Dans un article qui relate l’enquête menée par la police des polices pour identifier les sources de deux journalistes, Le Monde démontre l’ampleur effarante que peuvent prendre les demandes de communications de factures détaillées. Et le peu de soin que met Bouygues Télécom à protéger ses clients et leurs contacts.

L’affaire Bettencourt aura eu au moins le mérite de mettre au grand jour les pratiques des services de police et des opérateurs télécoms en matière de « fadettes », ces factures détaillées dont les enquêteurs peuvent demander copie. L’an dernier, nous nous étions étonnés que les opérateurs soient mis totalement à l’écart des reproches médiatiques, alors qu’ils peinent à jouer leur rôle de rempart entre la police et les abonnés placés sous surveillance. S’ils ne peuvent s’opposer aux demandes qu’ils reçoivent en bonne et due forme, les opérateurs devraient au moins alerter l’opinion sur l’ampleur des demandes. D’autant que le gouvernement semble vouloir dissimuler les chiffres.

Or un article publié ce lundi dans Le Monde met plus encore en lumière l’ampleur incroyable des informations que les policiers peuvent obtenir en communiquant avec les opérateurs télécoms. Il détaille en effet l’enquête livrée par l’Inspection générale des services (IGS) pour découvrir, chez les policiers, la source éventuelle des journalistes Gérard Davet et Jacques Follorou, auteurs d’un article sur l’affaire Bettencourt. Pour une seule enquête, les requêtes peuvent être extrêmement nombreuses et invasives.

Ainsi pour Gérard Davet, c’est SFR qui livre « 42 feuillets de tableaux à 9 colonnes, qui recensent les appels, les SMS ou MMS envoyés ou reçus, le numéro de téléphone du suspect, celui de son correspondant, éventuellement celui d’un troisième interlocuteur, la date, l’heure, la durée de la communication, la cellule (la borne téléphonique utilisée) et le numéro IMEI du téléphone, c’est-à-dire l’International Mobile Equipment Identity, (et) le numéro unique de chaque portable« . Avec la cellule, la police sait exactement d’où chaque communication a été effectuée, ce qui lui permet même de retracer en partie les déplacements du journaliste. Ici le rendu doit être particulirement précis, puisque Gérard Davet a effectué ou reçu pas moins de 450 appels téléphoniques pour le seul mois d’août, et envoyé ou reçu 1000 SMS. Soit plus d’une quarantaine de communications par jour en moyenne.

Dotée de tous ces numéros de téléphones, l’IGS a ensuite demandé aux trois opérateurs d’identifier chacun des abonnés présents sur la fadette. « C’est un plaisir de travailler avec Bouygues : non seulement l’opérateur donne le nom et l’adresse du titulaire de la ligne, mais aussi sa date de naissance et son numéro de compte bancaire« , souligne Le Monde.

Mais les enquêteurs se sont trompés de téléphone. Ca n’était pas celui de Gérard Davet ; c’était celui de sa (bavarde) fille. Ils recommencent donc avec Orange : 116 numéros. A nouveau, ils demandent aux opérateurs de tous les identifier. « Il y a un peu de tout. Des avocats célèbres – dont Me Kiejman, à l’origine de la procédure – nombre de journalistes, des magistrats, des policiers de haut rang, le cabinet du ministre de l’intérieur et la présidence de la République« .

Ne connaissant pas le numéro de téléphone de Jacques Follorou, l’IGS demande les fadettes de quatre numéros attribués au journal Le Monde. Ils pensent trouver le bon quand ils s’aperçoivent, après avoir (encore) fait identifier tous les numéros présents, qu’il s’agit du mobile de la chef du service politique du Monde, Raphaëlle Bacqué, dont ils connaissent à présent tous les coups de fils. C’est finalement en détournant la finalité du fichier du STIC que l’IGS trouve par chance le numéro du journaliste. A nouveau, Orange est interrogé : 82 pages de fadettes. « Beaucoup de sources du journaliste sont là, des avocats, des magistrats, le secrétariat général du gouvernement, des ambassades, Médecins sans frontières, des journalistes, des amis, ses enfants, le ministère de l’intérieur… Le policier annexe paisiblement les coordonnées de la patronne du club d’équitation, à Ouessant, où sa fille fait du cheval l’été, la patronne du magasin de location de vélo et même le numéro du taxi de la gare« .

La procureur-adjointe Marie-Christine Daubigney a même été jusqu’à demander le contenu des SMS échangés entre la juge Isabelle Prévost-Desprez et le journaliste Jacques Follorou, sans succès. Non pas que les opérateurs n’ont pas voulu ; ils n’en possèdent pas de copie. Heureusement.

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