L’immense blackout qui a frappé l’Espagne et le Portugal fin avril n’a pas encore d’explication officielle. La panne a toutefois fait ressurgir une certaine friction avec la France au sujet des interconnexions entre les pays.

L’affaire de la méga panne d’électricité qui a frappé la péninsule ibérique à la fin du mois d’avril pourrait avoir quelques répercussions diplomatiques de part et d’autre des Pyrénées. En tout cas, l’actuelle ministre portugaise de l’Énergie, Maria da Graça Martins da Silva Carvalho, pointe la responsabilité de la France, de façon indirecte, dans ce dossier.

Dans un entretien accordé le 12 mai à El País, l’un des principaux quotidiens en Espagne, la ministre a en effet considéré que l’intensité du black out aurait été « certainement » moins grave dans les deux pays avec une interconnexion plus forte avec la France. Or, Paris ne montrerait pas beaucoup d’allant à faire rapidement avancer ce chantier.

Maria da Graça Martins da Silva Carvalho
Maria da Graça Martins da Silva Carvalho. // Source : Maria da Graça Martins da Silva Carvalho

« Je ne pense pas que la France soit très intéressée, car elle a beaucoup d’énergie nucléaire et n’accélère pas nos interconnexions », a-t-elle avancé, jugeant ne pas voir de « motivation du côté français parce qu’objectivement, ils n’ont pas beaucoup d’intérêt ». Or, a-t-elle poursuivi, « le rétablissement aurait été plus rapide », au lieu de s’étendre sur une journée.

La France « met des obstacles au marché intérieur »

Aujourd’hui, il existe six lignes d’interconnexion avec l’Espagne. Comme le note le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France, RTE, une septième liaison énergétique transfrontalière (« Golfe de Gascogne ») est en cours de construction et doit être prête en 2028. À cette date, le niveau d’échange technique sera de 5 gigawatts (GW).

D’après RTE, cet horizon sera conforme à la cible politique fixée dans la déclaration de Madrid de 2015, signé par la France, l’Espagne et le Portugal, et par la Commission européenne. À l’époque, il avait été acté d’atteindre une interconnexion équivalente à 10 % de la capacité de production installée de chaque pays d’ici à 2020, et 15 % en 2030.

Or, on en est très loin selon la ministre, qui cite un seuil de 3 %. « Tous les gouvernements se battent depuis des années pour accroître les interconnexions. Cette demande est toujours présente lors des sommets ibériques », rappelle-t-elle. Et la France « met des obstacles au marché intérieur » en n’allant pas à la vitesse désirée par Madrid et Lisbonne.

Dans son point d’étape partagé peu après la panne d’électricité, RTE a souligné que « d’autres projets d’interconnexions sont à l’étude » et que le gestionnaire « a clairement indiqué être prêt à travailler » avec toutes les parties « pour identifier les conditions techniques et financières permettant de poursuivre l’interconnexion. »

Réunion à venir avec la France, Bruxelles appelé à la rescousse

L’affaire va en tout cas rebondir prochainement au niveau européen avec une réunion avec la France d’une part et une demande d’aide de Bruxelles sur ce sujet d’autre part. Et la ministre de rappeler que l’interconnexion a l’avantage de marcher dans les deux sens, sur le terrain de l’électricité ou sur un autre sujet.

« Cet incident montre l’importance des interconnexions pour l’Europe. Aujourd’hui, cela nous aurait été bénéfique, mais cela peut aller dans l’autre sens, comme cela a été le cas lors de la crise du gaz russe. La péninsule ibérique compte sept ports de gaz naturel liquéfié et un grand nombre de gazoducs », glisse Maria da Graça Martins da Silva Carvalho.

électricité réseau
Les autorités pensent que le rétablissement aurait été plus rapide avec une interconnexion plus solide avec la France. // Source : REE

La ministre n’est pas la seule à relancer Paris. Sara Aagesen, la ministre espagnole en charge de l’énergie, a également réclamé la remobilisation de la France sur ce dossier. Il s’agit d’une « priorité absolue ». Elle a par ailleurs souligné, elle aussi, la faible densité actuelle des capacités d’interconnexion (3 %), à des années-lumière de l’objectif européen.

Une évaluation de la Commission européenne datée de 2020 soulignait que huit pays étaient insuffisamment reliés à leurs voisins. Outre le Portugal et l’Espagne, étaient cités l’Irlande, l’Italie, Chypre, la Pologne, la Roumanie et la France. Cela, alors que « l’interconnexion est la base de tout », selon l’ex-commissaire chargé du marché intérieur Thierry Breton.

Des profils énergétiques différents entre la France et la péninsule ibérique

Le profil électrique de l’Espagne et du Portugal repose énormément sur les sources d’énergies renouvelables, avec d’importantes capacités installées du côté du solaire et de l’éolien. Les deux pays comptent aussi beaucoup sur l’énergie hydraulique. Elles ont aussi une forte exposition au gaz, qui est une énergie fossile.

La part d’énergie renouvelable dans le mix énergétique portugais atteint les 87 %. Côté espagnol, le seuil est de 64 %. Cependant, ces capacités sont en partie non pilotables, c’est-à-dire que l’on ne peut pas ajuster la production rapidement selon les besoins de consommation. C’est en tout cas vrai pour l’éolien et le solaire — l’hydraulique est pilotable.

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Des choix différents en matière énergétique ont été faits de chaque côté des Pyrénées. // Source : JKremona

Du côté français, la part d’énergie renouvelable est moindre (33 %), car le pays repose historiquement sur un important parc nucléaire. Cette source d’énergie n’est certes pas renouvelable, mais elle est bas-carbone et pilotable. Reste que la France a des capacités installées croissantes du côté hydro, solaire et éolien. Idem côté nucléaire avec les EPR 2.

Reste désormais à connaitre les circonstances officielles de la panne qui a plongé l’Espagne et le Portugal dans le noir pendant des heures. À ce stade, les investigations se poursuivent et aucune cause définitive n’a été désignée pour expliquer cette méga coupure. Toutes sortes d’hypothèses ont été mises sur la table, y compris le cyber ou le sabotage.

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