Sur une base militaire en Haute-Marne, des milliers de militaires français apprennent à manier les armes qui dominent la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Numerama a passé une journée dans cette école de drones où sont formés les futurs pilotes français, du maniement de mini-engins furtifs des forces spéciales jusqu’aux appareils de plusieurs mètres d’envergure.

Il y a plus de 110 ans, le jeune 61ᵉ régiment d’artillerie faisait ses preuves en testant une variété de nouveaux canons lors d’une Première Guerre mondiale qui secouait l’Europe. En 2025, alors que les combats dans les tranchées sont revenus sur le continent, le régiment est de nouveau au cœur des évolutions de l’armée française. Sur cette vaste ancienne base aérienne non loin de Chaumont, en Haute-Marne, l’école de drones, ouverte en octobre 2023, forme les pilotes qui se déploieront dans chaque corps de la Grande Muette.

Ce centre de formation matérialise le grand plan de dronisation de l’armée lancé par Sébastien Lecornu, en réaction à une guerre entre la Russie et l’Ukraine dans laquelle ces appareils règnent en maîtres. Plusieurs milliers de militaires y apprennent ainsi à manier divers engins volants de toutes tailles et formes, selon les spécificités de chaque régiment. L’objectif : former 10 000 pilotes d’ici 2026.

« En Ukraine, on estime qu’ils mettent un mois environ à les préparer. Nos futurs instructeurs passent une semaine sur place à apprendre, puis reviennent pour adapter leurs leçons aux besoins de leur brigade. On atteint la même durée d’apprentissage », nous explique le lieutenant-colonel Stassinet, chef de corps de l’école des drones.

Entraînement aux drones // Source : Photos Numerama
Entraînement aux drones // Source : Photos Numerama

Des mini-drones pour les combats urbains

Ici, on vient de loin pour maîtriser des pilotages parfois plus compliqués qu’il n’y paraît. Dans un immeuble désaffecté, un membre d’élite du 8ᵉ régiment de parachutistes d’infanterie de marine, basé à Castres, fait doucement voler un « mini-hélicoptère » de 17 cm dans un vaste hall. Ce modèle baptisé Black Hornet, connu de toutes les forces spéciales, est un atout pour inspecter un bâtiment discrètement en situation de combat urbain. Le « frelon » se déplace ainsi dans le couloir, récupérant les images pour l’unité postée à l’entrée, et revient tout seul dans la main de son propriétaire après avoir mémorisé le chemin.

Quelques centaines de mètres plus loin, dans un hangar, l’adjudant Jérémy teste un modèle apparu dans les affrontements en Ukraine. Les drones FPV (First Person View, soit une vue subjective du pilote depuis un casque), autrefois cantonnés à quelques aficionados du drone de loisir, effraient aujourd’hui n’importe quel conducteur de char. L’école de drones a aménagé le plus grand parcours d’obstacles d’Europe pour permettre aux militaires de s’entraîner dans les meilleures conditions. Le drone de l’adjudant traverse ainsi les cerceaux à une vitesse de 100 km/h avant de passer en pirouette dans un court tunnel. La retransmission de la caméra sur un écran donne le tournis.

Du pilotage FPV
Du pilotage FPV // Source : Numerama

« On pourrait se croire dans un jeu vidéo », nous confie l’adjudant en souriant. Le pilotage de ces drones demande une maîtrise de précision : entre les doigts de l’officier, le joystick ne bouge que d’un millimètre pour aborder un virage. Ici, « on est purement sur un drone de frappe ». La vitesse et la précision des modèles les rendent particulièrement redoutables au combat, notamment pour toucher les points les plus sensibles des tanks. « Envoyer une division de blindés est aujourd’hui considéré comme un suicide en Ukraine », rappelle le lieutenant-colonel Stassinet.

La plupart des modèles sont perfectionnés au sein même de la base par les ingénieurs militaires. Face à l’urgence du conflit ukrainien, l’armée française a décidé de rompre avec ses vieux démons bureaucratiques et d’accélérer drastiquement ses cycles d’innovation. « On ne veut plus de drones sur PowerPoint, on a besoin d’engins que l’on peut rapidement prendre en main », résume sans détour le lieutenant-colonel Stassinet.

Un drone déployé en Ukraine pour appuyer l’artillerie

Enfin, sur l’ancienne piste d’atterrissage, deux jeunes stagiaires déposent le plus imposant des modèles que l’on verra lors de cette journée. Avec une envergure de 4,5 mètres, le DT46, fabriqué par la société toulousaine Delair, ressemble à un petit avion de tourisme, à la différence près qu’il est capable de décoller à la verticale comme un hélicoptère. Une fois que l’appareil atteint une certaine altitude, les hélices s’éteignent et le drone plane dans un silence menaçant au-dessus de la Haute-Marne. 

Delair DT46
Delair DT46 // Source : Numerama

Les composants de l’appareil sont un concentré de technologie réunissant une série de capteurs optiques et infrarouges pour analyser n’importe quel élément au sol. Au loin, l’appareil verrouille un camion en déplacement et le suit avec la caméra. « L’appareil peut détecter un engin à 10 km de distance, souvent trop loin pour l’œil humain. Les informations sont ensuite transmises à l’artillerie qui s’occupera de la neutralisation », explique l’adjudant Nassib.

Le système du drone est interopérable avec les canons modernes de l’armée française, y compris le fameux Caesar. Delair a également fourni ces avions DT46 à l’Ukraine. La simulation à laquelle nous assistons à Chaumont pourrait être, à quelques détails près, une copie de ce qui se déroule réellement 3 000 km plus loin à l’est, dans ce pays en guerre avec la Russie. « Tous les régiments d’artillerie sont aujourd’hui équipés de ce drone DT46 », ajoute l’adjudant. Autrement dit, la mutation de l’armée est enclenchée.

Découvrez les bonus

+ rapide, + pratique, + exclusif

Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.

Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.

S'abonner à Numerama+

Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci

Il y a une bonne raison de ne pas s'abonner à

Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.

Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :

  • 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
  • 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
  • 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.

Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.

S'abonner à Numerama+
Toute l'actu tech en un clien d'oeil

Toute l'actu tech en un clin d'œil

Ajoutez Numerama à votre écran d'accueil et restez connectés au futur !


Pour ne rien manquer de l’actualité, suivez Numerama sur Google !