Les laboratoires de recherche développent des vaccins contre le coronavirus à une rapidité inédite. Mais pour l’instant, seuls les adultes font l’objet d’essais cliniques. Cela fait l’objet d’un débat dans la communauté scientifique.

Les enfants et les adolescents sont au cœur des discussions actuelles sur la pandémie liée au coronavirus. Des recherches scientifiques tentent de mieux cerner la façon dont l’infection évolue chez eux. Ces études sont cruciales pour déterminer le rôle épidémiologique de cette population. Si l’on commence à être plus ou moins certains que les enfants sont bien moins soumis aux formes sévères que les adultes, leur contagiosité est encore largement incertaine. La communauté scientifique n’est encore arrivée à aucun consensus. L’assouplissement des mesures dans les établissements scolaires est donc pour l’instant une mesure politique davantage qu’une conséquence de réalités scientifiques établies.

Les enfants ont également une place différente dans la mise en place d’un futur vaccin. La course au vaccin avance à une vitesse historique, tant et si bien que l’on peut en espérer un d’ici la mi-2021. Mais les enfants ne seront pas concernés par celui-ci, car ils ne font pas partie des essais actuels. Or, on ne peut évidemment pas inoculer un vaccin pour adultes chez les enfants : ces derniers ne sont pas des adultes plus petits, ils ont une physiologie très différente (raison pour laquelle leur rapport au pathogène est assez différent). Dans un papier publié dans Clinical Infectious Diseases, une équipe de chercheurs livre un point de vue inquiet sur cette situation. Une vision qui ne fait pas pour autant l’unanimité chez les scientifiques. Sur quoi repose ce débat encore relativement discret ?

Aucun vaccin pour les enfants n’est en phase 2 ou 3

Quatre des grands laboratoires dont les essais cliniques sont aujourd’hui les plus avancés en phase 3 — Pfizer, Moderna, AstraZeneca, Johnson & Johnson — n’ont pas de programme pédiatrique pour leur vaccin en cours de test. Leurs essais cliniques ne concernent que la population adulte. Ce décalage n’a rien d’anormal en soi, car même lorsqu’un vaccin est spécifiquement destiné aux enfants, la procédure veut que les essais cliniques démarrent d’abord chez l’adulte, avant que l’on baisse progressivement la tranche d’âge. C’est une question de sécurité et, même lorsque ces laboratoires vont lancer un programme pédiatrique, les essais n’auront pas immédiatement lieu chez les plus jeunes enfants, ce sera progressif.

En France, en septembre 2020, les mesures ont été assouplies dans les établissements scolaires. // Source : Pexels

En France, en septembre 2020, les mesures ont été assouplies dans les établissements scolaires.

Source : Pexels

Cela dit, pour certains scientifiques, le contexte fait que cette procédure devrait être accélérée, à l’image de l’accélération historique de la recherche vaccinale pour un vaccin contre le coronavirus chez les adultes. « L’impact direct de la maladie Covid-19 parmi les enfants est plus grand que ce qui est observé pour de nombreux autres pathogènes qui ont aujourd’hui des vaccins pédiatriques efficaces », constatent les auteurs de l’article paru dans Clinical Infectious Diseases.

Ils précisent ainsi que, même si les enfants ont moins de risques d’être touchés par des formes sévères, ces risques sont tout de même loin d’être inexistants. Ils relèvent une centaine de décès d’enfants depuis le début de la pandémie, une mortalité qui approche des « 100 à 188 décès associés à la grippe chez l’enfant durant les quatre précédentes saisons (2016-2020) », or la persistance possible de SARS-CoV-2 associée à de tels chiffres justifie largement, selon eux, le développement rapide d’une vaccination pédiatrique.

L’autre enjeu est épidémiologique. Les auteurs alertent sur le rôle que jouent les enfants dans la diffusion de la maladie. Repousser à plus tard les essais cliniques de phase 2 chez les enfants pourrait retarder, selon ces scientifiques, le contrôle de la pandémie et prolonger son impact sur l’éducation, la santé et le bien-être émotionnel des enfants.

La contrainte logistique

Les auteurs de cet article en appellent ainsi à ce que les essais cliniques de phase 2 démarrent dès maintenant. Or, au rythme actuel, les laboratoires semblent plutôt programmer le début des recherches de phase 2 chez l’enfant lorsque leurs vaccins adultes auront été approuvés, comme une deuxième étape en somme. Cela signifierait qu’un vaccin contre la maladie Covid-19 n’apparaîtrait certainement pas avant la fin 2021.

Dans les colonnes du New York Times, en réaction à cet article paru dans Clinical Infectious Diseases, Paul Offit, le pédiatre et spécialiste des vaccins temporise largement cet appel à la rapidité. Il rappelle que, malgré les décès indéniables, les enfants ne sont statistiquement pas un groupe à haut risque. De fait, il indique que « compte tenu des limites en temps et en ressources pour ces essais cliniques, je comprends que le focus initial soit porté sur les plus de 18 ans ». Il est rejoint par la pédiatre Kristin Oliver qui rappelle que, pour des raisons de sécurité, et étant que les enfants ne sont pas une priorité concernant les dangers auxquels ils font face avec le coronavirus, il est plus raisonnable d’attendre que des vaccins adultes aient passé avec succès la phase 3.

Ce débat au sein de la communauté scientifique permet au moyen de mettre en lumière encore une fois cet enjeu inédit de l’équilibre à trouver entre la nécessité d’aller rapidement — plus vite que jamais même, le besoin de ne pas se précipiter pour autant pour ne pas mettre de vies en danger, et enfin la contrainte logistique qui pose de sérieuses limites en partie indépassables à court terme (budget, ressources humaines et matérielles…).


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