Douze ans après la catastrophe de Fukushima, la décontamination des sols pose encore question. Un bilan effectué par le Bureau de recherches géologiques et minières montre un résultat contrasté.

En mars 2011, un puissant séisme puis un tsunami frappaient la côte orientale du Japon. La succession de ces deux événements a entraîné un accident d’ampleur dans la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi, qui a provoqué la fusion du cœur de trois des réacteurs de la centrale. À la clé, un accident nucléaire classé au niveau 7 sur l’échelle internationale INES, comme l’accident de Tchernobyl.

Il s’agissait donc d’un accident nucléaire dit « majeur », qui a entraîné des rejets radioactifs dans l’air dans les jours qui ont suivi, des rejets d’eau contaminée (selon des travaux de l’IRSN, la contamination de l’océan provoquée par l’accident pourrait représenter la plus grande pollution radioactive marine de l’Histoire) et des dépôts radioactifs significatifs sur les sols d’une partie du Nord-Est du Japon.

Dans une étude menée par le BRGM avec des chercheurs français et japonais, publiée dans la revue scientifique PNAS, nous avons adapté un outil de modélisation de l’érosion des sols pour prendre en compte leur contamination. Il s’agissait d’estimer la quantité d’éléments radioactifs encore présents dans les sols dans la région de Fukushima pour prévoir l’évolution de la contamination radioactive des paysages.

Ces travaux montrent que pour l’heure, le bilan est mitigé : les opérations de décontamination ont été efficaces là où elles ont pu être menées, mais il reste encore 67 % du césium 137 initial, principalement stocké dans les forêts, situés sur les pentes fortes de cette région montagneuse.

De quelle radioactivité parle-t-on ?

De très importants rejets radioactifs ont ainsi eu lieu dans l’environnement à la mi-mars 2011, entraînant l’évacuation des populations dans un rayon de 20 km autour de la centrale et une contamination durable des territoires autour de celle-ci.

La répartition géographique et l’ampleur de cette contamination dépendent à la fois de la trajectoire du panache radioactif formé par les rejets de la centrale qui ont eu lieu pendant plusieurs jours et de la survenue de pluie ou de neige dans les zones traversées par le panache.

Rabattues au sol par les précipitations, les substances radioactives ont entraîné deux conséquences principales : une élévation permanente du débit de dose radioactive ambiant dû au rayonnement gamma émis par les radionucléides contenus dans les dépôts, et une contamination des sols et de la végétation. On parle des retombées initiales, ou de l’inventaire initial, car il faut dresser un inventaire des radionucléides en présence.

Pour quantifier cet inventaire initial, on utilise des becquerels par mètre-carré (Bq/m2), qui décrivent le nombre de désintégrations radioactives par seconde et par unité de surface. Le césium 137 est l’un des radionucléides les plus problématiques, car il a été émis en grandes quantités et il présente une demi-vie relativement longue de 30 ans. C’est pourquoi notre étude s’est concentrée sur ce dernier.

Une décontamination par le décapage des sols

Pour réduire le débit de dose dans l’air et permettre le retour des habitants dans les zones évacuées, les autorités japonaises ont mis en œuvre un programme de décontamination des sols sans précédent à ce jour dans l’histoire. Ces opérations ont été réalisées entre 2013 et 2023 et se sont concentrées sur les zones cultivées et résidentielles.

Elles ont consisté à retirer la végétation et à décaper les cinq premiers centimètres du sol. Tous les matériaux retirés ont été stockés localement sur des parcelles agricoles, dans un premier temps, avant d’être entreposés pour 30 ans dans des sites dédiés à proximité du site de la centrale accidentée.

La couche superficielle des terres agricoles a été retirée et a été stockée dans des sacs en attendant son évacuation vers des sites de stockage temporaires, en 2014 // Source : Olivier Evrard
La couche superficielle des terres agricoles a été retirée et a été stockée dans des sacs en attendant son évacuation vers des sites de stockage temporaires, en 2014 // Source : Olivier Evrard

Ces cinq premiers centimètres de sol ont été remplacés par du sol « sain » provenant généralement de matériaux extraits de carrières locales aménagées pour l’occasion (essentiellement du granite concassé) et mélangés avec la couche de sol résiduelle. Une approche efficace, comme l’ont montré des travaux de 2019, que nous avons par la suite approfondis en 2023.

Un tel décapage du sol a permis de réduire les concentrations en césium 137 d’environ 80 %, et de ramener la radioactivité résiduelle à des niveaux proches de la radioactivité naturelle moyenne. Cette approche contraste avec la stratégie adoptée à Tchernobyl en 1986, où les zones les plus contaminées restent encore interdites d’accès aujourd’hui.

Ce programme n’a toutefois pas traité les forêts, qui couvrent pourtant la plus grande partie des surfaces contaminées – 80 % – qui se situent principalement sur des pentes abruptes dans cette région montagneuse.

Quand l’érosion transporte le césium 137… et déplace le problème

Une fois que le césium 137 atteint la surface du sol, il est rapidement fixé aux particules fines du sol et reste concentré dans les quelques centimètres supérieurs du sol, ce qui le rend susceptible d’être transféré vers l’aval par l’érosion hydrique lors des précipitations.

De quelles quantités parle-t-on ? Tout dépend de la concentration initiale des retombées de radiocésium, et de l’ampleur de la perte de sol, en fonction des processus d’érosion locaux.

Pour évaluer la dispersion du césium 137 par érosion hydrique, nous avons eu recours à un modèle de ruissellement et d’érosion, en y ajoutant un module prenant en compte la concentration en césium dans les premiers centimètres de sol. L’objectif de ce nouveau modèle était de simuler le ruissellement et les transferts de sédiments et de césium 137 associés à travers le paysage, selon différents scénarios. Autrement dit, estimer ce qu’auraient été les flux et le stock de césium 137 sans la mise en œuvre de la décontamination.

Localisation de la zone d’étude (carte A), reconstitution des retombées initiales de césium 137 (carte B), et utilisation des terres du bassin versant étudié (carte C). // Source : R. Vandromme et coll., PNAS
Localisation de la zone d’étude (carte A), reconstitution des retombées initiales de césium 137 (carte B), et utilisation des terres du bassin versant étudié (carte C). // Source : R. Vandromme et coll., PNAS

Ce modèle a pu être calibré et utilisé grâce à des mesures en rivière obtenues entre 2014 et fin 2019 par les équipes japonaises du National Institute for Environmental Studies sur un petit bassin versant de 44 km2 représentatif de la zone contaminée.

Une décontamination partielle au bilan mitigé

Pour évaluer le transfert et les sources de césium 137 associé aux sédiments, nous avons modélisé tous les événements pluvieux qui se sont produits de juin 2014 à décembre 2019, soit 296 événements. Les résultats ont permis de montrer l’importance des événements extrêmes dans la dynamique sédimentaire du bassin versant dans cette région : plus de la moitié des déplacements de sédiments et de césium se produisent pendant moins d’1 % du temps !

Lors de précédents travaux, des chercheurs du LSCE et leurs collègues avaient déjà montré que les concentrations de césium 137 dans les sédiments transportés par les systèmes fluviaux drainant le principal panache de pollution radioactive avaient diminué d’environ 90 % entre 2011 et 2020.

Notre étude montre qu’après la décontamination de 16 % de la surface du bassin versant réalisée par les autorités japonaises, environ 67 % du césium radioactif initial subsiste encore dans les paysages, majoritairement dans les forêts. Le flux de césium 137 dans les rivières n’a été réduit que de 17 % par rapport aux simulations du cas fictif où aucune opération de décontamination n’aurait été menée.

Les opérations de décontamination ont donc été efficaces sur les surfaces traitées, mais comme elles n’ont pu être réalisées que sur une faible proportion de la surface du territoire, en raison de la présence majoritaire de forêts sur des pentes fortes et de la difficulté technique de décontaminer de telles zones, leur portée reste limitée.

Cette étude soulève des questions sur le rapport coût-bénéfice d’une entreprise de décontamination partielle, étant donné que, en 2019, seuls 30 % des habitants étaient retournés vivre dans la région. Cet outil de modélisation pourrait également servir à simuler des scénarios de gestion dans l’éventualité de futurs accidents nucléaires ou industriels.

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Rosalie Vandromme, Chercheur érosion des sols, BRGM et Olivier Evrard, Directeur de recherche, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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