Si la première mission du programme Artémis est toujours clouée au sol, c’est à cause d’une fuite de carburant : de l’hydrogène liquide s’est échappé d’un joint et a conduit à reporter le lancement. Même si cette nouvelle a déçu les nombreuses personnes qui attendaient avec impatience cette mission lunaire, le report d’Artémis I n’avait rien de surprenant pour les spécialistes du secteur, habitués à ce type de panne.
Remontons dans le temps : le 2 décembre 1990, la navette Columbia décolle pour sa dixième mission avec sept astronautes à son bord. Un énorme soulagement, puisque le lancement était programmé pour le 16 mai de la même année ! Avant d’être repoussé au 30, puis en septembre après un retour à l’atelier, et enfin début décembre après un nouveau passage infructueux sur le pas de tir. Bref, des reports en cascade à cause d’une fuite d’hydrogène qui semblait impossible à réparer.
L’hydrogène, un carburant difficile à maîtriser
Depuis, rien n’a changé, ou presque. Ce type de carburant semble toujours poser autant de problèmes à la Nasa. « L’hydrogène a beaucoup de qualités, résume pour Numerama Nathalie Girard, cheffe de projet des concepts avancés des lanceurs au Cnes, mais c’est aussi un carburant très difficile à manier. »
Si cette technologie est si utilisée par la plupart des lanceurs en activité, c’est parce que les performances sont bien meilleures : jusqu’à 20 % supérieures à celles du kérosène, par exemple. Dès les débuts de la conquête spatiale, les industriels ont compris que pour faire voler des fusées plus lourdes, plus haut, il fallait un carburant puissant capable de projeter toute cette masse. Les premières missions Apollo se servaient déjà de l’hydrogène, mais les lanceurs russes Soyouz, eux, fonctionnent au kérosène ou avec des dérivés.
En revanche, si l’hydrogène est si performant, il est accompagné de quelques contraintes parfois difficiles à résoudre.
- La première correspond à la température qu’il faut atteindre pour le rendre liquide. Habituellement à l’état gazeux, il faut le faire descendre à −252 degrés Celsius pour le rendre liquide, ce qui n’est pas si simple. À de telles températures, les matériaux autour ont tendance à se rétracter et à se fragiliser. Il faut donc avoir une carcasse adaptée à ce grand froid, et si les joints se mettent à bouger, ne serait-ce qu’un tout petit peu, c’est la fuite assurée ! Ce qui nous emmène à la deuxième contrainte : la taille.
- L’hydrogène est le tout premier élément du tableau périodique, c’est donc le plus léger. Un atome d’hydrogène est particulièrement minuscule, mais aussi très peu visqueux, avec comme conséquence de s’écouler très facilement. Dans ces conditions, même la plus petite des ouvertures sera fatale et tout l’hydrogène s’engouffrera dedans.
- Enfin, une dernière contrainte et non des moindres : il est extrêmement inflammable. Au-delà d’une concentration d’hydrogène de 4 % dans l’atmosphère, la moindre étincelle peut provoquer une catastrophe. « Le petit avantage, précise Nathalie Girard, c’est que l’hydrogène est aussi très volatil et se disperse rapidement dans l’atmosphère. Mais, il n’en reste pas moins dangereux. »
Il n’y a pas de solution révolutionnaire
D’un autre côté, le kérosène est plus facile à manier, car il est liquide à température ambiante. Cependant, il est moins performant, ce qui incite à faire des choix lors de la construction de lanceurs. Pourtant, une autre possibilité existe : le méthane. « C’est en projet depuis des décennies, raconte Nathalie Girard, mais pour l’instant aucun moteur au méthane n’est utilisé. »
Certains s’y essayent, en Europe avec le projet de moteur Prometheus, mais également les Raptor de SpaceX qui doivent équiper le Starship quand il sera terminé. Blue Origin a aussi tenté sa chance avec ses moteurs BE-4. Tous ces appareils en sont à des stades plus ou moins avancés de développement, mais ne sont pas complètement terminés.
Le méthane aurait l’avantage d’être un peu plus performant que le kérosène (mais moins que l’hydrogène), tout en étant plus maniable avec une viscosité plus prononcée, et une température de liquéfaction de « seulement » −180 degrés. « Le méthane ne serait pas révolutionnaire, nuance Nathalie Girard, comme avec chaque nouveau carburant, il y a une balance avantage/inconvénient. »
Alors, au vu des soucis de fuite récurrents pour l’hydrogène, est-ce que la Nasa aurait pu faire l’effort de passer au méthane pour une mission si importante ? Pas si simple. Développer un nouveau lanceur coûte très cher, surtout pour un projet aussi pharaonique que le SLS (Space Launch System). Lorsque le Congrès américain avait accepté le financement de la fusée, il était demandé à la Nasa de s’appuyer au maximum sur la technologie déjà existante, à savoir celle des navettes qui avait fait ses preuves, malgré les quelques pannes. L’administratrice adjointe de la Nasa, Lori Garver, s’y était opposée à l’époque, appelant à développer de tout nouveaux moteurs pour passer à la prochaine génération de lanceurs, mais sans succès.
Pour avoir un moteur au méthane, il faudrait imaginer la technologie capable de le refroidir correctement, les matériaux du réservoir qui vont le supporter, la technique pour enflammer le tout lors du décollage, etc.
Tout cela demande des coûts en termes de recherches qui ne sont pas prioritaires immédiatement, sachant que l’hydrogène reste une valeur à peu près sûre. La Nasa aurait donc le choix entre garder une technologie qui fonctionne globalement, malgré quelques failles, ou risquer de se lancer dans la création de nouveaux lanceurs complètement différents, sans garantie que ceux-ci seront idéaux.
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