L’armoire à pharmacie reste étrangement très éloignée des avancées du véganisme : les animaux sont encore très souvent utilisés pour découvrir des traitements et tester des produits.

Des légumes, des fruits, des graines et des féculents dans l’assiette. Des vêtements fabriqués à partir de fibres naturelles. Des cosmétiques sans composantes animales et sans tests sur les animaux. Aujourd’hui, il existe de nombreuses alternatives pour vivre selon les principes vegan. Sauf lorsqu’on jette un œil dans l’armoire à pharmacie. Dans la production de médicaments, les animaux sont utilisés aussi bien pour découvrir de nouveaux traitements que pour s’assurer qu’ils ne sont pas toxiques pour l’Homme. Et ça n’est pas prêt de changer.

« Les principaux animaux utilisés sont les rats et les souris. Viennent ensuite les poissons, qui sont translucides et qui permettent de voir les organes par transparence. En plus de ça, ils sont très réactifs à la douleur, ce qui est pratique pour tester un médicament », explique Joanna Trouchaud, porte-parole de l’association Animal Testing, à Numerama. « Des animaux plus grands sont aussi utilisés. Les chiens, mais aussi les cochons, dont la peau et les organes sont très proches de ceux des humains, notamment le cœur. » En tout, 1 918 481 bêtes ont été utilisées en France en 2016 selon une enquête statistique du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Alors que faire pour ceux qui veulent faire respecter les droits des animaux. Boycotter les médicaments ? Sûrement pas. Joanna Trouchaud explique qu’il va falloir prendre son mal en patience : «On dit aux gens que ça ne sert à rien de boycotter les laboratoires. Pour le moment, il est impossible de se passer de médicaments. Nous préférons adopter cette position pragmatique jusqu’à ce que des méthodes alternatives puissent réellement être mises en place. »

Trouver des traitements contre les maladies graves

Pour l’instant, la recherche reste totalement dépendante des tests sur les animaux. « Il n’est pas concevable de supprimer l’expérimentation animale à moyen terme », affirmait Georges Chapouthier, directeur de recherche au CNRS, lors d’une audition sur l’utilisation des animaux en recherche à l’Assemblée nationale le 17 janvier. Il existe des modèles de tests précis pour chaque maladie, avec un animal qui lui est associé : les cochons ou les bœufs en cardiologie, les chiens pour les maladies génétiques.

Pour certaines pathologies, il est nécessaire d’utiliser le singe, l’espèce la plus proche des Humains, en dernier recours. Des maladies graves, pour lesquelles on parvient parfois à trouver des traitements.

« Parfois, les découvertes se font très vite, comme dans le cas d’Ebola, où il a fallu à peine trois ans. Mais parfois, les modèles sont beaucoup plus compliqués. Je pense par exemple au Sida, qui touche le système immunitaire. Là aussi, on se sert de méthodes in vitro et des primates. Mais on patine », souligne Bruno Verschuere, docteur vétérinaire et directeur opérationnel du Groupe interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche (GIRCOR), qui regroupe aussi bien des établissements de recherche privés que publics. Idem pour la maladie d’Alzheimer, dont le modèle idéal serait aussi le singe mais pour lequel il faudrait observer les résultats sur 20 ans. « Impossible d’attendre autant. Donc là, on arrive à développer Alzheimer sur des souris en six mois et les chercheurs travaillent là-dessus. »

« Un rat américain, ce n’est pas un rat européen »

Pourtant, les tests sur les animaux montrent des limites. Car une expérience réalisée dans un laboratoire dans le monde à l’instant T n’apporte pas forcément les mêmes résultats que la même expérience réalisée ailleurs. L’étude ne devient pas fausse pour autant, mais certains variables peuvent changer. Un manque de précisions pointé du doigt par Bruno Verschuere. « Un rat américain, ce n’est pas un rat européen. Les résultats des expériences dépendent aussi de la température du laboratoire, de quelle heure il est dans la journée et même de qui manipule les animaux. Entre un technicien et une technicienne, il y a une grosse différence. Les hormones sécrétées ne sont pas les mêmes et elles affectent différemment les animaux. »

D’autres méthodes, sans animaux, permettraient d’obtenir des résultats plus précis. Et les laboratoires pharmaceutiques auraient beaucoup à y gagner financièrement. Dans cette industrie très règlementée, les tests de qualité font partie du quotidien, aussi bien pour le médicament que pour les vaccins. 70% du temps de fabrication d’un vaccin est dédié à des contrôles de qualité et de sécurité, explique le Leem, le principal syndicat de l’industrie pharmaceutique sur son site. « Chaque lot fabriqué passe par un contrôle qualité et nécessite entre 100 et 200 souris. Imaginez le prix que ça coûte ! » Certains laboratoires s’essayent désormais aux tests in vitro. Elle consiste à vérifier le taux d’antigènes grâce à des procédés chimiques. « Non seulement ça leur donne une bonne image mais en plus, ça réduit le temps de production ainsi que les coûts. »

Une image d'illustration ridicule // Source : Pixabay/CC0 Domaine public (photo recadrée)

Tristesse, dépression, anxiété... des symptômes proches du sevrage d'une drogue.

Source : Pixabay/CC0 Domaine public (photo recadrée)

Après l’in vitro, l’in silico

Dans les laboratoires, les souris blanches pourraient bien être remplacées par d’énormes fichiers de données. Grâce au big data et aux algorithmes, il est désormais possible de prédire des réactions physiologies « on ship », sur une puce numérique. Les organes peuvent être modélisés sur ordinateur et leurs réponses à une molécule aussi. « Pour l’instant, les effets sont visibles uniquement sur l’organe en question. D’ici 10 à 15 ans, on pourrait avoir un modèle global », explique Joanna Trouchaud. Donc savoir si un médicament efficace contre une pathologie cardiaque ne provoque pas des lésions non voulues dans d’autres organes.

Si cette méthode permet de considérablement faire avancer la recherche, elle ne permet pas pour autant de se passer complètement des expériences sur les animaux. « Au lieu de tester 500 molécules, on va pouvoir faire un grand tri, éliminer toutes celles qui présentent des anomalies et plutôt tester les cinq plus prometteuses. » Humidité, mucus, protéines, circulations sanguine, enzymes, réactions du foie ou de l’estomac, tous ces paramètres corporels varient et influent sur les molécules. Le seul moyen, pour le moment, de s’assurer qu’aucun effet toxique ne les affecte, reste les tests sur les animaux. « Ces algorithmes, qui passent les données de santé au peigne fin représente une véritable révolution. Ils peuvent détecter des anomalies très rapidement. En revanche, sans eux, on perd le côté expérimental de la recherche, qui permettait de découvrir de nouveaux mécanismes », nuance Bruno Verschuere.

L’Union européenne, elle, fait pression depuis plusieurs années pour essayer de faire évoluer la situation. Sa dernière directive majeure date de 2010 et prône un principe des 3R, « réduire », « raffiner » et « remplacer. » En clair, utiliser moins de bêtes et les utiliser mieux, le temps que des alternatives solides soient validées. Dans le domaine des cosmétiques, les méthodes sans animaux, comme les tests sur peau artificielle, ont montré leur efficacité. Et l’UE va plus loin : depuis le 3 mai 2018, elle a adopté, avec une majorité écrasante (620 voix pour, 14 contre), une résolution en faveur de l’interdiction mondiale de l’expérimentation animale pour les cosmétiques.

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