le scaling, ou, pour employer un terme moins startup nation, la montée en puissance.

Pour une entreprise qui fait du cloud computing, cette montée en puissance se traduit par plusieurs choses : plus de clients signifie plus de personnes sur les serveurs, plus de personnes connectées en même temps, plus de puissance et plus de stockage nécessaire. On s’en doutait — et eux aussi — dès les premières alpha de Shadow que nous testions à la rédaction : le service ne serait pas aussi simple à faire tourner avec 50 élus qu’avec des milliers des clients.

Le lancement des applications Windows et MacOS a accompagné cette phase, rendant l’utilisation de Shadow plus simple et plus accessible. À l’heure où ces lignes sont écrites, cela fait un peu plus de quatre mois que nous utilisons l’application Shadow pour Mac et PC. La promesse de l’entreprise, affichée en grand sur le site, est de remplacer à tout jamais votre vieil ordinateur, fixe ou portable. Mais est-ce, à date, une réalité ? Verdict.

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Fail again. Fail better.

Nous ne reviendrons pas sur le fond de notre pensée au sujet de Shadow. Aujourd’hui, l’infrastructure réseau se solidifie et rend accessible la promesse de l’entreprise française. Le très haut débit prend de l’importance et la 5G qui pointe le bout de son nez promet une latence à toute épreuve — le climat technologique fait de Shadow une évidence. Et d’ailleurs, nombreux sont les concurrents à miser sur les secteurs porteurs que sont le cloud gaming et le cloud computing grand public, de Nvidia à Google. À ce petit jeu, Shadow garde d’ailleurs une très nette avance : les Français ont eu du flair et ont commencé leur R&D très tôt, prenant quelques foulées sur le reste du monde.

Et pourtant, cette avance ne leur a pas épargnés d’erreurs. Emmanuel Freund, fondateur de Shadow, a toujours ce petit côté franc et direct quand il nous parle de ce qui ne va pas. Pas de langue de bois, pas d’excuses — les « on s’est planté » fusent. Aujourd’hui, la situation s’est un poil améliorée, mais il y a un mois ou deux, et depuis le pic d’abonnement à la suite de la réouverture des inscriptions, utiliser Shadow était devenu une plaie.

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Restart Streaming, un bouton qu’on maîtrise vite

La cause est simple et ne vient pas du réseau : la méthode choisie pour le stockage qui fonctionnait très bien avec peu d’utilisateurs est arrivée à saturation très rapidement. « On a voulu tout réinventer au lieu de faire confiance à des pros », nous dit Emmanuel. Résultat, cette solution qui s’appuie sur un SSD individuel et des baies de stockage partagées — mais hermétiques entre les utilisateurs — n’a pas tenu.

Pour le client, c’était une catastrophe : un jeu sur Steam pouvait se télécharger en 5 secondes et prendre plus de 15 minutes à s’installer. En effet, l’installateur allait attendre qu’une « place » se libère sur les baies pour faire le travail d’écriture. Le nombre de places étant très limité, les heures de pointe (20h-minuit) étaient un calvaire. Même chose pour lancer Shadow : si vous avez eu un message qui vous a dit que Shadow prenait plus de temps à se lancer que d’habitude, vous faisant patienter parfois plusieurs longues minutes, vous savez maintenant d’où cela vient.

Pour les futurs clients, c’est aussi ubuesque : vous commandez un service numérique, qui repose sur une partie d’immatériel et on vous dit qu’il ne pourra être livré que dans quelques jours. Comme si vous aviez à attendre une semaine après avoir payé pour Netflix ou Spotify. En arrière-plan, de l’autre côté du câble, vous avez de vrais humains qui doivent installer toujours plus de baies pour répondre à une demande toujours plus grande, tout en satisfaisant les clients déjà présents. Et, en parallèle, une autre équipe qui doit réfléchir sur la suite, autrement dit une solution plus pérenne et plus scalable.

On n’a pas encore la transparence qui nous ferait bazarder toutes nos configurations pour des clients légers

Face à ce problème physique, Shadow a entamé une fuite en avant qui fait qu’ils parviennent maintenant à fournir un service correct — pour le moment. Et pourtant, nous sommes loin encore de l’instantanéité au quotidien, ce qui pourrait agacer des clients qui ont pris la promesse au pied de la lettre.

Le deuxième souci qui nous a touchés — et qui a été confirmé par des tests avec plusieurs comptes et dans plusieurs endroits avec de bonnes connexions chez différents opérateurs — concerne certains pics de latence. Shadow est aujourd’hui capable de servir ses clients et a une architecture aux bonnes dimensions, mais il n’empêche que le service peut freezer aux heures de pointe.

Chez moi, il a freezé sur de l’Eurotruck Simulator quelle que soit la qualité graphique affichée ou envoyée par Shadow, envoyant mon camion et mes bénéfices sur un terre-plein autoroutier. Sur notre deuxième configuration de test, il a aussi connu de maigres ralentissements sur des jeux comme Dragon Ball FighterZ. Ce n’est pas dramatique, mais si vous perdez une partie à cause de votre matériel, vous songerez à deux fois avant d’oublier définitivement votre tour.  L’ouverture d’un nouveau « cœur d’opération », bien plus puissant que le premier en termes de débit simultané, a fait du bien à l’ensemble.

Shadow sait communiquer sur ses avancées et ses problèmes

Shadow sait communiquer sur ses avancées et ses problèmes

Enfin, le troisième souci est constitué d’un ensemble de petits problèmes qui énervent. Presque à chaque fois, sur l’application MacOS, il nous est nécessaire de relancer le streaming pour que le son fonctionne. Nous devons également souvent quitter la fenêtre pour synchroniser la souris — ou le pointeur d’un jeu par-dessus le pointeur de Windows —. Vendredi dernier, notre Shadow était complètement aux fraises : l’affichage était en 800 x 600 pixels et aucun driver ne semblait plus être installé sur la configuration. GeForce Experience refusait d’installer quoi que ce soit et les drivers Nvidia téléchargés à la main ne s’installaient pas non plus. Ce lundi, la situation s’est débloquée miraculeusement.

En résumé, au premier trimestre 2018, Shadow semble encore être un work in progress. On n’a pas encore la transparence promise par le service, qui nous ferait bazarder toutes nos configurations pour des clients légers. Les gros problèmes seront bientôt réglés et le service dédié au contrôle-qualité travaille d’arrache-pied pour résoudre les petits problèmes. On ne peut vraiment pas reprocher à une seule personne chez Shadow de ne pas croire au produit.

Tout nuage n’enfante pas une tempête

Et malgré tout cela, on aurait du mal à dire que Shadow est un mauvais produit. Pas encore terminé, certes, mais déjà tellement avancé. La version MacOS de Shadow a été installée sur un MacBook Air de 2013, fière machine particulièrement polyvalente, mais qui ne brille pas par sa configuration. Et même si elle était surpuissante, certains jeux vidéo sont aujourd’hui encore Windows Only. On pense au récent et excellentissime Into The Breach qui s’adapterait très bien au laptop d’Apple comme son frère Faster Than Light mais qui n’est sorti que sous Windows. Qu’à cela ne tienne : jouer au jeu de stratégie sur un MacBook Air n’est qu’à un Shadow de devenir une réalité.

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Into The Breach sur Mac, c’est possible.

Car si Shadow a concentré sa communication sur les gamers en pariant que leurs exigences suffiraient à convaincre un public moins tatillon, la solution française est au fond idéale pour les joueurs occasionnels. Typiquement, si vous n’avez pas envie de vous prendre la tête à configurer une tour chère et encombrante, un Shadow sur votre laptop de boulot vous permettra de jouer à tous les derniers jeux dans des conditions royales — si tant est que votre connexion suit. Cette efficacité pour amener de gros jeux sur de petites configs, légères et mobiles, est en grande partie ce qui nous séduit. Shadow, c’est l’assurance de pouvoir utiliser un PC sous Windows puissant à peu près depuis n’importe quel terminal relié à Internet.

Cela limite le champ d’application (impossible dans le métro, à la campagne ou pendant un voyage en TGV par exemple), mais le confort apporté ne serait-ce que pour différents domiciles, des soirées chez des amis ou, tout simplement, une petite partie à la pause au bureau justifie déjà l’investissement. On se retrouve à faire entrer Shadow dans une routine, on installe nos jeux du moment dessus et la machine devient notre accès principal à une ludothèque accessible à peu près partout. Pas de copie de sauvegarde, pas besoin d’un cloud supplémentaire : tout est au même endroit.

Shadow a de quoi imposer sa polyvalence et son efficacité à l’industrie

Même chose pour les projets serious business au demeurant : Shadow, c’est votre Google Drive à vous, toujours allumé et toujours à dispo. Vous pouvez commencer un montage, une 3D ou un texte sur votre Shadow allumé sur votre Mac à la maison et retrouver le tout sur votre PC au bureau ou chez un client. Encore une fois, pour peu que votre quotidien soit connecté, vous n’aurez pas trop de souci à vous faire.

Et c’est aussi une des avancées majeures de Shadow : pour de la bureautique, le client fonctionne avec une connexion en dessous des 5 Mo/s. Pour des jeux vidéo, on peut tourner sans latence (mais avec un flux d’affichage diminué, bien entendu), avec un peu moins de 15 Mo/s. Les avancées de Shadow en la matière sont bluffantes — une technique qui emprunte aux avancées de Netflix pour tous les processus de buffering, mais qui ajoute une couche de temps réel et d’interactivité augmentant la complexité des traitements.

Aujourd’hui, Shadow sait ne pas vous envoyer un pixel qui ne bougera pas sur votre écran entre deux images et sait vous envoyer sa mise à jour au centième de seconde près quand il aura bougé. Le résultat est toujours étonnamment imperceptible pour les joueurs et les utilisateurs — c’est la qualité du streaming qui change selon le débit, la priorité étant donnée en jeu à la latence.

Avec l’arrivée des clients mobiles et le déploiement de Shadow sur à peu près tout ce qui peut exécuter le client (on a hâte de le voir sur RaspBerry Pi, Apple Watch ou sur la TouchBar d’un MacBook Pro), Shadow a de quoi imposer sa polyvalence et son efficacité à l’industrie. Du moins, c’est précisément le challenge de l’entreprise qui est consciente tout à la fois de son avance et de ses défauts : pour conserver la première, il va falloir corriger les seconds. Et vite.

L'ombre

L’ombre

Ulrich Rozier, co-fondateur d’Humanoid, est actionnaire du groupe Blade (Shadow)

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