Il y a bien longtemps, la Terre a connu une inversion de son champ magnétique. Un phénomène naturel aux lourdes conséquences sur le climat, les espèces vivantes et le comportement des humains de l’époque. Une étude ambitionne de mettre la lumière sur tous ces bouleversements… Mais exagère peut-être un peu.

Que se passerait-il si le Pôle Nord passait au Sud et inversement ? C’est une question étrange, pourtant le phénomène s’est déjà produit à plusieurs reprises dans l’histoire de la Terre. Cette inversion du champ magnétique est due à des perturbations au sein du noyau, mais les conséquences sont assez difficiles à déterminer. Une étude parue dans Science le 19 février 2021 affirme pourtant que l’une des plus récentes inversions connues a bien provoqué une crise climatique sur l’ensemble du globe.

Pour arriver à cette conclusion, ils ont commencé leur enquête là où se trouve la manifestation la plus visible d’une inversion des pôles : à Laschamps, près de Clermont-Ferrand. Lieu bien connu des amateurs de randonnée et des visiteurs de Vulcania, le village attire aussi les curieux pour une anomalie. En se situant à un point très précis, il est possible de voir les boussoles perdre le Nord. En cause : la roche alentour, une lave fossilisée qui n’est pas « aimantée » de la même façon que les autres roches. Pour résumer, elle garde en mémoire le fait que lors de la coulée de lave il y a environ 42 000 ans, le champ magnétique était inversé par rapport à celui qui existe aujourd’hui.

Ce phénomène est assez connu et étudié. Il en existe des similaires un peu partout sur la planète, mais si la seule conséquence d’une inversion des pôles consiste à se perdre avec sa boussole, l’histoire aurait pu s’arrêter là.

Auprès de mon arbre (fossilisé)

« Les précédentes études ne trouvaient pas de réel impact majeur pour la vie sur Terre, raconte l’auteur principal Alan Cooper, mais nous avons eu la preuve d’un impact atmosphérique en étudiant des fossiles d’arbres ! »

Ces arbres, ce sont des Agathis australis, aussi appelés kauri. Ces conifères anciennement très présents au nord de la Nouvelle-Zélande peuvent vivre pendant 2 000 ans. Si aujourd’hui, la population est très réduite, il en existe également des fossiles nombreux et très utiles pour les scientifiques. En analysant les fossiles au Carbone 14, Alan Cooper et son équipe ont pu déterminer qu’il y avait eu une période contemporaine du phénomène de Laschamps, durant laquelle les arbres avaient produit beaucoup plus de Carbone 14, ce qui montre un affaiblissement du champ magnétique pendant cette période.

Arbre Kauri mort. // Source : Gouvernement néo-zélandais

Arbre Kauri mort.

Source : Gouvernement néo-zélandais

Pour Carlo Laj, professeur émérite du CEA, spécialiste du paléomagnétisme qui n’a pas participé à l’étude, c’est une véritable prouesse d’arriver à ce résultat : « Les vestiges contenus dans les cernes des arbres sont très anciens et très difficiles à étudier, mais ils ont réussi ».

Et les chercheurs ont eu une belle surprise : le champ magnétique semble avoir quasiment disparu pendant une période antérieure, comme si les pôles se préparaient à se déplacer. « C’est ce moment que nous avons scruté en priorité, précise Alan Cooper. Juste avant l’inversion, le champ magnétique est tombé à environ 6% de son niveau actuel, il a quasiment disparu ce qui a laissé passer les rayons cosmiques. »

La réponse à la vie, l’univers et tout le reste

Ce passage qui a duré entre 500 et 1 000 ans a été lourd de conséquences sur toute la planète. Selon les auteurs, des modèles climatiques laissent penser qu’une disparition si rapide de la couche d’ozone provoquerait un refroidissement global de la Terre. L’ionisation de l’atmosphère aiderait à intensifier les vents froids sur l’hémisphère Nord. Cela crée alors une réaction en chaîne, et l’Inlandsis laurentidien, la calotte glaciaire dans la région des Grands Lacs aux États-Unis, s’est considérablement élargie. Elle aurait gagné plus de 1 000 kilomètres carrés de surface avec 1 kilomètre d’épaisseur. Plus de glace à la surface signifie encore plus de refroidissement, ce qui aurait permis à la planète de faire baisser encore un peu plus les températures.

« C’est un effet de long terme, poursuit Alan Cooper. Nous l’avons appelé le phénomène d’Adams (Adams Event). » Un nom choisi en référence à l’écrivain Douglas Adams en raison de la période étudiée, il y a 42 000 ans, ce qui rappelle le fameux chiffre 42 incontournable dans sa série H2G2, mais aussi puisque l’auteur a écrit Last chance to see, un livre sur l’extinction des espèces animales. Et selon l’étude, cette période est responsable d’importants bouleversements biologiques.

Diprotodon australis, espèce disparue. // Source : Wikimedia/Domaine public (photo recadrée)

Diprotodon australis, espèce disparue.

Source : Wikimedia/Domaine public (photo recadrée)

Le premier concerne l’Australie et sa mégafaune. Il y a quelques dizaines de milliers d’années, l’île était peuplée par des animaux géants. Des kangourous de trois mètres de haut, des koalas de plus de dix kilos ou encore des serpents qui dépassaient régulièrement les dix mètres de long. Des espèces qui ont toutes disparu assez brutalement, en à peine quelques milliers d’années selon les différentes études sur le sujet. Pourquoi ? Le mystère demeure, mais la plupart des chercheurs s’accordent à dire que l’arrivée de l’Homme sur le continent à la même période n’y est pas étrangère. Pour Alan Cooper donc, ce serait plutôt à cause de cette ère glaciaire inattendue.

Mais l’Homme aussi a bien souffert pendant cette période, notamment l’Homme de Néandertal. Là aussi il y a un flou autour des raisons de sa disparition. Un flou que l’étude d’Alan Cooper entend combler en la mettant aussi sur le compte du refroidissement de la planète. Sans gibier ni abri, nos ancêtres n’ont pas résisté longtemps. À l’inverse de l’Homo Sapiens, plus intelligent et pragmatique, qui s’est mis à s’abriter dans des cavernes. Pour preuve, les plus anciennes traces de peinture rupestre datent d’il y a environ 40 000 ans. Ce serait à cette période que les Hommes préhistoriques, obligés de se cacher dans les caves, se sont mis à décorer leurs nouvelles habitations. Tout est lié !

« Ils sont un peu trop sûrs d’eux »

Une conclusion qui, selon Carlo Laj, manque de modestie : « Ils sont un peu trop sûrs d’eux, résume le chercheur. Leur modèle est intéressant, mais il n’est fondé que sur une seule excursion des pôles, celle de Laschamps. Or, on sait qu’il y en a eu bien d’autres dans l’histoire géologique de la Terre, et nous n’avons aucune preuve que chacune a pu apporter un bouleversement aussi total. » L’extension de la calotte glaciaire également est à prendre avec des pincettes selon Anders Svensson, spécialiste de la question également interrogé dans la revue Science, qui considère qu’il n’y a aucune preuve d’un refroidissement brutal à cette période.

De là à prévoir ce qui se passerait lors du prochain phénomène du même type, il y a encore un fossé. Dans un article paru en 2015, Carlo Laj étudie les mouvements actuels des pôles qui laissent penser qu’un renversement dans 500 ou 1 000 ans est probable, mais loin d’être certain, et il n’y aborde pas les conséquences environnementales.

« Actuellement, le magnétisme est négligé dans les études climatiques, regrette le chercheur. Mais ce papier pourrait pousser d’autres auteurs à s’y intéresser. En cela il est remarquable, dommage qu’il soit un peu trop affirmatif ! »


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