Il est fréquent qu’un sujet accapare l’attention des réseaux sociaux, comme une vague numérique qui engloutit tout sur son passage. Quelques jours plus tard, elle se retire et laisse la place à de nouveaux débats. L’affaire Dominique Pélicot est plutôt une marée noire : elle s’est infiltrée dans nos conversations et y laissera des traces. Le procès, qui s’est ouvert le lundi 2 septembre, est exceptionnel par la gravité des faits. Son principal protagoniste est accusé d’avoir drogué sa femme, Gisèle Pélicot, pendant une dizaine d’années pour qu’elle soit violée par d’autres hommes, recrutés sur internet. Une cinquantaine d’entre eux ont été identifiés et comparaissent devant la justice.
L’histoire est également notable par sa médiatisation. La principale victime (il est important de souligner que Dominique Pélicot est accusé d’avoir filmé et photographié à leur insu sa fille et ses belles-filles) s’est opposée à ce que le procès ait lieu à huis clos. Beaucoup comparent déjà l’affaire à celle du procès d’Aix-en-Provence, en 1978, lui aussi volontairement médiatisé, qui a changé la perception de la société française sur le viol. Deux ans plus tard, il sera reconnu comme un crime par la loi.
Parce que le procès de Dominique Pélicot se déroule en 2024, il a tout de suite pris une dimension connectée. Une partie de ces discussions en ligne ressemble à celles qu’on a souvent lors de faits divers : obsession dérangeante pour les détails glauques, tentative de manipulation de l’extrême droite, opportunistes qui veulent absolument surfer sur le sujet du moment. Et puis, il y a le reste. Cette affaire est exceptionnelle. Elle s’ancre aussi dans une violence horriblement banale, la soumission chimique, le viol conjugal, des agresseurs qui ne sont pas des monstres. Ce sont ces histoires de tous les jours qui ont envahi nos fils d’actualité.
Cet article est l’édito de la newsletter Règle 30 de Lucie Ronfaut, envoyée le mercredi 11 septembre 2024. Abonnez-vous pour recevoir les prochains numéros :
Malgré le mouvement #MeToo, il n’est pas simple de parler ouvertement de viol sur les réseaux sociaux. Déjà, parce que les victimes y sont critiquées comme partout, ignorées ou accusées de mentir, d’exagérer, jugées sur leur attitude d’hier et d’aujourd’hui, menacées de procès en diffamation, de vouloir remplacer la justice (à noter que l’utilisation du mot « viol » fait même débat lors du procès de Dominique Pélicot, par respect pour la présomption d’innocence).
Autocensure et euphémismes
Mais ces obstacles sont aussi d’ordre technique. Il est plus simple pour un homme de menacer une femme de viol en ligne que pour une victime d’y partager son expérience. En 2021, plusieurs comptes de féministes étaient abusivement suspendus de Twitter pour avoir publié une simple phrase : comment fait-on pour que les hommes cessent de violer ? Et en 2023, une enquête de Télérama observait que de nombreux médias autocensuraient le mot viol par peur d’être sanctionnés par les grandes plateformes (comme je crains actuellement de tomber dans vos courriers indésirables). On se cache alors derrière des euphémismes : vi0l, vi*l, l’emoji grappe de raisin (en référence au mot anglais rape), etc. On se plie aux règles implicites ou supposées des plateformes, quitte à invisibiliser la violence, à lui faire perdre ses contours.
Ce n’est pas ce qui se passe ces derniers jours. Récemment, l’écrivaine Lola Lafon appelait à faire un « boucan d’enfer » sur ce procès. Internet participe à ce tintamarre infernal et nécessaire. Partout où je vais en ligne, pas seulement chez les militantes féministes, les mots sont là. Ils sont durs, atroces, me font poser mon smartphone quand je ne peux plus le supporter. Ils en amènent d’autres tout aussi oppressants, l’inceste, la pédophilie, les hommes au pluriel, ceux qui sont accusés d’avoir commis ces actes, et tous les autres. Parfois, ils sont sympas. Parfois, ils filment sous les jupes des filles. Parfois, ils te violent.
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