Dans un article du Parisien, on découvre qu’un utilisateur d’iPhone estime être écouté par son appareil qui afficherait ensuite des publicités basées sur ses conversations. Cette théorie populaire est fausse.

C’est toujours la même histoire et elle est toujours fausse. Nos confrères du Parisien se font l’écho ce 13 mai 2025 d’une action groupée contre Apple, portée par l’ancien député EELV Julien Bayou et son client, nommé « Nicolas ». Nicolas raconte une histoire qu’à peu près tout le monde connaît : vous parlez d’un sujet avec quelqu’un et, comme par hasard, le lendemain, une publicité sur le sujet dont vous avez discuté apparaît quelque part sur Internet. Le coupable tout trouvé ? L’iPhone, qui vous écoute et qui transmet vos intentions d’achat aux marchands.

L’article du Parisien ne fait malheureusement pas l’effort de montrer que ces théories sont absurdes, donnant la parole à d’autres « témoins » de ce comportement. Pourtant, elles relèvent à la fois d’une méconnaissance technique et d’un biais cognitif. Pour le biais cognitif, c’est assez simple : si on y réfléchit bien, on se souvient aussi tous d’une fois où on a lu pour la première fois un nouveau mot, puis qu’on s’est mis à le voir partout. Ce n’est pas que le mot s’est multiplié, c’est qu’en y faisant attention une fois, nous avons commencé à le remarquer. Cela s’appelle l’illusion de fréquence.

Eh bien c’est probablement la même chose avec la publicité : la réclame Lacoste perçue par Nicolas était probablement là aussi la veille de sa discussion, dans les flux de ses réseaux sociaux. Il l’a seulement remarquée le lendemain de sa discussion, précisément parce qu’il avait eu la discussion et que la théorie du complot qui dit que nos smartphones nous écoutent est très médiatisée.

Ce logo orange indique que le micro est activé. // Source : Numerama
Ce logo orange indique que le micro est activé. // Source : Numerama

L’inculture technologique fait des ravages

Côté technique en revanche, ces histoires sont toujours tristement liées à l’inculture de nos contemporains, qui préfèrent les solutions simplistes à la réalité technique — qui, vous le verrez, peut faire mal à l’égo.

La réalité, c’est qu’un iPhone ne peut pas vous écouter sans votre consentement en 2025. Il vous écoute quand vous parlez à Siri ou que votre micro est activé — une petite lumière orange apparaît. Il peut vous écouter à votre insu dans de rares cas, quand vous activez Siri par erreur par exemple. Par le passé, Apple utilisait certains enregistrements consentis, anonymisés, pour améliorer Siri, mais cela a été arrêté (des humains écoutaient des courts extraits et les transcrivaient pour améliorer la reconnaissance vocale). La marque affirme dans son rapport sur la confidentialité que « Apple n’a jamais utilisé les données Siri pour établir des profils marketing, ne les a jamais rendues disponibles pour la publicité et ne les a jamais vendues à qui que ce soit, pour quelque raison que ce soit. Nous n’avons cessé de développer des technologiques qui rendent Siri encore plus privé, et nous continuerons de le faire ». Imaginez une seconde le scandale pour l’image de marque de l’entreprise qui y fait le plus attention sur cette Terre si cette ligne était un mensonge.

Si vous voulez vous en convaincre, prenez le postulat inverse : que se passerait-il si votre iPhone vous écoutait pour vendre vos intentions d’achat à des marchands ? Il faudrait d’abord qu’il ait accès à votre micro, ce que vous verriez (la fameuse diode) ou que des applications tierces y aient accès — hors piratage, qui peut arriver mais qui est illégal et complexe –, vous verriez aussi la diode. Ensuite, il faudrait que la donnée audio soit enregistrée en permanence, ce qui créerait un énorme fichier audio à envoyer en arrière-plan avec votre forfait Internet. Ce transfert de données permanent se verrait dans le journal d’activité Internet : plusieurs tests sérieux ont été réalisés et ils ne montrent rien d’anormal.

Alors poussons l’expérience de pensée : imaginons que ce soit bien camouflé, que le fichier audio soit enregistré sur votre iPhone en local, soit transcrit en fichier texte par un programme en tâche de fond et que seuls les quelques bits du fichier texte soient envoyés à Apple afin de les vendre aux commerçants. Il faudrait imaginer qu’Apple ait une plateforme d’échange pour ces données, qu’elle soit achetée sur un marché de la donnée accessible à toutes et tous afin que d’autres entreprises légitimes comme Lacoste puissent l’acheter. En bref, une activité qui a pignon sur rue. Vous pouvez chercher, ce marché de la donnée audio de votre smartphone qui a écoute vos conversations n’existe pas.

Pas plus que les entreprises n’ont la volonté de cibler Nicolas en particulier pour lui vendre un polo.

Apple iPhone 16e // Source : Nino Barbey / Numerama
Apple iPhone 16e // Source : Nino Barbey / Numerama

La publicité en ligne fonctionne beaucoup plus simplement qu’on le croit

Mais alors quoi ? Si la publicité n’utilise pas notre conversation avec notre petit cousin sur ses envies à Noël, comment fait-elle pour savoir ce dont on parle ? La réponse est tragique pour l’individu et le libre penseur : nous sommes très prévisibles.

Les plateformes de publicité en ligne et les vendeurs de data créent en réalité, grosso-modo, des profils types pour les annonceurs. Ce n’est pas le petit cousin de Nicolas qui a dit « Lacoste » qui les intéresse, c’est un homme, artiste, parisien, dans la trentaine, qui a les moyens de partir en vacances, qui s’intéresse à telle ou telle marque en temps normal. Cet homme-là, il en existe des centaines de milliers en France. Et ils intéressent tous Lacoste. Lacoste va effectivement cibler cette cohorte dans ses publicités, après avoir récolté des données collectées par la trace en ligne d’un identifiant anonymisé et groupé avec d’autres. Tous les Nicolas de France sont ciblés par cette campagne. Bonus : si un Nicolas a été sur le site de Lacoste ou a cherché Lacoste sur Amazon, il a laissé un indice plus fort dans sa trace en ligne et il sera un peu plus ciblé que les autres Nicolas.

Et l’histoire de l’entreprise qui a assuré à ses clients utiliser le microphone des smartphones alors, dont on parlait fin 2024 ? Elle a vraisemblablement menti sur sa plaquette pour vendre du vent aux crédules. La seule concession à ce fait serait une attaque ciblée, malveillante, liée à un espionnage étatique : il s’agit d’un cas spécifique qui ne s’intéresse pas à monsieur tout le monde et demande des ressources colossales. Dans le pire des cas, certaines applications ont été prises la main dans le sac à envoyer des captures d’écran de l’activité des utilisateurs, mais cela se voit et les scandales ne tardent pas à émerger, car la communauté de passionnés qui connaît bien la technologie veille au grain.

En bref, d’un côté, vous avez un marché de la donnée publicitaire basé sur des cohortes de profils relativement similaires, construits grâce à la navigation en ligne ou les habitudes de scroll et de like sur les réseaux sociaux (pour complexifier l’histoire, sachez que ces données se croisent en plus rarement, car chacun est avare de partager ses données avec d’autres). Ce marché ne vous connaît pas, mais sait plus ou moins vous mettre dans une grosse case de gens comme vous et vendre cette case à Lacoste ou Decathlon, de manière automatisée.

De l’autre, vous avez une théorie du complot tenace, techniquement impossible, dont la rentabilité n’aurait aucun sens (le coût d’acquisition de cette donnée audio, d’un seul individu, qui ne va peut-être pas acheter le produit par rapport à la trace en ligne de centaines de millions d’individus) et qui a été démentie par de nombreux tests fiables.

Qu’allez-vous choisir ? Si vous êtes Nicolas ou Julien Bayou, visiblement, le confort de la seconde option. Il faut reconnaître que la première est moins spectaculaire, comme la plupart des vérités technologiques et scientifiques qui s’opposent aux croyances.

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