Bien que l’on sache que les publications sur les réseaux sociaux ne ressemblent pas à la « vraie vie », lorsque le miroir se brise, le choc peut être dur. Les streameuses sont encore plus exposées à ce risque, insultées et menacées par de nombreux hommes dès qu’elles font un pas de travers. C’est le thème de la newsletter de Numerama de cette semaine écrite par Lucie Ronfaut, #Règle30.

Quand j’étais ado, j’étais très fan d’un dessin-animé. J’étais inscrite sur le forum officiel, j’écrivais des fanfictions inspirées de mes personnages préférés, et j’ai même eu la chance de rencontrer le créateur de la série en question, ainsi que l’actrice qui prêtait sa voix à l’héroïne. J’ai un souvenir un peu vague de cet évènement. En vérité, je pense qu’il a surtout été gênant. Me confronter aux vraies personnes derrière la fiction que j’adorais était étrange. En grandissant, j’ai retrouvé plusieurs fois cette sensation. Quand j’ai rencontré des gens d’abord connus sur internet. Quand j’ai croisé des célébrités au gré de mon travail de journaliste. Souvent, je me prenais le même mur : la réalité ne correspondait pas à ce que je m’étais imaginée.

La semaine dernière, trois affaires ont éclaté au grand jour.

"Une streameuse a révélé qu'elle est mariée à un homme abusif, qui la force à streamer, qui lui prend son argent et la menace de tuer ses chiens, mais des mecs préfèrent s'énerver parce qu'elle n'est pas vraiment célibataire."
« Une streameuse a révélé qu’elle est mariée à un homme abusif, qui la force à streamer, qui lui prend son argent et la menace de tuer ses chiens, mais des mecs préfèrent s’énerver parce qu’elle n’est pas vraiment célibataire.»

Les femmes sont toujours les plus critiquées pour leur mise en scène

Hélas, comme on aurait pu s’y attendre, les réactions n’ont pas toutes été de l’ordre de la compassion. C’est particulièrement vrai pour Amouranth et Adriana Chechik (la streameuse qui a cassé son dos à deux (!) endroits à la TwitchCon). Cette dernière a subi de nombreuses moqueries sur sa chute. On l’a soupçonnée d’exagérer ses blessures pour attirer l’attention (je répète : deux fractures dans le dos). Je précise qu’outre ses activités sur Twitch, la créatrice est aussi actrice pornographique, et que cela a probablement joué dans le mépris général qu’elle a subi. Il en va de même pour Amouranth, l’une des streameuses les plus regardées au monde et spécialisée dans les live « hot tub », où elle se filme en maillot de bain dans une piscine gonflable. À ce titre, elle est la cible depuis des années d’un cyberharcèlement massif et particulièrement misogyne. Les révélations sur sa relation abusive ont été l’occasion d’une nouvelle vague de haine, reprochant à la créatrice d’avoir prétendu être célibataire, plutôt que de s’inquiéter de sa sécurité dans cette situation choquante.

La newsletter #Règle30 est envoyée tous les mercredis à 11h. Pour s’inscrire gratuitement pour la recevoir, c’est par ici.

Ces dernières années, on a beaucoup parlé de « relations parasociales » : des interactions à sens unique que nous avons avec des personnes plus ou moins célèbres, qu’on a l’impression de connaître grâce aux contenus dans lesquels elles figurent. Le concept n’est pas neuf, d’ailleurs souvent associé à tort aux jeunes filles et à leur supposée frivolité. Mais il a pris un sens particulier à l’ère des réseaux sociaux, où tout le monde peut accéder à une petite célébrité, et où beaucoup mettent sciemment en scène leur vie en ligne. C’est la raison de mon malaise lorsque j’ai rencontré mes idoles ado.

C’est aussi, je crois, ce qui se joue dans les affaires dont je vous parle, accompagné d’une grosse louche de sexisme. Les réseaux sociaux sont une forme de fiction. De la part des créateurs et des créatrices, et aussi des internautes, qui ont leurs propres attentes sur ces personnes et leurs contenus. Twitch doit être un endroit toujours drôle, pas le théâtre d’une grave blessure. J’ai hâte de jouer à ce nouveau jeu vidéo, pas de parler de droit du travail ou de réfléchir à une situation complexe avec nuances. Cette streameuse était censée être célibataire et sexy, pas une victime de violences conjugales. Mais quand l’illusion se brise, sommes-nous capables de voir les humains ?

La revue de presse de la semaine

Paroles, paroles

Dans la catégorie « vraie vie ou épisode de South Park ? », on a appris en début de semaine que Kanye West — Ye de son nouveau nom — souhaite racheter Parler, un réseau social apprécié de l’extrême-droite américaine (il a notamment été utilisé par des militant·es pro-Trump lors de l’invasion du Capitole début 2021). Ce rachat serait motivé par les récents démêlés de Ye avec Instagram et Twitter, dont il a été banni pour avoir publié des messages clairement antisémites.

Anti-trans

Sur le site de L’Obs, on peut lire une tribune signée d’une quarantaine de personnalités pour dénoncer le traitement des personnes trans, non binaires et intersexes sur Wikipédia. En cause, des comportements répétés de mégenrage, voire de harcèlement, visant des personnalités ou des membres de la communauté de l’encyclopédie en ligne.

Le web est-il toujours derrière #MeToo ?

Pour Le Monde, j’ai interrogé chercheuses et activistes sur un apparent paradoxe : comment le web, qui a permis l’essor du mouvement #MeToo, est-il aussi l’endroit où l’on détricote le plus son influence ? C’est une longue analyse qui parle autant d’antiféminisme, d’économie, de politique et de design, et je serais heureuse que vous y jetiez un œil par ici (article réservé aux abonné·es du journal).

Soul soul

La semaine dernière, le site américain Polygon a publié une série d’articles sur le thème de la mode dans les jeux vidéo. Il y a plein de choses intéressantes, mais je vous partage ici ce papier sur l’outil de création de personnages des Sims 4, et comment il a réussi à prendre en compte les enjeux d’inclusion et de diversité des corps. C’est à lire (en anglais) par là.

Quelque chose à lire/regarder/écouter/jouer

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J’ai découvert le travail de Lemon Haruna avec Daruchan, un manga qui raconte les difficultés quotidiennes d’une jeune extra-terrestre cachée sur Terre, en vérité une jolie métaphore pour raconter l’anxiété des femmes japonaises face au poids des contraintes sociales. Cette fois-ci, la dessinatrice revient en France avec une œuvre plus terre à terre (sans mauvais jeu de mots) : le récit de sa grossesse, de son accouchement et de son post-partum.

Je ne suis ni mère ni enceinte. Pourtant, j’ai eu l’impression que ce manga m’était en partie adressé. En s’appuyant sur le format classique du gag à quatre cases, Lemon Haruna raconte son histoire en alternant les anecdotes drôles, les moments terribles, et surtout un vrai message politique : pourquoi pousse-t-on les femmes vers la maternité, si l’on ignore la douleur et les inégalités qu’elles y subissent ? Loin de donner des conseils aux futures ou actuelles mères, Lemon Haruna rend surtout hommage à leurs difficultés, et réclame aux autres de les prendre en compte. « Si une maman pleurait à côté de moi, j’aimerais la prendre dans mes bras et pleurer avec elle », écrit-elle. « Si cet ouvrage peut consoler ne serait-ce qu’une personne, alors ça aura valu la peine que je le dessine. »
Je vais être maman ! de Lemon Haruna, éditions Lézard Noir

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